Je me tiens à l'écart de ce dossier car j'y suis juge et partie. J'ai vécu pendant 30 ans la paupérisation vraiment absolue du réseau diplomatique et de ses membres. Il y a 30 ans, on pouvait encore se comparer avec les collègues du privé. Aujourd'hui vous ne trouvez plus personne pour aller à Boston, Los Angeles ou les villes un peu chères. Les agents n'y arrivent plus et les meilleurs ont des problèmes de fins de mois. Je ne parle pas forcément du consul ou de l'ambassadeur mais des agents de base qui font le réseau. Aujourd'hui, quand vous voulez faire une mission avec le SEAE et de ce point de vue je rejoins l'observation de Jean-Luc Mélenchon, vous avez 10 personnes du SEAE qui partent à Abuja depuis Nairobi en classe affaire et le pauvre ambassadeur de France vient tout seul en classe économique avec son ordinateur et passe la nuit dans l'hôtel du coin. Il y a une différence de niveau qui a complètement explosé et qui aujourd'hui rend le ministère collectivement profondément dépressif. Au-delà de la bonne figure qui est faite par le secrétaire général et quelques directeurs généraux, ce ministère est dépressif. Une autre raison en est la pyramide des âges, sujet auquel il faut aussi s'attaquer de front. Tous les ambassadeurs thématiques n'ont pas une rentabilité à 100 % mais on a une bulle dans les niveaux A + et cadres dirigeants que nous poussons mais qui ne diminue pas avec le temps. Cela ajoute à la dépression collective et la démobilisation des agents. Ne pourrait-on pas envisager des mesures d'âge ? Si nous donnions deux ou trois ans de salaires à des gens qui ont encore 10 ans de carrière sur la base d'un double volontariat, nous pourrions faire partir plusieurs dizaines de collègues qui iraient enseigner à l'université, faire de la recherche ou travailler dans des entreprises internationales… Si on ne le fait pas, on va continuer à tirer ce boulet pendant 15 ans car le MEAE ne fait pas de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.
En ce qui concerne les locaux, vous avez tous raison : on vend nos bijoux de famille. Quand on n'a plus de crédits d'intervention, un réseau culturel qui s'affaiblit, que reste-t-il pour exister socialement ? La résidence, lieu dans lequel on peut faire venir des intellectuels, des chercheurs, des Parisiens en déplacement, des Français et des étrangers. Or, ces résidences sont en train de disparaître et c'est un jeu à sens unique. On ne remettra jamais 100 millions d'euros pour avoir une résidence de très haut niveau dans une capitale européenne ou étrangère. Le problème est qu'il n'y a pas de lobby pro-diplomatie au sein de l'Etat ni au sein de l'environnement politique. Seuls quelques députés de cette commission et les députés des Français de l'étranger connaissent le réseau et se rendent compte de la situation. Au Ministère des finances, la direction du budget a décidé que finalement il n'y avait pas d'intérêt à garder un réseau homogène et universel. Tant qu'on n'aura pas franchi deux degrés dans le rapport de force, Bercy va continuer.
Comment se passe cette espèce de dévitalisation ? Prenons l'exemple des primes en centrale qui sont extrêmement faibles au Quai d'Orsay pour justement garder un tout petit peu de budget pour les indemnités de résidence à l'étranger parce qu'il faut trouver des gens pour aller en Namibie ou en Ouzbékistan. Je rappelle que 90 % des pays sont des pays dans lesquels on vit mal, où il y a du danger pour les enfants, où la sécurité alimentaire n'est pas assurée et où l'espérance de vie des collègues est très mauvaise. Un de mes collègues ambassadeur à Katmandou a perdu un rein faute d'avoir été soigné à temps. Le Quai d'Orsay a donc fait le choix de réserver les budgets de rémunération indemnitaire sur l'étranger. La conséquence est que personne ne vient à Paris. On ne peut pas détacher un agent du ministère de l'intérieur, de la défense ou du ministère des finances au Quai d'Orsay tout simplement parce qu'ils sont payés 30 ou 40 % en-dessous de leur salaire. Au total, il y a donc une situation de mouroir. Comment le MEAE réagit-il à cela ? Tout ce qui est absorbé de l'extérieur au Quai d'Orsay est tué par arbitrage de moyens. Il faut que nous soyons très attentifs à cela. Quand le MEAE a intégré le ministère de la coopération en 2001, pendant 15 ans la quasi intégralité des ajustements budgétaires se sont faits par la réduction des effectifs de coopération, en pilotage et sur le terrain. Donc confier au MEAE des missions nouvelles comme on est en train de le faire sur le commerce extérieur, ça inquiète tout le monde…Tout ce qui n'est pas leur coeur de métier fait l'objet d'arbitrages défavorables faute de moyens. Aujourd'hui, il n'y a plus d'équipes de pilotage de l'AFD. Nous avons une super banque de développement mais qui est, sinon en roue libre, au moins très émancipée des enjeux politiques quotidiens. En tant que diplomate, je ne souhaite pas jouer de rôle particulier sur cette question, mais il faut un niveau de mobilisation extrêmement important, tant politique que médiatique. Faute d'une telle mobilisation, on ne s'en sortira pas. Nous avons aujourd'hui 25 PPD (postes à présence diplomatique). Si on ne fait rien demain on en aura 50. Nous avons sauvé les six mois qui viennent mais sauvera-t-on l'année prochaine ? Et dans dix ans, vous aurez des ambassadeurs avec une carte de crédit dans un Regus et un appartement du coin… Je rappelle enfin que Mme Azoulay a été élue grâce aux voix de pays totalement improbables, des petits pays qui n'entendent parler de la France qu'à travers le collègue qui est sur place. Nous avons gagné cette bataille parce que nous avons encore des gens très motivés et une machine de guerre.