Intervention de Didier Quentin

Réunion du mercredi 25 octobre 2017 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Quentin, rapporteur pour avis :

Pour cette deuxième présentation, je ne vais pas revenir en détail sur le cadrage budgétaire que j'ai déjà eu l'occasion de préciser, lors de notre séance du mercredi 4 octobre dernier. Je me bornerai à en rappeler les grandes lignes.

Le Gouvernement propose un budget crédité d'une hausse nominale de 1,8 milliard d'euros pour la défense en 2018. Cette hausse s'inscrit dans une trajectoire de remontée en puissance du budget de la défense, à hauteur de 1,7 milliard d'euros par an jusqu'en 2022. Elle devrait être prochainement formalisée par le vote d'une loi de programmation militaire. Cette trajectoire paraît difficilement compatible avec l'engagement de parvenir à 2% du PIB en 2025, ce qui représenterait environ 50 milliards d'euros, alors que nous serons à moins de 42 milliards en 2022…

Il y a une dizaine de jour, une Revue stratégique pilotée par Arnaud Danjean a été publiée. Celle-ci fait état d'une dégradation de la situation internationale et d'une aggravation des menaces. Dans ce contexte, elle affirme que notre pays doit absolument maintenir son autonomie stratégique, ce qui passe par la préservation d'un outil militaire complet et au plus haut niveau technologique, indispensable pour faire encore entendre notre voix dans le monde polyphonique d'aujourd'hui et contribuer au maintien de la paix. Dans tous les cas, l'équation budgétaire sera compliquée.

Dans ces conditions, nous n'avons pas d'autre choix que de coopérer avec un certain nombre de partenaires ou alliés. J'ai donc pris le parti de centrer ma présentation sur les enjeux de coopération en matière militaire, qui me semblent constituer le prisme le plus pertinent, pour notre commission des Affaires étrangères.

A cette fin, j'adopterai une démarche pragmatique, en partant de ce qui existe, pour voir ce vers quoi nous pourrions aller. Il s'agit souvent d'interrogations que notre Commission pourra approfondir.

Pour commencer, le partenaire américain. Nos armées ont tissé, à la faveur des opérations de terrain de ces dernières années et de la lutte conjointe contre le terrorisme, une relation particulièrement confiante avec les militaires américains. L'interopérabilité entre les deux armées est réelle et les échanges de renseignements se font au meilleur niveau.

Nos militaires nous rapportent, non sans fierté, que les Américains nous considèrent comme leur allié le plus fiable pour ces opérations de terrain, d'autant plus qu'ils veulent éviter de s'engager militairement au sol en Afrique…

Néanmoins, la France se trouve dans une situation assez fâcheuse de dépendance à l'égard des Etats-Unis. Nous n'aurions pas la capacité de conduire l'opération Barkhane sans la logistique et surtout sans le renseignement américain, ou alors de façon très dégradée...

Nous devons veiller à ce que la proximité stratégique avec l'armée américaine ne place pas notre diplomatie dans une situation de trop grande dépendance, à l'égard des positions américaines. Il est essentiel de garder notre autonomie de décision, comme cela avait été le cas dans la crise irakienne du temps du Président Chirac, avec le fameux discours de février 2003 de Dominique de Villepin au Conseil de Sécurité. Il ne faudrait pas se laisser forcer de suivre une politique aventureuse…

Deuxièmement, le Royaume Uni. C'est notre partenaire-clé sur le plan militaire en Europe. Nos relations militaires sont régies par les accords de Lancaster House, conclus en 2010. Un premier accord porte sur la coopération nucléaire ; son contenu est gardé secret. Un second traité régit la coopération conventionnelle. Il prévoit notamment la mise en place d'une force expéditionnaire commune pour les combats de haute intensité, la Combined Joint Expeditionnary Force (CJEF), désormais conceptuellement opérationnelle. Plusieurs projets d'armement emblématiques doivent être conduits en coopération, notamment l'avion de combat du futur et la mise en place d'une filière missile commune.

Il semble pourtant que cette coopération conventionnelle ait marqué le pas ces dernières années, en raison notamment d'un relatif retrait du Royaume-Uni, dont certains estiment qu'il a décroché militairement, ou qu'il en est menacé, a fortiori dans le contexte du Brexit.

Pour autant, notre jugement sur l'armée britannique me semble devoir être pondéré, car les Britanniques ont profité de leur retrait des opérations pour réinvestir dans leur outil de défense. Ils auront bientôt deux porte-avions et leur armée de l'air a des capacités supérieures à la nôtre. De plus, ils conservent le premier budget militaire en Europe. On voit bien là la dimension du défi lancé par le Président chef des armées, quand il considère que nous sommes la deuxième force militaire du monde libre et la première en Europe.

En réalité, la coopération militaire franco-britannique pourrait bien devenir le coeur de notre relation après le Brexit. Les Britanniques ont eux-mêmes récemment publié un document dans lequel ils expriment leur volonté de continuer à être associés à la défense de l'Europe ; paradoxalement, ils n'ont jamais semblé aussi européens !

J'en arrive à ce sujet, lancinant depuis plus de soixante ans, qu'est la défense de l'Europe. Je préfère ce terme à celui d'Europe de la défense, qui a un côté trop institutionnel. Or, il semble évident que nous ferons concrètement progresser les questions militaires en Europe en adoptant des formats très souples et pragmatiques.

