Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du mercredi 18 septembre 2019 à 17h35
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la Justice :

Je vous remercie de ces questions.

Mme Krimi, la première, a employé la formule de « signaux faibles », qui est en effet très juste. Comment fait-on donc pour les gérer ? Ne faudrait-il pas instaurer, dites-vous, un « standard opérationnel », c'est-à-dire un modèle d'identification de la personne qui s'adresse à une association, à un hôpital, etc., afin qu'une trace demeure ?

La difficulté, évidemment, c'est le partage de cette trace. Nous avons été un peu dans le sens que vous indiquez – peut-être pas assez clairement - dans le Guide pratique de l'ordonnance de protection. Nous avons ainsi proposé aux associations de délivrer des attestations de visite afin de prouver la réitération des faits quand la personne sera prête à porter plainte. Cela ne correspond pas exactement à votre proposition, j'en ai conscience, et sans doute faut-il approfondir cette dernière afin d'examiner la manière de la concrétiser.

Je me permets, ici, d'attirer votre attention sur le dépliant que nous diffusons partout et qui décrit le processus que doivent suivre les victimes.

Vous m'avez interrogée sur la nécessité de penser aux hommes et d'accompagner les hommes violents. Mme Abadie a répondu à ma place : nous disposons d'un ensemble de mesures de prise en charge de ces derniers dès lors qu'ils sont repérés comme tels mais nous sommes face à la même difficulté que pour la gestion des signaux faibles, sauf à faire intervenir le système éducatif – la prise en compte de l'éducation affective et sexuelle a d'ailleurs été évoquée lors du Grenelle, en y incluant des éléments sur la lutte contre les violences.

Très tôt, dès 1997, j'ai quant à moi écrit à la demande de Jack Lang un document sur la nécessité d'instaurer un module de prise en charge de l'éducation affective et sexuelle à l'école. La question des violences y était au coeur et je crois que Jean-Michel Blanquer, sans reprendre mon idée, travaille en ce sens.

Autre point concernant les signaux faibles : hier, la question du signalement par les associations auprès des procureurs a été posée de manière insistante dans le cadre du groupe de travail que j'ai installé. Nous avons beaucoup échangé à ce propos et nous allons voir comment concrétiser tout cela d'une façon plus pérenne.

Il est vrai qu'il convient de prévoir aussi des logements afin d'éloigner les hommes auteurs de violences mais, aussi, des stages obligatoires s'ils sont sous contrôle judiciaire ou en détention ou bien trouver d'autres types de structures, notamment associatives, pouvant dispenser des formations. En disant cela, je suis assez mal à l'aise car ce ne sont que des mots : il est facile de dire qu'il faut plus de logements et qu'il faut faire des stages ! Certes, nous sommes tous d'accord mais, concrètement, comment faisons-nous, qui les organise, à quel niveau, avec quelles incitations ? C'est sur une telle concrétisation que nous devons travailler.

Mme Abadie m'a interrogée sur les signaux faibles et la possibilité de mettre en place des cellules de coordination sur le plan de l'arrondissement, le plan départemental lui apparaissant trop vaste. Vendredi dernier, j'ai diffusé auprès des procureurs et procureurs généraux une circulaire que le ministre de l'Intérieur a quant à lui diffusé auprès des préfets – il a dû vous en parler – afin d'organiser la mise en réseaux de diverses associations au sein de ces cellules pour que nous puissions répondre aux besoins, notamment, à ceux des procureurs dans le cadre de l'accompagnement des parcours judiciaires.

Un travail de rapprochement est en cours mais, là encore, nous devrons voir concrètement, sur le terrain, comment les partenaires vont s'emparer de cet outil.

Je ne saurais vous répondre plus concrètement que ce que Mme Abadie a présenté. Nous disposons de nombre d'outils : la justice restaurative en est un, mais il y a aussi les stages, les suivis thérapeutiques… Le problème, ensuite, est de savoir comment sortir de ce qui est ponctuel pour passer à un système qui ne laisse aucun espace interstitiel. Au moment où je vous parle, je n'ai pas la réponse et c'est cela que nous devons parvenir à élaborer précisément.

M. Balanant, vous m'interrogez sur les dispositifs précis visant à accroître la pose de bracelets électroniques. J'ai lu diverses propositions. Un travail sera organisé avec les parlementaires et les cabinets ministériels pour parvenir à quelque chose de clair. Nous avons bien entendu repéré la difficulté constitutionnelle qu'il y a à imposer un bracelet, c'est-à-dire une atteinte à la liberté d'aller et devenir, à quelqu'un qui n'est pas condamné. Néanmoins, après un début d'étude juridique, nous pensons qu'il faut distinguer entre le juge civil et le juge pénal. Nous souhaitons que le bracelet puisse être, si je puis dire, « proposé » par les deux juges.

Le juge pénal pourra l'imposer tant en pré-sententiel qu'en post-sententiel. En l'occurrence, il n'y a aucune difficulté constitutionnelle. Le juge civil, quant à lui, pourra dire qu'il souhaite la pose d'un bracelet mais, faute du consentement de l'auteur des violences, je crois qu'il ne pourra pas l'imposer - nous allons travailler encore cet aspect-là du problème mais je crois qu'il ne pourra pas l'imposer. Cela étant, le refus d'un bracelet ne constituera pas un élément favorable dans la prise en compte plus globale de la situation de l'intéressé.

Tout cela doit être vérifié et je parle sous la réserve de toutes les études que nous devons encore conduire dans le cadre du travail législatif. Notre idée n'en reste pas moins de développer la pose de ces bracelets le plus largement possible.

Enfin, Mme Taurine soulève une vraie question, celle de la confiance en notre système : un certain nombre de femmes ne porteraient pas plainte car cela ne servirait à rien, cela n'aboutirait pas. Je réponds que l'ensemble des dispositifs que nous envisageons là, précisément, témoigne que nous faisons tout pour que la confiance soit rétablie.

Quelles propositions concrètes faisons-nous, demandez-vous ? Je viens de les décliner à l'instant, depuis le bracelet jusqu'au développement du recours à l'ordonnance de protection qui, je ne l'ai pas précisé, peut être octroyée sans que la personne ait porté plainte. Il s'agit d'un élément de confiance mais, outre que personne ne le sait, il est probable que la femme victime de violence ne sache pas – ou insuffisamment - ce qu'est l'ordonnance de protection elle-même. C'est précisément à ce moment-là que les associations et l'ensemble des acteurs doivent jouer leur rôle d'accompagnement.

Vous m'avez aussi interrogée sur la possibilité de créer des tribunaux spécialisés comme en Espagne. C'est une hypothèse à laquelle nous avons songé mais je n'ai pas souhaité lui donner suite car les cas étant si nombreux, ils doivent pouvoir être traités dans la proximité par l'ensemble des tribunaux. C'est pourquoi, plutôt que des tribunaux spécialisés, je souhaite créer des procédures d'urgence qui pourraient être déployées dans tous les tribunaux. Comme l'a dit le Premier ministre, une réponse pourrait être apportée en quinze jours. Il serait peut-être possible, dans les tribunaux les plus importants, de disposer de chambres ou de filières spécialisées mais ce ne sera pas possible dans les plus petits. C'est à la définition de cette procédure d'urgence que nous travaillons.

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