Intervention de Fabienne Barboza

Réunion du mardi 3 décembre 2019 à 17h30
Commission des affaires sociales

Fabienne Barboza :

Voilà trois ans que je travaille chez Alenvi, une jeune startup qui a obtenu l'agrément entreprise solidaire et d'utilité sociale. Aujourd'hui, quand on travaille chez Alenvi, on est aussi auxiliaire d'envies, car notre métier est de gérer les envies. La structure est innovante parce que les auxiliaires de vie organisent elles-mêmes leur planning : il n'y a pas de coordinatrices, mais plutôt des coaches qui accompagnent les équipes dans l'autonomie.

D'abord, la sectorisation me paraît l'un des aspects les plus importants de l'organisation, car elle permet de limiter le temps de trajet. Chaque communauté travaille dans un arrondissement bien défini de Paris, à Boulogne, dans les Hauts-de-Seine ou dans le Val-de-Marne. Les auxiliaires sont donc proches de leur lieu de travail ou du domicile des personnes qu'elles accompagnent.

Ensuite, chaque communauté organise les visites auprès des familles et du bénéficiaire, et les auxiliaires évaluent elles-mêmes le besoin des personnes qu'elles vont accompagner. Elles établissent leur planning et prévoient les remplacements entre collègues, car l'expérience montre que c'est plus facile de procéder ainsi que de passer par une coordinatrice. Les auxiliaires font elles-mêmes leur prospection et rencontrent leurs futurs prescripteurs : assistantes sociales, médecins, équipes spécialisées Alzheimer (ESA), maisons pour l'autonomie et l'intégration des malades Alzheimer (MAIA) ou centres locaux d'information et de coordination (CLIC). Le suivi de la qualité des prestations est pris en charge dans chaque équipe par une auxiliaire référente qui appelle les familles pour s'assurer que tout se passe bien et recueille les suggestions d'amélioration.

Toutes ces tâches peuvent paraître nombreuses, mais sur 35 heures de travail, 85 % sont effectuées à domicile et 15 % en interne. En d'autres termes, l'auxiliaire ne passe pas la totalité de son temps de travail au domicile des patients et peut développer d'autres compétences, qui lui permettront plus tard, si elle le souhaite, d'exercer comme coach en accompagnant d'autres auxiliaires et de gravir ainsi les échelons au sein de l'entreprise.

Un autre aspect innovant de la structure est son comité de pilotage, ou comité de gouvernance partagée, où chaque équipe est représentée par une référente. Tous les trois mois, voire tous les mois, une réunion a lieu en présence d'un des fondateurs pour discuter de l'entreprise, des avantages qui peuvent être proposés en fonction de son statut et du nombre de salariés, par exemple le ticket-restaurant ou le 1 % patronal. Les auxiliaires présentes répercutent par leur vote l'opinion de leur équipe sur les sujets abordés.

Les auxiliaires représentent également l'entreprise à l'extérieur par les témoignages qu'elles apportent sur leur métier. Elles ne sont pas de simples exécutantes : comme le dit un des fondateurs, ce sont des techniciennes de l'empathie. Elles ne se contentent pas de laver, habiller, faire manger et saluer la personne au pas de course sans autre activité et dans le stress. Les auxiliaires de vie qui travaillent de cette façon sont sans doute sous pression parce que le temps de trajet entre chaque bénéficiaire n'est pas respecté dans le planning, ce qui n'est pas acceptable. Quand un usager paie une prestation d'une heure ou de deux heures, l'auxiliaire doit rester sur place le temps correspondant.

Pour ma part, j'ai un discours très militant : j'évalue le temps à passer auprès d'un bénéficiaire à deux heures pour être sûre que le proche ou l'aidant prévoira au moins une heure. J'ai travaillé auparavant dans le Puy-de-Dôme, à Clermont-Ferrand, dans une entreprise où on prévoyait une demi-heure par bénéficiaire. Si j'avais des troubles cognitifs ou moteurs sévères, pour rien au monde je ne voudrais que quelqu'un ouvre ma porte et, sans même me regarder ou exprimer la moindre empathie, en une demi-heure, me gave, m'habille puis me couche sans m'avoir lavée correctement, ni se soucier que je vomirai nécessairement ce qu'on m'a fait ingurgiter hâtivement. Quand on rencontre les familles, leurs principales demandes portent sur notre diplôme, nos compétences, et la façon dont nous allons nous occuper du mari, de la femme, du père ou de la mère. Et votre première préoccupation si vous me receviez demain serait de vous assurer que je m'occupe bien de votre parent, dont vous me raconterez l'histoire, car ce qui vous importe c'est que je respecte sa dignité. Demain, nous serons tous à la place de ces bénéficiaires. Quel que soit son âge, toute personne a le droit de conserver sa dignité. Ce que mon entreprise a de plus innovant à mes yeux, c'est qu'elle me permet de bien faire mon travail, et de préserver ainsi, autant que possible, la dignité des personnes que j'accompagne.

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