Monsieur le président, merci de ces propos introductifs. Soyez assuré que l'armée de l'air se tient à votre disposition pour vous faire comprendre, ainsi qu'à tous les députés de votre commission, ce qui constitue les principes de fonctionnement de notre armée, ou plutôt de votre armée, car elle appartient avant tout aux Français et aux Françaises que vous représentez. À cet égard, nous nous devons de vous accueillir sur le terrain, de telles visites étant seules à même de permettre la compréhension de nos missions et le quotidien des aviateurs.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés, c'est toujours un réel plaisir que celui de me retrouver à nouveau devant vous ce matin pour vous parler de ce qui me tient à coeur : la vocation qui m'anime, puisqu'il s'agit davantage d'une affaire de coeur que d'un métier, et celle des milliers d'hommes et de femmes qui derrière moi au sein de l'armée de l'air servent la France.
C'est un moment privilégié, pour un chef d'état-major de l'armée de l'air, de venir témoigner devant la représentation nationale de l'engagement et du sens du devoir exceptionnel des aviateurs, comme des enjeux auxquels ils font face tous les jours « d'Orly à Raqqa » pour reprendre une formule que j'ai employée récemment afin d'illustrer de façon lapidaire et probablement réductrice, la diversité des missions dans lesquelles ils sont engagés aujourd'hui pour la protection des Français.
Vous savez toute l'importance que j'accorde à ces échanges et à la relation de confiance entre les armées et votre commission, à l'heure où nos forces sont pleinement engagées, sur tous les fronts et dans la durée. Car je sais aussi l'appui apporté par votre commission pour faire face à ces enjeux que nous rencontrons et je tiens à vous en remercier.
Les aviateurs que j'ai l'honneur de commander et au service desquels je me trouve – et pas l'inverse, j'insiste – et que vous rencontrez lors de vos déplacements, comme récemment sur la base aérienne de Saint-Dizier où, comme cela vient d'être rappelé, j'ai accompagné une délégation de votre commission, ou en opérations extérieures, en ont conscience aussi. Ils connaissent toute l'importance de vos travaux et suivent vos débats.
Lors de notre précédente rencontre au mois de juillet, je vous avais décrit l'ensemble des missions que les aviateurs mènent, souvent en première ligne et parfois au péril de leur vie sur le territoire national ou à l'extérieur de nos frontières, en réalité partout sur la planète. J'avais saisi cette occasion pour vous présenter les principes qu'impose l'exploitation militaire du milieu aéronautique et spatial.
Nous sommes réunis aujourd'hui pour évoquer le projet de loi de finances pour 2018 et ses conséquences pour l'armée de l'air. Avant de vous les présenter en détail, j'évoquerai très rapidement la revue stratégique dont les travaux viennent de s'achever, puisque nous étions vendredi dernier avec le président de la République pour lui remettre le résultat des réflexions du comité auquel j'ai participé. Ces orientations me permettront, de vous livrer les enjeux qui en résultent et que j'identifie pour le volet air de la future loi de programmation militaire. Il me paraît toutefois important de commencer par revenir sur certaines évolutions récentes et notables concernant nos opérations.
Car les opérations, comme je le dis souvent, constituent le seul véritable exercice de vérité pour nos armées : vérité sur la qualité de nos équipements, vérité sur la valeur de nos soldats et vérité sur la qualité de leur entraînement.
Au mois de juillet, je vous avais décrit l'ensemble des missions confiées à l'armée de l'air. Au premier plan de nos missions permanentes, figurent la dissuasion et la posture permanente de sûreté aérienne. Vous avez eu, lors de votre déplacement sur la base aérienne de Saint-Dizier, un éclairage sur l'exigence de ces missions fondamentales pour la protection de notre pays, menées sans discontinuité par les forces aériennes depuis plus de cinquante ans. J'inclus ici la mission de protection de nos propres installations, que nous avons considérablement renforcée depuis les attentats terroristes de 2015.
