Madame Auconie, il est vrai que la génération de policiers cinquantenaires n'a pas bénéficié de formations relatives au recueil de la parole ; toutefois, ne négligeons pas que tous les policiers en fonction à l'accueil ont reçu une formation spécifique à l'accueil. Peut-être convient-il de la renforcer, mais tous les policiers en responsabilité de l'accueil, même si leur formation de policier date d'une vingtaine d'années, recevront une formation spécifique qui prendra en compte l'orientation, le fait d'amener la victime dans un lieu spécifique, le fait de lui proposer, si c'est possible, d'être entendue par une femme plutôt que par un homme… Tout cela fait partie du référentiel de formation dont ils bénéficient et qu'il nous faut encore améliorer. En outre, nous voulons mettre en oeuvre, dès l'accueil, un guide d'évaluation du danger qui, par les signaux d'alerte émis, permettrait d'intervenir. Des questions pourraient être posées, qui seraient susceptibles de déboucher sur un niveau d'alerte élevé.
Il faut avoir à l'esprit qu'une victime n'a pas toujours conscience de la gravité de sa situation. Ici, nous avons tous l'expérience, parmi nos proches, d'une situation où une femme battue pense qu'elle a eu tort et cherche à s'excuser. Il est alors absolument indispensable, à ce moment-là, de guider les victimes. Tout le monde doit être formé.
Madame Auconie, vous avez évoqué avec fierté le CHU de Bordeaux et le centre d'accueil d'urgence des victimes d'agression. Vous avez raison, c'est pour nous un modèle. Il existe d'autres hôpitaux qui ont mis en place des outils assez similaires, à Bondy ou à Rouen par exemple. C'est le modèle sur lequel nous voulons travailler. Nous avons confié une mission à l'inspection générale de l'administration, à l'inspection générale des affaires sociales et à l'inspection générale de la justice sur le recueil de la preuve qui est un véritable enjeu. Aujourd'hui, en effet, nous ne sommes pas en capacité de recueillir la preuve sans plainte et de conserver la preuve d'une personne qui, trois mois après le choc, après s'être entretenue avec un proche, un membre d'une association, un parlementaire, le maire, se décide tardivement à déposer une plainte. Aucun magistrat ne peut se prononcer trois mois après les faits en l'absence de preuves. Il est important de travailler sur le recueil et la conservation, pendant une durée raisonnable, qui reste à définir, de la preuve en l'absence de plainte des victimes de violences conjugales. Il faut laisser aux victimes la possibilité de porter plainte plus tard.
Au-delà de cette question de principe, se posent celles, non encore résolues, du financement, de la durée de conservation et du statut des prélèvements. La question n'est pas simple et pour y voir plus clair, nous attendons les résultats de la mission que j'évoquais. Cette demande est liée également aux conventions que nous voulons instaurer pour recueillir la plainte in situ, afin que la victime ne soit pas obligée de se rendre au commissariat ou à la gendarmerie qui pourrait être fermé, contraignant la victime à rentrer chez elle, ce qui constitue la première anomalie du dispositif de protection. Il nous faut travailler sur le sujet.
Monsieur Gouffier-Cha, sous l'impulsion de Mme Marlène Schiappa, Secrétaire d'État en charge de ce dossier, les Grenelle départementaux doivent se tenir normalement dans tous les départements – certains ont d'ailleurs déjà eu lieu. Le recensement est en cours sur l'ensemble des actions portées par les préfectures et nous présenterons un bilan des Grenelle départementaux le 25 novembre prochain.
Si jamais un préfet prenait l'initiative d'un Grenelle et oubliait d'inviter les parlementaires, de la majorité comme de l'opposition, ce serait une anomalie. Si cela se produisait, n'hésitez pas de me faire passer le message ; je rappellerai alors aux préfets qu'oublier les parlementaires pour débattre de sujets de cette importance est une anomalie. Autant je crains la question du secret dans certains cas, autant les parlementaires ont toute leur place pour évoquer un sujet de politique publique. J'ai été parlementaire et peux le redevenir ; je vous livre donc un discours prévenant !
J'ai rappelé l'importance qui s'attachait au recensement et au bilan dans la circulaire de la semaine dernière sur l'animation des Grenelle.
L'audit ne doit pas s'arrêter. L'objectif chiffré de fin de l'année porte sur 400 gendarmeries ou commissariats et sur 500 femmes. S'arrêter en janvier ne serait pas bon. Je le dis à ceux qui nous écoutent – en qui j'ai toute confiance, mais que j'entends bien contrôler –, nous poursuivrons. Cela dit, un point précis de ce que nous contrôlons pourra avoir lieu à la fin de 2019. Si vous le souhaitez, madame la présidente, vous pouvez entendre les responsables de l'inspection générale de la police nationale et de l'inspection générale de la gendarmerie nationale, chargées de ces missions ? Dès lors que l'on ne cite pas de cas nominativement, cela ne devrait poser aucune difficulté.
