Mesdames, messieurs les députés, notre rencontre intervient peu de temps apès un féminicide particulièrement marquant qui a eu lieu au Havre, et avant l'occurrence duquel la victime avait déposé une plainte restée sans suite. Ce drame illustre comment les difficultés rencontrées dans le traitement des violences conjugales peuvent créer des interstices dans les réponses apportées, menant ainsi à une issue tragique. Je ne veux pas ici incriminer tel ou tel personnel, qu'il s'agisse de la police ou de la justice. J'insiste au contraire sur la nécessité de resserrer, ensemble – police, gendarmerie, justice, associations –, les mailles du filet pour aboutir à une solution relativement satisfaisante. Nous devons tous à la fois aiguiser notre vigilance et, surtout, améliorer nos pratiques. En tant qu'acteur de la lutte contre les violences faites aux femmes, il appartient donc à la justice de se mobiliser en la matière.
À cet égard, j'aimerais préciser trois points. Premièrement, des annonces importantes ont été faites par M. le Premier ministre à l'ouverture du Grenelle. Parmi celles qui concernent le ministère de la justice, trois me paraissent particulièrement importantes. La première est la mise en place d'un bracelet anti-rapprochement pour les auteurs de violences conjugales. La deuxième est de s'appuyer sur une procédure de traitement judiciaire plus proactive en expérimentant dans certains tribunaux de grande instance pilotes, à l'instar de ce qui se fait à Créteil aujourd'hui, des « chambres de l'urgence ». La troisième mesure doit permettre de remettre en cause les attributs de l'autorité parentale du parent violent. L'exercice de l'autorité parentale serait notamment suspendu de plein droit en cas de poursuite pour homicide volontaire commis à l'encontre de l'autre parent. Ces trois mesures sont emblématiques d'un travail qui doit encore être finalisé.
Plus large et plus ambitieux, le plan d'action du ministère de la justice se décline au-delà des dispositifs du Grenelle en dix mesures phares. Ces actions sont le fruit d'une politique volontariste conduite depuis plusieurs mois par le ministère. Le 9 mai dernier, une circulaire relative à l'amélioration du traitement des violences conjugales et à la protection des victimes a été publiée à l'attention des procureurs de la République et des procureurs généraux. Je rappelle dans ce document qu'il s'agit d'une priorité nationale de politique pénale et leur donne instruction d'utiliser toute la gamme des outils à leur disposition. J'y exprime mon souhait que soit développé le recours à l'ordonnance de protection, un dispositif efficace malheureusement insuffisamment prononcé et trop rarement demandé, tant par les avocats que par les procureurs. J'incite en particulier ces derniers à solliciter de leur propre initiative le juge aux affaires familiales pour qu'une telle ordonnance soit délivrée dans les cas où ni la victime ni son avocat n'en ferait la demande.
Parce que la violence au sein du couple comporte certaines spécificités, et que des mécanismes psychologiques - comme l'emprise - n'ont été clairement identifiés et définis que récemment, j'ai également souhaité renforcer l'offre de formation des magistrats. De nouvelles formations ont été ouvertes en collaboration avec l'École de la magistrature non seulement aux magistrats, mais aussi aux personnels de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), aux officiers de police judiciaire, aux avocats et aux associations sur l'ensemble du territoire national. Il se trouve que j'ai rencontré hier soir une magistrate expérimentée qui venait de suivre une de ces formations ; elle m'a dit l'avoir trouvée extrêmement utile et intéressante.
Dans la même circulaire, j'ai souhaité que soit augmenté le nombre de téléphones grave danger (TGD) et que leurs critères d'attribution soient assouplis. Parce que cet outil de protection s'est avéré efficace, il convient en effet d'en élargir le déploiement.
Enfin, j'ai souhaité que les dossiers d'homicides conjugaux, de féminicides, suivis entre 2014 et 2016 et définitivement jugés à ce jour soient étudiés, analysés de sorte qu'on identifie les failles systémiques qui, dans la prise en charge des personnes ayant fait savoir qu'elles subissaient des violences, n'ont pas permis de prévenir un dénouement tragique. Voilà quelques exemples du plan d'action qui se déploie au sein du ministère de la justice.
Enfin, et c'est le dernier point que j'aimerais aborder avant vos questions, je crois profondément que nous devons faire évoluer nos méthodes de travail et nos pratiques. Il me paraît essentiel, fondamental que nous parvenions à mieux travailler ensemble, c'est-à-dire à mettre en place là où c'est le plus pertinent une procéduralisation de la prise en charge des victimes de violences conjugales. Comment une femme est-elle prise en charge lorsqu'elle se rend dans une association, à l'hôpital, ou chez un avocat ? Quelle procédure faut-il enclencher pour éviter les failles, les blancs, les interstices ? Il est capital de décloisonner le travail des institutions et des services compétents dans ces dossiers. C'est de la sorte que nous pourrons, je l'espère, améliorer la situation.
Je constate en effet qu'à certains endroits, les juges aux affaires familiales, les procureurs, les juges des enfants travaillent « en silo », alors que les dossiers traités requerraient une symbiose entre les acteurs, ce qui est d'ailleurs déjà leur façon de faire dans d'autres domaines. De plus en plus d'initiatives visant la mise en commun, le travail en symbiose apparaissent sur notre territoire, comme à Lyon, où c'est véritablement l'état d'esprit du procureur général et des procureurs. Afin de généraliser cette approche, nous allons, à partir des expérimentations positives, mettre à disposition sur notre site internet un guide des bonnes pratiques de traitement des situations en urgence au sein des juridictions et avec les autres partenaires.
Tous les services de l'État sont mobilisés dans la lutte contre les violences conjugales, mais notre discours devant la représentation nationale se doit d'être responsable : le risque zéro n'existe pas, et je ne peux devant vous promettre l'éradication totale des féminicides. Je vous assure en revanche que les acteurs du ministère de la Justice sont animés d'une volonté farouche pour mieux travailler avec nos premiers partenaires que sont la police et la gendarmerie et avec le monde associatif, sans lequel nous ne pouvons rien faire. C'est à partir de cette action coordonnée que nous pourrons formuler des propositions très concrètes et très pertinentes.
En conclusion, je tenais à vous informer que l'un des dix groupes de travail dont la création a été annoncée le 3 septembre dernier par Marlène Schiappa, le groupe de travail « justice », a été constitué hier et s'est réuni pour la première fois. Les échanges au cours de cette réunion à laquelle j'ai participé étaient extrêmement riches et quelques idées concrètes ont d'ores et déjà émergé, notamment de la part d'associations et de magistrats ; c'est précisément ce qui me paraît utile et intéressant.