S'y ajoutent notre contribution aux opérations sur le territoire national en appui des forces de sécurité intérieure – Vigipirate et Sentinelle – ainsi que notre participation aux missions de service public (recherche et sauvetage, lutte contre les incendies de forêt, mission de surveillance du sol au profit d'autres ministères, etc.) et les missions de réassurance réalisées dans le cadre de l'OTAN, principalement des missions de police du ciel, de surveillance et de reconnaissance sur la façade Est de l'Europe. Je n'oublie bien entendu pas les missions régulières de reconnaissance de l'espace libyen ni, enfin, nos engagements au Sahel et au Levant, qui constituent notre première ligne de défense dans la lutte contre le terrorisme. C'est en cela aussi que notre action contribue directement à la protection des Français. « Notre sécurité, elle se joue au Proche et Moyen-Orient et en Afrique aujourd'hui, pleinement », comme le soulignait dimanche soir dernier le président de la République devant les Français.
Toutes ces missions ont toujours cours au même niveau d'intensité et d'engagement qu'en juillet, lorsque je me suis présenté devant votre commission. Que s'est-il passé depuis ? J'évoquerai principalement les évolutions de notre engagement au Levant et notre intervention aux Antilles suite au passage dévastateur du cyclone IRMA début septembre.
Tout d'abord au Levant. La campagne aérienne contre Daech se poursuit, inlassablement. Et les résultats sont là : après la chute de Mossoul, Raqqa vient de tomber, ce qui constitue un symbole important. Daech continue de perdre le terrain qu'il avait conquis et finira par le perdre définitivement. C'est inéluctable. La question qui se pose désormais est celle des formes vers lesquelles ce conflit pourrait glisser.
À cet égard je constate une évolution notable de la physionomie de cet engagement. L'imbrication des forces au sol est de plus en plus marquée, au fur et à mesure que l'étau se resserre sur Daech en Syrie. Il en est de même dans les airs. Les avions de la coalition évoluent désormais quotidiennement dans un mouchoir de poche à proximité des Soukhoï russes et des Mig syriens, tout cela au coeur des systèmes de défense sol-air des forces armées russes et syriennes. Ceci illustre la complexité de la situation dont je ne vais pas ici décrire tous les ressorts. Cela nous conduirait probablement trop loin. Je me limiterai à tirer plusieurs constatations dans le domaine qui est le mien.
Première constatation, les forces aériennes produisent des effets militaires décisifs contre Daech dans cette campagne. Deuxième constatation, il en résulte mécaniquement que les espaces aériens dans lesquels nous opérons sont de plus en plus contestés : moyens de défense sol-air et chasseurs de dernière génération sont au coeur de l'engagement des forces de part et d'autre.
Voilà des années que les responsables des armées de l'air le disent ; il s'agit désormais d'une réalité avec laquelle nous allons devoir compter sur nos théâtres d'opérations. Plusieurs incidents récents, qui auraient pu avoir des conséquences graves et changer la physionomie de cette crise, l'illustrent.
Dernière constatation, l'enjeu du contrôle du terrain est donc lié en réalité à celui du contrôle de l'espace aérien face à des rivaux disposant de capacités symétriques aux nôtres. Il s'agit, sur le plan militaire, d'une tout autre affaire. J'ouvre une parenthèse : dans un conflit de type symétrique, soit vous disposez des instruments de suprématie aérienne et vous avez une chance de l'emporter, soit vous ne les avez pas et vous êtes certain de perdre ! Ceci est démontré historiquement.
Cela impose à nos aviateurs de rester au meilleur niveau, tant en termes d'équipements que de préparation opérationnelle, pour maîtriser des situations potentiellement conflictuelles et continuer de faire peser notre volonté par la voie des airs, sans tomber dans les pièges que ce type de situation pourrait engendrer du fait de la contraction des espaces de manoeuvre que je vous ai décrite.
Il est difficile à ce stade de prédire avec certitude l'évolution de cette campagne dans les mois à venir. Après Raqqa, les opérations vont se poursuivre pour éliminer Daech dans la basse vallée de l'Euphrate. La phase de stabilisation qui devrait suivre la chute du califat, sera certainement longue et exigeante en termes de moyens de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (ISR) et d'appui aérien, bien que probablement moins cinétique que ce que nous avons vécu jusqu'à maintenant. C'est du moins l'expérience que nous avons faite sur les théâtres d'opérations précédents en Afghanistan comme au Mali. Il s'agit d'une phase essentielle aux opérations militaires car elle conditionne souvent la reprise du processus politique et diplomatique. Il ne faut donc en sous-estimer ni l'importance, ni la complexité.
