Outre les trois professionnels de terrain, l'équipe se composait de représentants du département du Nord, de l'Association des départements de France et de la région Nouvelle-Aquitaine en la personne de Françoise Jeanson.
Le but de la mission n'était pas du tout de refaire le rapport de Dominique Libault, ni de procéder à une nouvelle concertation, mais bien de définir une stratégie opérationnelle visant à rendre attractifs les métiers de l'autonomie et du grand âge – ce qui inclut les personnes en situation de handicap, au domicile desquelles les professionnels interviennent également.
Nous avons, avec cette équipe d'une quinzaine de personnes, procédé à quelque cent cinquante auditions et effectué de nombreuses visites de terrain, pendant près de 80 heures, en essayant de nous nourrir de toutes les innovations que nous trouvions.
Ce qui nous a frappés d'emblée, c'est le gouffre qui sépare, pour les salariés, notamment les aides-soignants et les auxiliaires de vie, la fierté qu'ils ressentent d'exercer un métier qui a un sens et le sentiment d'être invisibles dans les champs public et médiatique. Partant de ce constat, nous avons élaboré une réforme « organique », articulée en quatre axes qui se tiennent. Ainsi, nous n'arriverons pas à rendre ces métiers attractifs si nous ne sommes pas capables à la fois de répondre à l'enjeu des conditions de rémunération et de faire baisser la sinistralité dans ce secteur.
Beaucoup de professions auraient mérité de figurer dans ce rapport, mais nous avons choisi, dès le début, de nous concentrer sur les métiers d'auxiliaire de vie, ou d'accompagnant éducatif et social à domicile, et d'aide-soignant, considérant que ces deux professions se trouvent aujourd'hui en souffrance. Cela ne signifie pour autant pas que nous nous sommes interdit de citer ou de faire des propositions en lien avec des infirmiers, des médecins ou des responsables de secteur.
Notre état d'esprit était partagé entre l'empathie vis-à-vis des professionnels et la responsabilité, voire la gravité. Il faut dire que, l'été dernier, 10 % des demandes d'intervention à domicile n'ont pas pu être satisfaites. Nous avons, par exemple, rencontré à Chatou un vieux monsieur qui avait, au cours d'un seul mois, selon son expression, « montré ses fesses à vingt-sept personnes différentes ». La dignité des personnes s'est ainsi imposée à nous comme un sujet de préoccupation.
Il nous est donc apparu que pour rendre ces métiers attractifs, il fallait non seulement accorder de la considération aux professionnels, mais aussi changer le regard que nous portons sur les personnes en perte d'autonomie. Car le manque de considération qu'elles – puisqu'il s'agit à 97 % de femmes – peuvent ressentir est le reflet de celui dont nous faisons preuve vis-à-vis des personnes en perte d'autonomie ou âgées.
Parmi les quatre axes essentiels que nous avons dégagés, le premier est d'assurer de meilleures conditions d'emploi et de rémunération.
En cherchant à évaluer les besoins, la question du ratio d'encadrement nous a beaucoup préoccupés, pour plusieurs raisons. D'abord, la population française vieillit ; d'ici à 2024, elle sera composée de plus de 7 % de personnes âgées ou en perte d'autonomie dont il faudra s'occuper. Ensuite, les Français sont majoritairement favorables à une approche domiciliaire, c'est-à-dire qu'ils souhaitent rester le plus longtemps possible chez eux. Sachant que les troubles cognitifs sont de plus en plus importants, il est nécessaire de s'armer. Enfin, nous avons jugé insuffisant le taux d'encadrement actuel. Emmanuelle Collet, aide-soignante membre de notre équipe, ne dispose aujourd'hui que de 6 minutes pour aider une personne âgée à prendre son repas. Cette situation plonge les salariés dans une très grande souffrance.
Leur revendication principale étant de ne plus avoir à choisir entre faire vite et faire bien, il nous a semblé important d'augmenter le taux d'encadrement. Nous avons évalué qu'il faudrait 18 500 personnes supplémentaires par an d'ici à la fin de 2024 pour le faire progresser de 20 %. Ces chiffres concernent les auxiliaires de vie, c'est-à-dire les personnes qui interviennent à domicile et les aides-soignants, et non l'ensemble des professions exerçant au sein des EHPAD.
Compte tenu des 60 000 offres d'emploi non pourvues aujourd'hui dans ce secteur ainsi que du turnover et des départs à la retraite massifs – la situation va devenir très complexe du fait de ces derniers pour l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) dans un an ou deux –, on voit bien qu'il faudra former environ 390 000 personnes d'ici à 2024, ce qui correspond à un doublement de l'offre actuelle de formation. Il faudrait former 75 000 personnes environ par an contre un peu plus de 32 000 aujourd'hui. C'est dire si l'effort à accomplir en matière de formation est considérable.
