Intervention de Anne-Cécile Mailfert

Réunion du mercredi 25 septembre 2019 à 15h10
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes :

La Fondation des Femmes est la fondation de référence en France en matière de droits des femmes et de lutte contre les violences faites aux femmes. Grâce aux dons qu'elle reçoit, elle apporte un soutien financier, juridique et matériel aux initiatives associatives qui nous paraissent les plus impactantes.

Devant les demandes de familles de victimes de féminicide que nous avons reçues ces derniers mois et les moyens insuffisants des associations, nous avons décidé de mettre nos avocates et nos ressources à disposition pour rassembler plus d'une trentaine d'associations et construire un plaidoyer, une plateforme de propositions sur les féminicides.

C'est dans ce cadre que je profite de la tribune qui m'est donnée pour prendre du recul par rapport à ce qui a été dit puisque nous ne sommes pas directement sur le terrain, et lancer un cri d'alarme.

La situation en cette année 2019 est tout à fait extraordinaire. Parlons d'abord de ce qui est ordinaire. En France, les violences sont légion, les associations y répondent difficilement car elles n'ont pas suffisamment de moyens, et à peu près 130 féminicides en moyenne sont commis par an par conjoint ou ex-conjoint violent. En France donc, on assassine.

En tant que financeur (nous finançons plus d'une centaine d'associations partout en France), il nous est apparu essentiel de savoir quel dispositif devrait être financé pour améliorer cet état de fait. Nous avons commencé à travailler sur le sujet des féminicides avec le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes et le Conseil économique social et environnemental (CESE) dans un rapport que nous avons co-porté, qui s'appelait Où est l'argent contre les violences faites aux femmes ? rédigé en 2018.

Nous nous sommes rendu compte que la plupart des féminicides suivaient des grandes tendances et qu'ils avaient souvent lieu dans les jours ou les semaines qui suivent une séparation et un dépôt de plainte. Conclusion : lorsque les femmes quittent leurs conjoints et que ces conjoints sont extrêmement violents, la violence explose et elles sont en danger de mort. Nous savons en danger de qui et nous savons quand. Dans notre pays, on assassine.

Dans ce rapport, nous avions étudié les dispositifs de sortie des violences, l'accompagnement, la protection des femmes dans les semaines au cours desquelles elles sont le plus en danger, quand elles quittent leur conjoint. Nous avions déjà constaté en 2018 qu'ils étaient sous-dimensionnés, et qu'il aurait fallu multiplier le budget par 7.

Nous avions également constaté un nombre assez impressionnant de dysfonctionnements, générés parfois par ce manque de moyens, parfois par manque de formation, de manque de prise en compte de l'importance de ce sujet (problématique d'ordonnances de protection, de plaintes, de non-lieux…) Ce constat est déprimant, mais il est aussi source d'espoir, car avec une volonté politique, les dysfonctionnements se règlent et les moyens augmentent. Nous sommes donc absolument persuadés que les féminicides ne sont pas une fatalité, même si la société continue plutôt à faire la sourde oreille avec une forme d'état d'impunité qui favorise les violences. Depuis 2018, on sent cependant un changement. Nous avons mené une étude avec l'institut de sondage Kantar, qui montre que 57 % des Français considèrent que la priorité nº1 en matière d'égalité entre les femmes et les hommes est la lutte contre les violences conjugales. Loin derrière, l'égalité salariale arrive en troisième priorité, avec 33 % des sondages exprimés.

Si la société avance, le reste stagne. Les moyens n'ont pas encore été augmentés, les dysfonctionnements pas encore réglés. Pire encore, les féminicides ont augmenté. À la date d'aujourd'hui, il y a eu 87 féminicides en 2018, contre 109 en 2019. L'augmentation est de 25 % en 2019. La situation n'est donc plus ordinaire, mais extraordinaire. Nous allons finir cette année avec un chiffre record de femmes assassinées dans notre pays, et ce n'est pas parce qu'on s'y intéresse enfin ; on s'y intéresse enfin parce que la situation est extraordinaire.

Pourquoi ? Il est trop tôt pour être absolument certain des raisons. Pour nous, la plus vraisemblable, c'est que suite à « Me too », cette année de libération de la parole, le message sur les violences perce enfin les différentes couches de la société. 40 % de plaintes en plus en 2017, 23 % en plus en 2018, c'est impressionnant. Ça y est, les femmes parlent enfin.

Mais les femmes qui trouvent enfin le courage de parler nous font confiance. En portant plainte, en quittant leurs conjoints, elles leur échappent. Cela fait exploser la violence et les met en danger de mort. Elles sont en danger en restant chez elles, mais c'est dans les semaines qui suivent le départ que leur vulnérabilité est au plus haut. Nous devons prendre en compte notre responsabilité. En les incitant à porter plainte et à partir, nous leur faisons la promesse que nous allons être là et les protéger. Lorsque nous ne tenons pas cette promesse, nous participons de leur mise en danger. En France, on assassine.

Qu'avons-nous fait pour que les réponses judiciaires, policières, d'hébergement et d'accompagnement associatif soient à la hauteur de cette libération de la parole ? Comme nous le montrions en 2018, le système de prise en charge était déjà sous-dimensionné en temps normal. Aujourd'hui, il est en explosion. Quand nous disons aux femmes que nous pouvons les aider, nous leur mentons. Nous n'avons pas les moyens de le faire correctement. À Sarcelles, où la Fondation des Femmes lance un grand projet avec l'association Du Côté des femmes, 30 femmes n'avaient pas, en septembre, de places d'hébergement. À la suite de l'excellente campagne sur le numéro d'écoute national 3919, elles sont maintenant trois fois plus nombreuses à demander de l'aide.

Ce n'est qu'un exemple. Des travailleuses sociales sont en burn-out et si les demandes explosent, les moyens n'ont pas été multipliés par trois. Les assassinats, eux, ont augmenté d'un quart. C'est dans ce contexte inédit que nous avons, depuis le mois de mars, alerté les pouvoirs publics et demandé la tenue d'un Grenelle des violences conjugales. Ce travail s'est fait en soutien des familles de victimes, désespérées devant cette situation terrible.

Nous avons rencontré Mme Belloubet en avril, et Mme Schiappa et M. Castaner en juillet. Un Grenelle nous a été accordé. C'est un signe extrêmement positif de voir l'ensemble du Gouvernement se rassembler dans cette lutte qui, il y a peu de temps, était encore si peu visible.

En parallèle du Grenelle, le projet de loi de finances est en ce moment en discussion. Il est illusoire de penser qu'on pourra endiguer un phénomène en explosion sans prévoir des moyens supplémentaires. S'il y avait une critique à faire au Grenelle, c'est bien celle-là. Nous comptons sur le Gouvernement, sur vous, sur le Parlement et sur l'ensemble des pouvoirs publics pour agir à la mesure de cette situation dramatique.

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