Dans ce contexte, je voudrais souligner l'emplacement idéal de notre base aérienne projetée (BAP) en Jordanie qui nous permet de nous adapter à toute évolution de la situation dans la région.
Avec à peine 400 aviateurs, notre base en Jordanie est économique et idéalement placée, ce qui limite le recours à une ressource indispensable et précieuse parce que rare : le ravitaillement en vol. Elle avait en outre permis une réponse politique puissante et instantanée dont nos concitoyens avaient besoin, avec les frappes de rétorsion conduites sur Raqqa dans la nuit qui a suivi les attentats du 13 novembre 2015. Les liens que nous tissons avec la Jordanie contribuent à notre diplomatie de défense dans la région. Enfin, cette BAP nous permet de durer dans un conflit de longue haleine et dispose de larges capacités d'accueil, le porte-avions venant renforcer et soulager périodiquement notre force aérienne à terre. En ce moment nous y accueillons d'ailleurs, pour une période de deux mois, les Rafale de la marine nationale qui opèrent depuis la terre compte tenu de la période d'entretien du porte-avions Charles de Gaulle. Cela nous permet en outre de renforcer les synergies entre l'armée de l'air et l'aéronavale.
J'en viens aux Antilles. Les armées, et l'armée de l'air en particulier, se sont mobilisées pour porter secours et assister les populations en détresse, d'abord à partir de nos implantations outremer en Guyane et en Martinique, mais aussi grâce aux rotations de nos avions de transport depuis la métropole.
Ces opérations impliquent, à l'heure où je vous parle, encore une cinquantaine d'aviateurs. Depuis plus de six semaines, près de 7 000 personnes et 700 tonnes de fret ont été transportées. Jusqu'à 150 aviateurs ont été présents sur le terrain aux côtés de nos camarades de l'armée de terre et de la marine nationale, de la gendarmerie et de la sécurité civile. Nos avions de transport – A340, A400M, CASA – et nos hélicoptères Puma ont réalisé un véritable pont aérien soit depuis la métropole, soit depuis nos emprises en Guyane, Martinique et Guadeloupe, pour acheminer eau potable, vivres, matériel médical, et soulager les populations les plus démunies.
Cette nouvelle opération m'amène à deux constats.
Premièrement, l'importance de nos forces de souveraineté comme échelon de réaction immédiat. Nous sommes sans doute allés trop loin dans leur réduction lors des deux lois de programmation militaire (LPM) précédentes.
Deuxièmement, les théâtres lointains sont accessibles quasi immédiatement depuis la métropole grâce aux moyens modernes de transport aérien stratégique. L'A400M, capable de rallier les Antilles depuis sa base d'Orléans en moins de 10 heures de vol sans escale, a montré toute sa plus-value dans ce type de mission, malgré les défauts de jeunesse de cet appareil qui affectent encore trop souvent la disponibilité de cette flotte et par conséquent nos capacités de projection. Nous pourrons y revenir à l'occasion des questions, si vous le souhaitez. Dans les travaux de la LPM qui viennent de débuter, il faudra donc trouver les bons équilibres entre les forces de souveraineté et les capacités d'intervention immédiate dont nous disposons en métropole.
Par rapport à la situation que je vous avais décrite en juillet dernier, voilà brièvement les évolutions notables que je souhaitais évoquer avec vous concernant les engagements de l'armée de l'air. Durée, intensité, dispersion, diversité, durcissement restent les mots-clefs, soulignés par la revue stratégique d'ailleurs, qui caractérisent nos opérations. Rien ne me permet de penser que ces caractéristiques devraient évoluer à court ou moyen terme.
La réalité de nos engagements se situe bien au-delà de ce que prévoit le modèle issu de la LPM en vigueur : vingt avions de combat projetés au lieu de douze, trois BAP au lieu d'une, quatre théâtres d'opérations au lieu d'un.
Ce niveau d'engagement, somme toute « mesuré » pour un pays comme la France – après tout 20 avions de combat ne constituent pas un volume de force exceptionnel – conduit notre dispositif aux limites de ses possibilités. Il faut comprendre que pour une période limitée dans le temps nous saurions absorber cette surintensité. C'est une situation que nous avons connue à plusieurs reprises, il est vrai avec un format qui était toutefois plus conséquent : pendant la campagne du Kosovo, ou celle de Libye par exemple. À chaque fois ces engagements ne duraient pas plus de six mois. De fait, nous avions pu faire face à l'intensité avant de régénérer les hommes et les équipements.