Les problématiques militaires trouvent actuellement un écho de plus en plus important auprès de nos partenaires et des institutions européennes. L'Union peut nous apporter quelque chose sur le plan financier. C'est l'esprit du « Fonds européen de défense » qui devrait voir le jour prochainement. Ce fonds constituerait une sorte de « guichet » permettant de financer des projets de recherche et de développement militaire conduits en coopération par plusieurs Etats membres. Beaucoup de questions restent néanmoins à régler, concernant la gouvernance de ce fonds et les critères selon lesquels les cofinancements seront accordés. Il convient, en effet, d'éviter un saupoudrage sans logique capacitaire cohérente ou bénéficiant principalement à l'industrie américaine. Mais, au-delà de la portée réelle de ce Fonds, le fait que la Commission s'autorise désormais à envisager le financement de projets militaires est une avancée qu'il faut saluer.

Sur l'éventualité d'opérations militaires européennes, il importe de rester plutôt circonspect. L'idéal serait que l'Union européenne monte en puissance sur la gestion de crise, en mobilisant conjointement les leviers humanitaires, militaires et l'aide au développement.

J'en arrive à l'Allemagne. Celle-ci a connu, au cours de ces dernières années, une évolution stratégique encourageante. Elle semble vouloir, de plus en plus, assumer des responsabilités internationales, qui correspondent à son statut de puissance économique majeure. Son budget militaire est équivalent au nôtre, et devrait le dépasser assez largement dans les années à venir. Toutes ces évolutions sont positives et nous devons exploiter notre complémentarité dans le Sahel, pour la formation des armées africaines ou la logistique.

Nous avons aussi des projets très ambitieux en matière de coopération d'armement. A cet égard, nous devons examiner attentivement où se situe notre intérêt. Les Allemands sont intéressés par la logique industrielle des projets, quand notre horizon est plutôt opérationnel. Par ailleurs, l'Allemagne aura, dans quelques années, un budget d'investissement d'autant plus considérable qu'elle dépense peu en opérations, alors que le nôtre, plus modeste, sera en grande partie grevé par la dissuasion nucléaire. Dans ces conditions, la coopération pourrait ne pas être au bénéfice de l'industrie de défense française. Il faut donc être lucide et vigilant : nous pouvons faire davantage, mais le franco-allemand n'est pas forcément la panacée !

Nous devons évoquer nos partenaires du sud, l'Italie et l'Espagne, avec lesquels nous partageons de nombreux intérêts de sécurité. L'Italie a une industrie de défense de pointe qui nous permet de conduire plusieurs projets structurants en coopération, notamment dans les domaines maritime et spatial. Les Espagnols sont très présents avec nous en Afrique, notamment dans les missions de formation de l'Union européenne et dans le transport stratégique. Mes ces deux partenaires sont assez contraints sur le plan budgétaire, en particulier l'Espagne.

Pour conclure cet exposé, je souhaite évoquer nos partenaires du grand large, qui me paraissent très importants pour faire face à ces défis un peu oubliés, mais essentiels que j'évoquais la dernière fois : la protection de nos outre-mer et en particulier de notre immense zone économique exclusive, en passe de devenir la première du monde, avec 13 millions de Km² ; et la défense de la liberté de circulation maritime, vitale sur le plan économique, face aux stratégies de puissance de certains Etats.

A cette fin, nous avons trois grands partenariats prometteurs en Asie-Pacifique, dans un contexte de montée en puissance fantastique de la Chine : pour n'en donner que deux exemples, elle a construit l'équivalent de notre flotte en quatre ans et développé une présence affirmée à Djibouti, avec une base aéronavale de 4.000 hommes, mais pouvant en accueillir 10.000....

Avec l'Inde d'abord, avec laquelle nous allons développer des relations militaires assez étroites, en accompagnement des exportations d'armement, notamment du Rafale.

Avec l'Australie ensuite, qui modernise considérablement son armée et plébiscite notre présence en Océanie, après l'avoir décriée à l'époque des essais nucléaires. Nous coopérons ensemble dans la lutte contre le terrorisme. Et avec la vente des 12 sous-marins par DCNS, nous avons contracté un mariage pour plusieurs décennies.

Enfin, le Japon reste un partenaire très important dans cette région et il manifeste sa volonté de remonter en puissance sur le plan militaire. Le triomphe de M. Abe aux élections de ce dimanche dernier va bien dans ce sens. Pour le moment, cela ne s'est pas traduit par des coopérations très concrètes, mais cela pourrait évoluer au cours des prochaines années, d'autant plus que le Japon souhaite aussi s'investir en faveur de la sécurité du continent africain.

En conclusion, j'ai souhaité, par ce tour d'horizon, inviter notre commission à se saisir des aspects stratégiques des partenariats militaires de la France, que nous devrons veiller à intégrer dans nos travaux. Dans l'immédiat, je me permets de vous recommander de voter le budget proposé pour la défense en 2018 et vous donne rendez-vous pour débattre des priorités budgétaires des prochaines années, lors de l'examen du projet de loi de programmation militaire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.