Monsieur Gouffier-Cha, vous m'avez interrogé sur l'immobilier. Selon moi, la question doit porter sur la gestion de l'accueil dans son ensemble et non se limiter à l'accueil des femmes victimes. Un mineur, une personne ayant fait l'objet de harcèlements, d'insultes homophobes… je ne dresserai pas la liste de tout ce qui relève de l'intime. Un vol de portable ne relève pas de l'intime. On peut éventuellement en parler devant des tiers et déposer une plainte. C'est plus délicat pour d'autres sujets. Aussi, les commissariats, les gendarmeries disposent de locaux adaptés, y compris pour recevoir les mineurs. Cela dit, certains commissariats ou gendarmeries sont en mauvais état et ne proposent pas de réponse adaptée.
En tant que ministre, je visite deux catégories d'établissement : les tout neufs pour les inaugurer et, à l'autre opposé, ceux qui sont dans un état lamentable et pour lesquels on espère que je ferai quelque chose !
Nous portons un plan d'investissement de 900 millions d'euros, le plus important qui ait été proposé par un programme pluriannuel de trois ans. Mais cela reste insuffisant pour mettre l'ensemble des locaux à niveau, y compris les logements de la police et de la gendarmerie qui sont corrélés. Je compte sur vous pour soutenir le ministère de l'Intérieur lors des prochaines arbitrages de la fin de l'année 2020.
Madame Taurine, vous souhaitez savoir combien de personnels et combien de crédits sont affectés à la lutte contre ces violences. Je ne comprends pas votre question sur le fond, car il ne faut pas construire de politiques par délit, même s'il convient de les adapter par délit.
En revanche, sur les violences familiales, nous avons procédé à cette évaluation à travers les différents dispositifs évoqués précédemment. Le Premier ministre a fait le choix de ne pas chiffrer notre engagement, considérant qu'il ne s'agissait pas d'une approche comptable. Cela dit, il m'appartient également de vous rendre des comptes sur le plan de l'exécution budgétaire. Nous avons donc chiffré notre engagement financier portant sur les violences conjugales. Nous avons pris en compte les brigades de protection de la famille, les correspondants départementaux et locaux d'aide aux victimes, les référents « violences conjugales », les psychologues, les officiers adjoints de prévention qui sont les correspondants départementaux ou territoriaux de la gendarmerie nationale, les brigades de prévention de la délinquance, notamment juvénile. Nous avons également pris en compte des outils, tels que le portail de signalement des violences sexuelles et les crédits mobilisés au titre du fonds interministériel de prévention de la délinquance au cours d'une année. Pour 2019, notre engagement s'élève à 230 millions d'euros. Cela n'a toutefois pas grande signification. Votre question est pertinente, mais, en soi, que représentent 230 millions d'euros ? Ce qui compte c'est d'avoir la bonne personne au bon endroit. L'engagement n'en reste pas moins majeur. L'intérêt réside dans la mesure de l'évolution de la violence. Elle est forte, ce qui n'est pas une bonne nouvelle. Nous sommes confrontés à un phénomène grave, notamment aux violences infra-familiales, dont les violences faites aux femmes.
Concernant la ventilation des différents intervenants sociaux, il y a 172 intervenants pour la police nationale, et 137 pour la gendarmerie nationale, qui eux-mêmes alimentent un réseau.
Madame Abadie vous m'avez questionné sur les cellules départementales. Selon l'adage protestant bien connu, on avance en marchant – je rappelle que je suis aussi le ministre en charge des cultes ! Je serai très pragmatique. Selon moi, l'idéal serait d'institutionnaliser les cellules pour leur donner une épaisseur car tel n'est pas le cas aujourd'hui. Je vous donne lecture de ce que j'ai écrit au préfet la semaine dernière : « Ces cellules devront réunir, outre les forces de police et de gendarmerie, les acteurs que vous jugerez utiles et pertinents». Ce n'est pas très clair, mais je fais confiance aux préfets ! J'ai précisé qu'ils le feraient « en fonction des problématiques rencontrées, des réalités locales (représentants du conseil départemental, directeur départemental des finances publiques, directeur académique des services de l'éducation nationale, bailleurs sociaux, association…) [et qu'ils pourraient se] rapprocher des procureurs qui le souhaitent »< ; C'est là une formule de politesse du ministre de l'Intérieur qui veille à ne pas empiéter sur les prérogatives de Mme la Garde des Sceaux !
Il s'agit donc d'une invitation à se rapprocher des procureurs. À certains endroits, cela se fait sans difficulté. Nous travaillons actuellement avec la Garde des Sceaux à ce sujet car j''ai présenté cette proposition au dernier moment et nous n'avons pas eu le temps de l'étudier en profondeur. Elle est donc en cours d'étude. Peut-être sera-t-elle portée par les deux ministères. À noter que le format changera un peu.