Les crises que nous vivons aujourd'hui se distinguent des précédentes : outre qu'elles se multiplient, elles sont plus intenses et, surtout, elles durent. Ainsi le nombre d'avions déployés n'est pas représentatif de l'intensité de nos engagements, ni du format à mobiliser pour conduire nos opérations. Je vous donne une illustration. En 2016, à partir de notre seule base déployée en Jordanie, nous avons réalisé environ 7 500 heures de vol d'avions de chasse. Alors que nous n'y avions en moyenne que sept avions déployés, cela représente l'activité annuelle de 85 pilotes aptes aux missions de guerre (en prenant pour hypothèse que chacun de ces pilotes réalise la moitié de son allocation annuelle en opérations, ce que je considère comme tout à fait excessif pour entretenir l'ensemble de leur savoir-faire). 85 pilotes c'est un tiers des capacités actuelles de l'armée de l'air consommé à partir de notre seule base en Jordanie !
C'est ainsi que les déséquilibres organiques s'accumulent et le risque d'effondrement devient réel. C'est bien là que réside l'enjeu des travaux de programmation qui débutent : « restaurer la soutenabilité de nos engagements, investir résolument dans l'avenir pour que nos armées puissent faire face aux menaces de demain » pour reprendre les mots de notre ministre devant votre commission il y a quelques jours. Il s'agit d'abord d'une question d'ambition, laquelle a été soulevée dans le cadre des travaux de la revue stratégique.
Comme je l'indiquais en préambule, la revue stratégique qui vient d'être remise au président de la République offre une analyse éclairée de la situation internationale et des menaces, ainsi que des aptitudes à mobiliser pour y faire face. Je ne reviendrai pas sur la dégradation du contexte sécuritaire, ni sur la nécessité qui en résulte de disposer d'un modèle d'armée complet, capable d'agir dans la durée, sur tout le spectre des opérations militaires. Les opérations que je viens de décrire suffisent à démontrer ce que la revue stratégique confirme à son tour.
Nous disposons toutefois, je le souligne, d'une autonomie relative compte tenu de certaines fragilités, notamment dans les domaines du ravitaillement en vol et de la surveillance qui nous contraignent à recourir aux capacités alliées pour conduire nos opérations. Je vous propose plutôt de concentrer mon propos sur les points saillants concernant mon domaine, celui des forces aériennes.
Premièrement, la réaffirmation de l'importance de la maîtrise de l'air et de la capacité à conserver la supériorité aérienne. Je vous l'avais dit en juillet, il s'agit d'un prérequis à toute opération militaire, qu'elle se déroule sur terre, en mer ou dans les airs. L'évolution des conditions d'engagement de nos aéronefs en Syrie illustre ce contexte décrit par la revue stratégique d'espaces aériens devenant de plus en plus contestés, en particulier par la mise en oeuvre de stratégies de déni d'accès, y compris sur des théâtres régionaux en raison de la dissémination de ces capacités. La revue stratégique constate également que cette contestation croissante s'étend désormais au domaine spatial, où nous devons préserver également notre liberté d'action. Elle est essentielle, et pas seulement pour les opérations militaires.
Deuxièmement, l'importance de la persistance des actions aériennes. C'est un point que j'estime extrêmement important car il n'est pas naturel pour le milieu aérien en raison de la contrainte d'autonomie que rencontrent les avions. Nos opérations démontrent cette tendance lourde de notre développement, illustrée par exemple par le besoin de permanence de la surveillance au Sahel ou des besoins d'appui aérien au Levant pour contraindre Daech. Cette persistance de nos actions est obtenue par un équilibre entre le recours à des capacités spécifiques (systématisation du ravitaillement en vol, drone de longue endurance) et un nombre d'équipements suffisant.
Troisièmement, la capacité à durer, que je distingue de la persistance des actions aériennes parce qu'elle caractérise surtout la résilience de l'outil militaire, y compris la capacité à régénérer le capital humain et matériel. Je ne développe pas pour en avoir suffisamment parlé.
Quatrièmement, la revue stratégique insiste sur la capacité d'entrée en premier, intrinsèquement liée aux capacités d'actions dans la profondeur de l'aviation de combat.
