Sur le premier point, c'est-à-dire la formation, il me paraît important de souligner que nous avons déjà travaillé au sein du ministère de la Justice. Nous avons élaboré des journées de formation déconcentrée qui s'appuient sur un kit facile à utiliser et que les magistrats peuvent suivre sur l'ensemble du territoire, dans chaque ressort de tribunal. Cette facilité permet de toucher un nombre plus grand de professionnels ; il est plus difficile en effet de se rendre dans les centres de l'École de la magistrature à Paris ou à Bordeaux. Le kit comporte un volet sur la nature des violences conjugales – les violences physiques ou psychologiques, le phénomène d'emprise – et des fiches réflexes contenant des éléments concrets permettant d'adapter sa pratique professionnelle.
J'ai apporté ici plusieurs exemples de ces fiches pour que vous puissiez en prendre connaissance : éléments fondamentaux, parquet, juge aux affaires familiales, juge d'application des peines, juge des enfants, évaluation du danger. Ces fiches ne se résument pas à un simple recto verso : elles contiennent des données extrêmement précises et constituent de véritables guides de pratique professionnelle pour chaque situation rencontrée par les magistrats. Par exemple, dans la fiche réflexe « juge aux affaires familiales », le premier point est intitulé « savoir comment détecter et aborder les situations de danger », le deuxième « avoir une attitude adaptée lors de l'audience », le troisième « utiliser au mieux les outils de la loi pour protéger les victimes » ; et, sous chaque chapeau, les outils sont très détaillés.
Des éléments nouveaux ont également été introduits dans la formation initiale. Enfin, dans le cadre de la formation obligatoire continue des magistrats, les sessions intervenant à chaque changement de fonction - en théorie tous les trois ou quatre ans, en pratique tous les deux ans - comporteront un volet sur la lutte contre les violences au sein du couple.
Vous avez évoqué le groupe de travail commun aux ministères de la Justice et de l'Intérieur, qui est aujourd'hui à l'oeuvre. Nous pourrons vous en adresser les conclusions.
Vous m'avez interrogée sur l'accueil des victimes et sur les refus de plaintes. Si ces situations existent bel et bien, elles sont juridiquement impossibles : l'obligation pour les officiers de police judiciaire de recevoir les plaintes déposées par les victimes d'infractions à la loi pénale figure à l'article 15-3 du code de procédure pénale. Telle n'est malheureusement pas la réalité ; aussi ai-je rappelé à de nombreuses reprises à quel point il était important que ces plaintes puissent être reçues.
M. Castaner a dû vous présenter d'autres outils au service de l'écoute des victimes. Ils ne sont pas encore mis en place sur l'ensemble du territoire, mais des dispositions sont néanmoins prises pour que l'écoute des victimes soit effectuée dans des conditions particulières.
Pour ce qui concerne le ministère de la Justice, nous avons prévu que le dépôt de plainte puisse être effectué dans le cadre des unités médico-judiciaires. J'étais récemment à Bayonne dans un service hospitalier de prise en charge des victimes. Si une femme accepte de porter plainte, les procédures sont formalisées pour qu'une personne vienne recueillir sa plainte au sein de l'unité hospitalière. Ce système doit être déployé partout.
Enfin, des plateformes numériques permettent pour l'instant de déposer des pré-plaintes en ligne. J'ai pu voir comment fonctionne une de ces plateformes : les personnes commencent à échanger avec un officier de police ou de gendarmerie formé pour amener les femmes à parler et les inciter à porter plainte. Cela se fait parfois à plusieurs reprises, des systèmes automatiques d'effacement des conversations sur internet étant prévus. La loi de réforme de la justice que vous avez votée va nous permettre de transformer ces plateformes de pré-plainte en ligne en plateformes de plainte en ligne ; nous travaillons d'arrache-pied avec le ministère de l'Intérieur pour qu'elles soient très rapidement opérationnelles.
Enfin, lorsque des magistrats ou des procureurs reçoivent des plaintes, des dispositifs prévoient immédiatement une mise en relation des victimes, opérée par le ministère de la Justice, avec des associations.
Certaines de ces procédures sont déjà généralisées tandis que d'autres, comme celle que je viens de mentionner, doivent encore l'être.
Je n'ai pas d'éléments chiffrés permettant d'affirmer que le téléphone grave danger et les ordonnances de protection ont permis d'éviter un nombre donné de féminicides. Je peux toutefois vous dire que la circulaire du 9 mai incite les procureurs à se saisir des dispositifs d'ordonnances de protection et des TGD pour les utiliser beaucoup plus largement. Nous avons assoupli les conditions d'attribution des TGD, et depuis cette circulaire, le nombre de téléphones à la disposition des juridictions et mis en service pour les victimes s'est accru. Les TGD sont des téléphones similaires à tous les autres, équipés d'un petit bouton sur le côté permettant d'alerter immédiatement les services de police ou de gendarmerie. Les services de police ou de gendarmerie se déplacent immédiatement en cas d'appel. Ce n'est pas le cas avec les bracelets anti-rapprochement : quand le dispositif se déclenche, quelqu'un prend contact avec la personne qui le porte, mais sans qu'un déplacement soit immédiatement décidé.
Je n'ai pas de données chiffrées pour déterminer le surcroît de protection que ces dispositifs ont permis, d'ailleurs je ne sais pas s'il est possible de le savoir, mais nous pourrons réfléchir à des critères d'évaluation tels que ceux que vous suggérez.