J'invite les préfets à veiller à la régularité de leurs travaux et à la possibilité de déclencher une réunion exceptionnelle à tout moment, sur alerte des services de police ou de gendarmerie.
Vous suggérez que l'organisation se fasse à un échelon plus déconcentré. Peut-être aurais-je dû préciser dans la circulaire que cela était sans importance pourvu que cela fonctionne ! : Il est vrai que le ministre de l'Intérieur ne peut écrire cela dans une circulaire, mais quand je réunis les préfets toutes les cinq ou six semaines, mon vocabulaire est plutôt du registre de l'efficacité et je suis prêt à tenir exactement ces propos : « Faites un peu comme vous voulez, mais je veux que cela marche ! ». De ce fait, je reprends volontiers votre proposition !
La question sur le logement de l'auteur d'actes de violence rejoint la question de Sonia Krimi et celles abordées pendant le Grenelle. La double peine est insupportable : la double peine est celle qui contraint la victime à quitter le domicile conjugal, alors même qu'il est conjugal et qu'il appartient donc aux deux membres du couple, dont l'un est une victime et l'autre l'auteur des violences. Il est important de le dire.
Mme Givernet a constaté un ensemble de violences. Oui, ne pas payer la pension est une violence, c'est une violence et un moyen de pression. À cet ensemble de violences, il nous faut trouver des réponses adaptées.
Sur le sujet des pensions, le Gouvernement s'est engagé à instaurer des dispositifs avec vous. Il convient de réfléchir à ces questions comme à toutes les mesures qui ne relèvent pas du ministère de l'Intérieur et traiter tous les sujets qui empêchent notamment le départ de la victime. Ils sont sociaux, relèvent de l'image, parfois des enfermements que la victime s'impose, par exemple liés à un choix religieux. Lever l'ensemble de ces éléments de contrainte est une nécessité. Les valeurs de la République sont celles de la liberté, qui ne doit pas être entravée par de tels obstacles. Mon propos est général, il est généreux ; la situation est compliquée mais il faut les balayer un par un pour avancer.
Cela m'amène à vous dire que votre affirmation sur la conscience du comportement violent de l'auteur par les proches n'est pas toujours vraie. Trop souvent, ils refusent de voir la vérité, ne l'entendent pas, la nient, l'édulcorent. Le proche vers qui on se tourne, au fond, enferme un peu plus parce qu'il nie, parce que « le bonhomme » est si sympathique et si drôle dans les dîners de famille que l'on ne soupçonne pas qu'il soit ainsi. Or, il est ainsi. C'est un message que nous devons porter politiquement, que nous devons porter collectivement parce que ces barrières conduisent à l'interdit de la dénonciation. Si je ne dénonce pas, je ne protège pas la victime. La dénonciation doit être systématique. Nous sommes hélas insuffisamment entendus, mais je vous le dis : celui qui se tait est responsable. Si nos policiers et nos gendarmes ont une responsabilité, la responsabilité première est celle des auteurs et de ceux qui se taisent. Je le dis parce que, à force de le répéter, peut-être mon propos sera-t-il entendu, y compris par le journal Le Monde. J'ai en effet trouvé insupportable le titre d'un article la semaine dernière : Féminicide : la police devant ses responsabilités. Ce titre déresponsabilise totalement l'auteur des violences. Si la police est responsable, elle n'est pas l'auteur. Ensuite, c'est laisser penser que la police serait défaillante. Elle peut l'être, elle l'est parfois, parce qu'elle est incarnée par des femmes, des hommes qui, à un moment donné, n'ont pas le bon réflexe, qui sont fatigués, comme vous, comme moi, et peuvent ne pas avoir la bonne réaction au bon moment. Mais, globalement, la police est à la hauteur.
Un titre de presse comme celui que j'évoque, qui reporte la responsabilité sur la police, se trompe profondément et contribue à la déresponsabilisation des auteurs et de ceux qui savent et qui doivent réagir.
J'ajouterai enfin que s'il y a des femmes victimes de violences, il y a aussi des hommes victimes de violences. C'est ainsi que, parmi les personnes tuées infra-familialement, 28 hommes l'ont été l'an dernier. Il peut arriver, certes, que ce soit des cas de légitime défense, ce qui modifie quelque peu la situation. Mais je ne suis pas Garde des Sceaux et ne veux pas me prononcer. Je me contente de vous livrer cette information. Même si, pour des raisons diverses, les proportions de victimes entre les hommes et les femmes ne sont pas les mêmes, il ne m'appartient pas de me prononcer, mais sachez que des hommes sont également victimes de cet enfermement psychologique qui peut conduire à des gestes redoutables.