Ce budget m'inspire un double sentiment : de l'espérance et une grande inquiétude. Du reste, dans les rapports de Joël Giraud ainsi que d'Olivier Serva, j'ai lu des mots qui traduisent de la déception : c'est dire à quel point leur situation est difficile, puisqu'ils ont prévenu que l'effort budgétaire dans les années à venir sera plus conséquent pour le budget de l'outre-mer que pour les autres missions.
Du côté de d'espérance, il y a effectivement la hausse de 3,3 % des autorisations d'engagements et de 4,1 % des crédits de paiement. Vous avez aussi amorcé des réponses aux revendications des Guyanais à vivre décemment ; ce n'est pas de la mendicité, mais une revendication totalement légitime. Il y a aussi l'inscription des exonérations de charges sociales patronales et des indépendants, pour 50 millions d'euros, et enfin l'aide à la reconversion de l'économie polynésienne, en hausse de 15 millions.
Mais l'inquiétude se justifie par de graves renoncements : les crédits de logement baissent de 20 millions d'euros, autrement dit de 8 %, et de 4 millions d'euros en crédits de paiement. Plus alarmante encore, la réduction du nombre de logements réhabilités de 893 à 187 : vous reportez le travail de l'AAH sur l'ANAH, qui n'a de mon point de vue aucune compétence pour intervenir outre-mer puisqu'elle s'occupe surtout des propriétaires bailleurs, et non pas des propriétaires occupants. De plus, l'ANAH dit n'avoir aucune espèce de budget pour intervenir outre-mer. Comment vous allez compenser la diminution de l'accession sociale tout en poursuivant les opérations de résorption d'habitat insalubre (RHI) ? Une résorption d'habitat insalubre sans programme de relogement, c'est dangereux. S'y ajoutent la stagnation des crédits RHI, la baisse des crédits de LADOM – la promesse du Président de la République ne sera pas tenue – et un fonds d'investissement de l'ordre de 36 millions en crédits de paiement alors qu'il faudrait budgéter 200 millions d'euros pour tenir l'engagement de 2 milliards sur cinq ans.
Aucune traduction significative n'a été faite de la loi EROM. Les fonds de concours de secours, à hauteur de 10 millions, ne vont pas suffire au lendemain des catastrophes d'Irma et de Maria.
En réalité, hors mesures de sincérité ou mesures exceptionnelles pour la Guyane, le budget baisserait de 35 millions d'euros.
Mon observation va un peu plus loin. Ce que je trouve alarmant, c'est que nous ne tirons aucune conséquence d'un fait pourtant simple : ces pays d'outre-mer, qui portent le nom de départements et de régions d'outre-mer, sigles un petit peu barbares, arrivent au bout d'un cycle économique et social qu'il faut revisiter en profondeur. Ce Gouvernement aura-t-il le courage de le faire ? Il faut inventer, créer les conditions de l'émergence de nouveaux modèles économiques et d'un le nouveau modèle social, fondé sur le développement local, le développement endogène et le développement durable. Or je ne vois aucune initiative en ce sens. Avec la loi EROM, nous avions abordé quelques grandes questions, comme l'aide au fret élargie aux pays limitrophes pour permettre l'importation et la transformation de produits locaux. Aucun moyen financier n'est mis en oeuvre. La question de l'économie circulaire, qui a fait l'objet de rapports très importants, ne donne lieu à aucune traduction ; et la mise en place d'un Erasmus transfrontalier, qui permettrait aux jeunes Martiniquais et Guadeloupéens de coopérer avec le Mexique, Trinidad ou Cuba, pas davantage. Je sais que vous partagez cette ambition, mais on préfère faire Erasmus entre Européens qu'entre les départements et régions d'outre-mer et les pays proches.
Le tourisme dans nos régions est un secteur extrêmement important ; or ce levier reste totalement inexploité. Nous trouvons des situations très difficiles : deux mille chambres sont fermées en Guadeloupe et en Martinique, la compétitivité est mise à mal, la saisonnalité handicape et la concurrence est déséquilibrée. Les coûts fixes représentent 35 % en République dominicaine, 65 % en Martinique. Dans ce rapport, je fais des propositions extrêmement concrètes pour contribuer à un choc de compétitivité. Le CICE, servi aux centres commerciaux, aux concessionnaires, à la Poste et aux banques, qui n'en ont pas besoin, pourrait revenir sur le tourisme. Il faut financer aussi des zones de duty-free, adapter la saisonnalité par la poly-compétence et la formation professionnelle ; il faut permettre de défiscaliser les dépenses des touristes, encourager un désenclavement aérien au niveau européen et au niveau régional, mettre en place des processus qui permettent de travailler en investissant durablement en matière de tourisme.
J'aurais souhaité que ce budget se traduise par des perspectives nouvelles pour ces régions et ces pays ; en attendant vos réponses, mon groupe s'abstiendra lors du vote.