Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du mercredi 18 septembre 2019 à 17h35
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la Justice :

Madame Lazaar, la première de vos trois questions porte sur les ordonnances de protection, que vous souhaitez voir plus fréquemment mises en oeuvre. C'est un point sur lequel j'ai beaucoup insisté dans la circulaire du 9 mai. Je n'ai pas aujourd'hui de statistiques sur l'augmentation du recours à ces ordonnances, il faut un petit temps d'organisation et les données dont je dispose ne portent que sur le premier trimestre 2019. Lorsque je me rends sur le terrain, j'ai le sentiment que les choses sont en train de bouger et qu'une prise de conscience est en cours suite à l'ensemble des dénonciations qui ont eu lieu. Mais il est vrai que nous sommes en retard par rapport à l'Espagne, où plus de 30 000 ordonnances de protection sont délivrées, puisque nous n'atteignons même pas 10 % de ce chiffre. En 2018, les juges aux affaires familiales ont été saisis de plus de 3 332 demandes de protection et plus de 600 demandes ne sont pas allées au terme de la procédure. Seules 2 703 décisions ont ainsi été rendues. Nous sommes donc très en deçà de ce qu'il est possible de faire ; je souhaite que ces chiffres soient améliorés.

Concernant le bracelet anti-rapprochement, vous avez évoqué la demande d'expérimentation qui était très soutenue à Pontoise. J'étais sur le point de la lancer, je m'étais rendue à Pontoise et j'avais trouvé que la présidente du tribunal et les acteurs impliqués étaient très engagés. Des start-ups proposaient même le bracelet et j'étais décidée à le faire. C'est lors de la réunion que j'ai organisée dans mon bureau pour demander à mes services de lancer l'expérimentation que l'on m'a expliqué que cette expérimentation est vouée à l'échec car les critères d'attribution de ces bracelets sont trop fermés. Nous avons donc décidé de changer de méthode et de modifier les critères avant de généraliser le dispositif sans en passer par l'expérimentation. C'est la raison pour laquelle nous allons nous saisir des propositions de loi qui ont été déposées par MM. Gouffier-Cha, Vuilletet, Pradié et par Mme Boyer, pour travailler à une solution cohérente qui réponde à cette exigence.

Je souhaite me rendre en Espagne; Isabelle Rome, la haute fonctionnaire à l'égalité entre les femmes et les hommes du ministère, qui fait un travail remarquable, s'y est déjà rendue. Suite à de nombreuses rencontres avec les magistrats en charge des violences conjugales et professionnelles, elle a constaté que les résultats sont très intéressants. Près de 39 000 ordonnances de protection ont été prises en 2018, avec des résultats très probants. Le système du bracelet espagnol, qui s'appelle Cometa, permet par ailleurs de réduire drastiquement le nombre de féminicides : il y en a eu moins de cinquante en 2018.

La question du traitement des enfants est majeure, comme le rappelle le cas que nous avons récemment connu au Havre. Qu'ils soient témoins du féminicide ou des violences, leurs traumatismes sont sûrement très difficiles à résoudre. Il est essentiel de construire un schéma de prise en charge médicale et juridique de ces enfants. Nous avons appelé l'attention des parquets sur la mise sous protection des enfants dans la circulaire du 9 mai. Certains parquets ont construit des dispositifs précis, prévoyant des protocoles de prise en charge immédiate de ces enfants et une évaluation en urgence. Elle se fait parfois de manière complètement isolée du contexte familial, pour que, dans un moment très douloureux, l'évaluation soit la plus objective possible. À Lyon, un protocole a été élaboré entre le parquet et l'hôpital, avec une médecin qui a beaucoup travaillé sur le traumatisme des victimes de violences, donc des enfants. Elle nous expliquait qu'il fallait couper complètement l'enfant de sa famille pendant deux ou trois jours pour mesurer l'étendue du traumatisme de ces enfants. Nous pourrions généraliser ces protocoles, mais il faut que nous l'envisagions en lien avec ma collègue ministre de la Santé. C'est après cette évaluation médico-psychologique que l'on peut décider du meilleur placement possible pour l'enfant qui vient de perdre, d'une part, sa mère et, d'autre part, en raison de sa condamnation, le compagnon de cette dernière, qui peut être son père. Nous devons nous atteler à ce chantier, beaucoup d'évolutions positives peuvent être apportées.

Monsieur Dunoyer, je pense effectivement qu'il est nécessaire de prendre en compte la spécificité des territoires ultramarins, Nouvelle-Calédonie ou Polynésie, la singularité des territoires et des aspects culturels ne pouvant être méconnue.

Je porte une attention particulière au statut coutumier : nous avons en effet mis en oeuvre les travaux d'intérêt général coutumiers et je propose de travailler avec vous à la prise en compte de ces spécificités. Votre question nous ramène à la concrétisation de toutes les décisions que nous prenons. C'est vital car les textes juridiques ne sont pas suffisants à eux seuls.

Je prends acte de la résolution des difficultés techniques qui empêchaient le déploiement des TGD en Nouvelle-Calédonie et je suis désireuse de mettre à la disposition du territoire un certain nombre de ces appareils.

La généralisation du dépôt de plainte à l'hôpital a été annoncée par le Premier ministre. Elle impose une réflexion sur le secret médical auquel les médecins sont très attachés. C'est une des questions qui m'a été posée lorsque je me suis rendue à Bayonne, où les médecins étaient très ouverts et désireux de partager l'information, mais c'est un sujet que nous ne pouvons pas méconnaître.

Il faut également aménager dans les unités médico-judiciaires des locaux adaptés à la prise en charge des enfants et des victimes. Il faut également que les personnels soient joignables à tout moment car les victimes ne se présentent pas seulement entre 9 heures et 17 heures. Il faut pouvoir prendre en charge l'urgence médicale et recueillir la plainte, parfois en dehors des horaires classiques.

Cette généralisation du dépôt de plainte sera mise en place, mais ce qui m'inquiète le plus, ce sont les femmes qui ne souhaitent pas porter plainte. Nous devons arriver à faire évoluer cela. Le dépôt de plainte peut prendre du temps ; que se passe-t-il après qu'une victime de violences a été soignée et traitée à l'hôpital ? Il y a là une faille, nous devons prendre en charge et suivre ces femmes, pas à pas, avec les associations. Ce sont ces failles qui me terrifient : il faut que nous disposions de dispositifs de prise en charge de l'hébergement ou de simple accompagnement. Il faut arriver à trouver des solutions sur mesure, au cas par cas. Plus nous arriverons à créer la confiance, plus le dépôt de plainte sera facilité.

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