Je terminerai par l'agilité du système de combat aérien et la question des moyens consacrés à chaque fonction stratégique : dissuasion, protection, intervention. Nous avons fait le choix d'équipements haut du spectre et polyvalents permettant une bascule d'effort rapide. Le même Rafale passe de la posture de dissuasion à la défense aérienne de notre espace aérien ou à une mission de reconnaissance en Libye. Un A400M livre du fret humanitaire aux Antilles un jour et un hélicoptère à Madama au Sahel le lendemain. Ce choix a permis une mutualisation des moyens consacrés à chaque mission et une réduction considérable de nos formats ces dernières années. Aujourd'hui, le nombre total d'équipements, donc le format de notre dispositif, redevient un facteur clef quand le nombre des engagements simultanés ne cesse d'augmenter, tout comme les espaces et les étendues terrestres ou maritimes à surveiller. Nos avions n'ont pas le don d'ubiquité.
L'ensemble de ces aptitudes et considérations constituera des données d'entrée pour la LPM. Parmi les orientations fortes figurant dans la revue stratégique apparaît également l'ambition européenne. Parce que le milieu aérien est naturellement ouvert et partagé, les forces aériennes occidentales ont développé et déjà atteint un niveau de coopération et d'interopérabilité élevé. Cette aptitude à conduire des opérations en commun, à chaque fois que nos autorités politiques l'ont demandé, a été démontrée plusieurs reprises comme lors de la campagne libyenne ou des opérations conduites aujourd'hui au Levant. Je crois pouvoir dire que les armées de l'air européennes sont capables d'opérer ensemble.
Par ailleurs, les initiatives prises à l'échelle européenne afin de mutualiser nos capacités sont nombreuses. Je pense aux accords de défense aérienne que nous avons avec chacun de nos pays limitrophes ou au partage de la situation aérienne et à la mise en oeuvre de moyens de commandement et de contrôle des opérations aériennes communs grâce au système de commandement et de contrôle aériens (ACCS) développé à travers l'OTAN. Dans le domaine de la défense aérienne, nous n'avons pas besoin de nous envoyer un ordre d'opérations pour coordonner nos actions lorsqu'un bombardier russe pénètre dans nos approches aériennes. Je pense encore à notre coopération dans le domaine spatial à partir du centre satellitaire de l'UE à Torrejon. Je pense aussi bien sûr à la mise en commun d'une partie de nos flottes de transport aérien au sein du commandement du transport aérien militaire européen basé à Eindhoven. Je pense également aux nombreuses coopérations en cours avec l'armée de l'air allemande : escadron mixte de C-130J à Évreux, formations communes des équipages et mécaniciens A400M, travaux sur le futur de l'aviation de combat, coopération sur le futur drone européen.
La Royal Air Force (RAF) est également un partenaire clef, de longue date en Europe. Nous combattons côte à côte sur les théâtres d'opérations, nous contribuons à la mise en oeuvre d'une force d'intervention dans le cadre de la force expéditionnaire commune (CJEF), déclarée opérationnelle en 2016. Nous poursuivons des études dans le domaine des missiles et des drones de combat. Quelles que soient les évolutions politiques au Royaume-Uni, la RAF restera, selon moi, un partenaire clef pour l'armée de l'air et pour la défense de l'Europe.
Tout ceci pour vous dire qu'au niveau des armées de l'air du continent, l'Europe avance. Aussi, il me semble que la défense de l'Europe dépend autant d'une volonté politique commune et des moyens qui lui seront consacrés collectivement.
Pour terminer sur le volet de nos actions conduites à l'international, je dois vous parler de la question du soutien à l'export, que la revue stratégique évoque également. En termes de soutien aux exportations, notamment du Rafale, l'armée de l'air joue un rôle de premier plan. Elle contribue à la promotion des équipements réalisés par notre industrie de défense. Sans l'expérience opérationnelle et les savoir-faire mis en oeuvre par l'armée de l'air il n'y aurait pas d'export du Rafale. Elle accompagne ensuite ces marchés par des actions de formation des mécaniciens et des pilotes principalement, en clair des heures de vol de formation. Cela finit par représenter une charge considérable dont les moyens n'ont pas été prévus en programmation militaire. Pour l'année 2018, l'activité chasse réalisée dans ce cadre représentera tout de même près de 10 % de notre activité, l'équivalent de l'activité chasse de l'opération Barkhane. Il s'agit d'une mission à part entière, qui consomme une part très importante de notre activité. Cette mission est pourtant indispensable pour notre pays et le soutien à notre industrie. C'est pourquoi l'armée de l'air doit disposer des moyens nécessaires pour la réussir pleinement sans accroître les déséquilibres organiques dont j'ai déjà parlé. Il s'agit en effet d'heures de vol dont nos pilotes auraient besoin. J'estime que cette mission a été insuffisamment prise en compte dans la LPM en vigueur, notamment en termes de ressources humaines. Cela constituera donc un point de vigilance de ma part dans les travaux de la prochaine LPM.