Second aspect du premier axe : la rémunération. Dans le secteur coexistent sept conventions collectives, beaucoup de fédérations, trois opérateurs de compétences (OPCO) et un organisme paritaire collecteur agréé (OPCA), pour près de cinquante-neuf certifications différentes. Autant dire qu'il est mal organisé.
Pour les salariés, un tel éparpillement ne facilite pas le passage d'un métier à un autre ou la prise en compte de l'ancienneté. En outre, certaines conventions collectives, notamment dans la branche de l'aide et des soins à domicile (BAD) dans le secteur associatif, offrent des garanties conventionnelles inférieures à celles du SMIC. Cela signifie que, non seulement les salariés sont rémunérés au SMIC, mais également qu'ils peuvent rester à ce niveau de salaire pendant une période allant de neuf à treize ans. Chacun conviendra que ces conditions ne permettent pas de rendre un métier attractif. C'est pourquoi nous proposons un abondement qui permette à cette convention collective, soumise à un agrément national, d'offrir un véritable déroulement de carrière n'écrasant ni les différents niveaux ni les différentes qualifications.
L'aide à domicile ne peut s'appréhender sans prendre en considération les temps de trajet. La réglementation relative aux indemnités kilométriques n'est pas respectée ou si peu – 30 % seulement des départements respectent l'avenant n° 36 à la convention de la BAD garantissant leur couverture. Certains salariés parcourent ainsi 3 000 kilomètres dont la moitié n'est pas payée. Il nous semble nécessaire, déjà, que les indemnités kilométriques soient revalorisées et que l'avenant n° 36 soit respecté, mais aussi que soit négociée, à l'échelle nationale, une offre qui permettrait aux accompagnants à domicile de s'équiper de véhicules personnels, et non de fonction pour ne pas complexifier leur mission au quotidien. Nous avons d'ores et déjà pris contact avec certains constructeurs.
Le deuxième axe de la stratégie que nous proposons est d'accorder une forte priorité à la réduction de la sinistralité et à l'amélioration de la qualité de vie au travail.
Je l'illustre par trois chiffres : le taux de fréquence des accidents du travail dans le secteur s'élève à 100 pour 1 000 salariés, contre 34 pour 1 000 en moyenne – je vois ici Mme Charlotte Lecocq, qui a remis au Premier ministre un rapport sur la santé au travail. À titre de comparaison, dans le secteur du bâtiment, qui a fait d'immenses efforts ces dernières années, ce taux s'élève à 60 pour 1 000.
La sinistralité atteint donc des records. Elle est due, pour une faible part, aux accidents de trajet, car les professionnels concernés sont très mobiles, et majoritairement à la pénibilité des postures et à la lourdeur des charges, que les intervenants supportent seuls, tant lors des interventions à domicile que dans les EHPAD. Même lorsqu'il s'agit de personnes fortement dépendantes, les professionnels n'ont pas la possibilité d'intervenir en binôme. En outre, ces métiers sont souvent exercés au cours d'une seconde carrière, une période où les corps sont abîmés.
À la charge physique s'ajoute la charge mentale, indéniablement forte, car on est confronté à l'effondrement à la fois des corps et des esprits, et parfois à la mort, d'autant qu'il est difficile pour les professionnels de partager et d'échanger avec leurs collègues sur leurs pratiques.
Dans cet axe de la qualité de vie au travail, nous avons proposé que, sur les 3,2 milliards d'euros d'excédents de la branche des accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), 100 millions d'euros soient consacrés à un programme national de prévention des risques professionnels et de lutte contre la sinistralité. Cette somme permettrait de financer des aides techniques, tant à domicile qu'en EHPAD, des préventeurs mutualisés à l'échelle de chaque département, qui tourneraient dans l'ensemble des structures, des formations destinées aux salariés et, surtout, leur remplacement afin qu'ils puissent se rendre en formation. Aujourd'hui, des formations sont certes organisées, mais si les salariés ne sont pas remplacés, les personnes restent alitées. S'agissant d'une mission d'une telle importance, il est essentiel d'avancer.
Nous avons auditionné les représentants de l'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP). Ils nous ont indiqué qu'en investissant environ 50 millions d'euros par an, la branche avait vu sa sinistralité baisser de 30 % au cours de la décennie écoulée. Il nous semble qu'eu égard aux 602 millions d'euros que l'assurance maladie consacre tous les ans aux aspects curatifs dans ce secteur, il serait essentiel d'affecter 100 millions d'euros à la prévention.
