Intervention de Marie-Pierre Rixain

Réunion du mardi 10 septembre 2019 à 16h30
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Pierre Rixain, présidente :

Mes chers collègues, je suis très heureuse d'accueillir M. Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur, à l'occasion du travail mené par la Délégation dans le cadre du Grenelle des violences conjugales, lancé le 3 septembre dernier par Marlène Schiappa aux côtés du Premier ministre, Édouard Philippe.

Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, pour la rapidité avec laquelle nous avons pu organiser cette audition – rapidité qui traduit, sans nul doute, la forte mobilisation du Gouvernement, et la vôtre, dans la lutte contre les violences faites aux femmes.

Avant de procéder à cette audition, il nous faut, mes chers collègues, procéder à la désignation d'un rapporteur pour la mission d'information visant à l'élaboration du livre blanc de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes portant sur la lutte contre les violences conjugales. Nous avons décidé la création de cette mission en réunion du bureau afin d'enrichir le plus utilement possible le travail engagé dans le cadre du Grenelle des violences conjugales que j'évoquais précédemment.

À l'instar du rapport d'activité annuel, je vous propose de présider à l'élaboration et à la rédaction, au nom de l'ensemble de la Délégation de ce Livre blanc qui permettra de faire la synthèse de tous les travaux et déplacements liés à cette thématique. Je vous invite à me transmettre d'éventuelles propositions d'associations à entendre lors d'une prochaine table ronde ou des idées de déplacements.

Si vous en êtes d'accord, une fois adopté, ce Livre blanc pourra également être remis à Mme Marlène Schiappa au nom de toute la Délégation, l'ensemble de ses membres figurant sur la couverture.

Je constate que ces propositions recueillent votre assentiment, il en est ainsi décidé.

En 2019, un décompte macabre rythme l'actualité : celui du nombre de femmes mortes sous les coups de leur partenaire. En ce 10 septembre, on dénombre déjà 102 victimes. Cent deux vies arrachées par la violence d'un homme sur une femme parce qu'elle est une femme. Cent deux femmes dont le quotidien a tourné au tragique parce que des hommes ont estimé avoir droit de vie ou de mort sur elles. Cent deux femmes victimes d'un féminicide, un terme que nous adoptons enfin collectivement – journalistes et politiques – et qui matérialise le crime d'un homme qui refuse d'admettre que sa femme est une femme, libre de rompre des liens conjugaux et de mener sa vie en dehors de lui, un homme qui refuse que les liens de l'intime puissent se conjuguer au passé, que le futur de sa conjointe lui appartient en propre. Des drames indicibles qui incarnent aussi bien la domination masculine que les inégalités entre les femmes et les hommes.

Ce décompte, aussi funèbre soit-il, aura au moins permis de briser le silence autour des violences conjugales, de pointer du doigt des agissements séculaires dont la société ne veut plus. Parler de ces femmes qui ont perdu la vie permettra, espérons-le, de soutenir les victimes dans leur volonté de s'affranchir et d'améliorer la réponse que nous apportons à ces femmes envers qui la République a failli.

Ce Grenelle doit inciter chacun et chacune à s'interroger sur ses comportements, sur ce qu'il tolère ou non au quotidien car le meurtre, mes chers collègues, n'est que l'acte ultime des violences conjugales. Ces violences présentent en réalité des niveaux d'agression variables, de l'insulte à l'acte de torture, et concernent bien davantage de personnes que les 102 femmes tuées depuis le début de l'année.

Ces violences sont le symbole même du concept d'assujettissement marital qui a un temps régi notre droit ; elles sont la traduction quotidienne du continuum des violences faites aux femmes. En France, chaque année, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint. Deux cent vingt-cinq mille femmes sont victimes de violences physiques et sexuelles commises par leur partenaire ou ex-partenaire. Quatre-vingt-quatre mille femmes majeures sont victimes de viols ou de tentatives de viol et, dans 45 % des cas, c'est leur conjoint ou leur ex-conjoint qui est l'auteur des faits.

Je tiens à rappeler que ces chiffres ne tiennent pas compte des nombreux cas non-déclarés de violence, ils ne sont qu'une estimation minimale des cas de violences conjugales.

Hélas, ces chiffres ne fléchissent pas. C'est trop, beaucoup trop. Et la société n'accepte plus que les hommes considèrent les femmes comme l'exutoire de leurs passions, de leurs troubles et de leur volonté.

Harcèlement, coups, blessures ne sauraient contester aux femmes leur liberté. C'est pourquoi il nous faut, en tant que législateur et aux côtés du Gouvernement, travailler à une dimension politique de la réalité vécue par des millions de femmes ; travailler à organiser une réponse de la puissance publique à ces violences conjugales car c'est avant tout la puissance publique qui n'a pas su protéger ces femmes, qui n'a pas su les entendre et les prendre au sérieux. Trop longtemps, la puissance publique a elle-même généré ces injustices en atténuant la parole des femmes et en négligeant leur vécu. Ce n'est plus possible !

La puissance publique doit désormais organiser l'accompagnement de ce délicat moment où ce qui relève de l'intime devient social, où une femme décide de dépasser le déni, la peur, la honte et parfois même le sentiment de culpabilité.

Cette étape, qui a lieu dans une enceinte rarement confortable et rarement bienveillante, est pourtant un élément clé dans le cheminement qui permet à nos mères, nos soeurs, nos filles, nos amies, nos voisines, nos concitoyennes de se libérer de l'emprise d'un homme violent.

C'est la raison pour laquelle je me réjouis qu'aux côtés du Gouvernement, le Parlement se mobilise, notamment à travers notre Délégation . Nous remettrons à Marlène Schiappa un Livre blanc avec nos recommandations.

C'est dans cette perspective, Monsieur le ministre, que nous vous auditionnons aujourd'hui et que nous recevrons, par la suite, vos collègues Nicole Belloubet et Julien Denormandie pour aborder les problématiques de violences conjugales de la manière la plus complète possible.

Sans plus tarderje vous laisse la parole, en vous remerciant une nouvelle fois d'avoir répondu favorablement et aussi rapidement à notre invitation.

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