Par ailleurs, nous voudrions imposer quatre heures, payées, de temps collectif par mois au bénéfice des professionnels des services à domicile et en EHPAD. Aujourd'hui, les premiers ont droit à une heure seulement, les seconds à deux heures. Ce temps nous semble essentiel pour améliorer la qualité de la prise en charge des bénéficiaires, mais aussi pour tenter d'évacuer la charge mentale et échanger sur les bonnes pratiques avec les collègues et d'autres professionnels. Les 18 500 postes à créer par an que j'ai mentionnés ont été calibrés compte tenu de ces quatre heures de temps collectif.
Le troisième axe de la stratégie, c'est la modernisation des formations. Il s'agirait de supprimer le concours d'entrée en institut de formation au diplôme d'aide-soignant (IFAS) et de le remplacer par une sélection sur des critères de savoir-être, de capacité d'empathie et de volonté d'exercer un métier relationnel.
Supprimer le concours ne conduit pas à supprimer la formation elle-même : seul l'accès à celle-ci serait modifié. Il nous a semblé que l'épreuve écrite, notamment savoir répondre que la DGOS est la direction générale de l'offre de soins, n'était pas impérative pour pouvoir suivre neuf mois de formation, et qu'elle constituait un frein au recrutement de personnes ayant l'empathie et le savoir-être nécessaires pour exercer ces métiers.
L'inscription aux formations serait organisée par le biais de Parcoursup, ce qui nécessiterait de créer une modalité spécifique puisqu'un tiers des personnes accédant à ces métiers aujourd'hui n'est pas titulaire du baccalauréat. Il faut que ces personnes puissent continuer à s'orienter dans cette voie.
Autre point important, la gratuité de la formation doit être garantie. Paradoxalement, dans un pays où la formation des médecins est gratuite, certaines aides-soignantes doivent débourser jusqu'à 7 000 euros pour suivre leur formation. Il ressort d'une étude menée auprès de toutes les régions qu'elles sont 5 % à 10 % à ne pas bénéficier d'une prise en charge, notamment lorsqu'il s'agit d'une reconversion professionnelle. Certaines personnes désireuses de s'orienter dans cette voie se voient même contraintes de démissionner puis de s'inscrire auprès de Pôle emploi pour faire financer leur formation.
Tout cela nous a semblé particulièrement hypocrite, alors même que nous avons véritablement besoin, partout sur le territoire, de ces professions. Voilà pourquoi nous estimons qu'il faut rendre de telles formations gratuites, tout en réduisant drastiquement l'éventail des diplômes.
Par ailleurs, nous voulons porter à 10 % la part de l'apprentissage, dont le régime a été considérablement assoupli par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Un décret relatif aux quotas reste en vigueur dans le secteur médico-social, mais je vous fais confiance pour qu'il soit abrogé. Lorsqu'ils sont gratuits, les stages ne posent aucune difficulté, mais dès lors qu'il s'agit de signer un contrat d'apprentissage, on voit bien que des changements culturels s'imposent pour développer ce métier. Il importe d'avancer dans cette voie.
Nous proposons, en outre, de porter à 25 % la part des diplômes délivrés chaque année dans le cadre de la validation des acquis de l'expérience (VAE), notamment grâce aux possibilités ouvertes par la VAE hybride et la VAE inversée. Il existe toutefois un réel besoin de financement de l'accompagnement à ces dispositifs. Nous souhaitons également, comme pour l'apprentissage, privilégier la VAE collective, c'est-à-dire déployée à l'échelle de plusieurs structures.
Développer les perspectives de carrière, c'est aussi apporter davantage de reconnaissance et de considération. Une des solutions consisterait à favoriser la modularité des formations. Aujourd'hui, un étudiant peut s'inscrire sur Parcoursup pour suivre une formation d'infirmier, mais il doit passer un concours pour accéder à celle d'aide-soignant. Alors qu'un étudiant infirmier qui valide sa première année sur les trois que compte sa formation peut demander le diplôme d'État d'aide-soignant, l'aide-soignante, elle, doit passer le concours et aller au bout des trois ans. Nous proposons que les aides-soignants en poste puissent accéder directement à la deuxième année du cursus d'études d'infirmier. C'est pourquoi nous proposons de supprimer ce concours et d'ouvrir l'inscription aux centres de formation sur la plateforme. Il faut enfin permettre aux professionnels d'accéder à une formation d'assistant de soins en gérontologie (ASG), pour qu'ils acquièrent des compétences et des connaissances spécifiques sur les personnes en perte d'autonomie.
Le quatrième axe du rapport vise à innover pour transformer les organisations. Des structures innovantes sont déjà en place ; je laisse la parole à Fabienne Barboza pour vous présenter celle où elle exerce.