Ce sujet me permet d'enchaîner sur ce chantier de la LPM dont les travaux débutent au sein du ministère. Je souhaiterais vous présenter les principaux enjeux que j'identifie pour l'armée de l'air et mes priorités.
Il faut commencer par rappeler quelle est la base sur laquelle nous allons bâtir cette nouvelle LPM. Faute de cette analyse nous risquons de prendre des décisions erronées. Face à une forte contrainte budgétaire, la LPM en cours avait fait le choix de préserver un modèle d'armée complet ainsi que notre base industrielle et technologique, au prix d'une série de compromis affectant nos capacités : réductions temporaires de capacités, contraintes sur l'entretien programmé des équipements, report de modernisations, vieillissement de nos équipements ou de l'infrastructure, diminution des stocks de rechanges ou de munitions, notamment.
Un plan de transformation ambitieux et volontariste qui se poursuit encore aujourd'hui a permis à l'armée de l'air de faire face à cette situation, tout en inscrivant ces évolutions majeures dans le cadre d'un projet d'avenir qui a donné un cap et un objectif à tous les hommes et les femmes de l'armée de l'air.
En un mot, nous avons mis des forces en marche, ces forces chères à Saint-Exupéry. Nous avons pris nos responsabilités et continué à avancer avec dynamisme et enthousiasme. Nos succès en opérations ont démontré la pertinence de cette démarche dont je vous avais décrit les grandes lignes en juillet dernier. C'est à ce cadre aux équilibres fragiles que s'est appliquée la pression croissante des opérations à laquelle sont venues s'ajouter les missions de soutien aux marchés export du Rafale, conduisant aujourd'hui à des déséquilibres organiques préoccupants.
Ainsi j'estime que le dispositif de l'armée de l'air souffre davantage d'un retard d'investissement que d'un phénomène d'usure qui en est la conséquence. La pression exercée par le contexte d'engagement opérationnel est venue ensuite en révéler les lacunes.
Voici de façon très schématique, le contexte dans lequel il nous revient de bâtir cette nouvelle LPM. Celle-ci s'inscrit dans une perspective très positive depuis l'annonce par le président de la République d'un accroissement sensible de notre effort de défense consistant à rejoindre d'ici 2025 l'objectif des 2 % du PIB. Cette perspective suscite une forte attente de la part des hommes et des femmes de l'armée de l'air, après des années de restructuration et de déflations d'effectifs. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments et du cadre redéfini par la revue stratégique, j'identifie trois enjeux majeurs pour l'armée de l'air dans la prochaine LPM. Premièrement, ce que j'appelle – et je vais faire plaisir au président Bridey – « réparer le présent ». Il s'agit de redonner de la cohérence et de l'épaisseur au modèle existant pour soutenir dans la durée les engagements actuels sans dégradation organique, en comblant les lacunes. Autrement dit, il s'agit de chercher à tirer le meilleur parti du dispositif existant en faisant effort sur les stocks de rechanges ou de munitions, sur l'entretien programmé pour améliorer la disponibilité, sur les ressources humaines, sur les équipements de mission de nos avions dont l'insuffisance limite de façon excessive nos capacités opérationnelles. Ceci permettra, incidemment, et j'y suis très attaché, d'améliorer les conditions de travail de nos hommes et femmes, une part importante des difficultés de fidélisation que nous rencontrons y étant liée selon moi.
Deuxièmement, il faut poursuivre la modernisation de nos flottes. Les opérations que nous conduisons réclament cette adaptation continue tout comme l'évolution des standards d'engagement dans le milieu aérospatial. J'inclus ici bien sûr, le renouvellement de la composante nucléaire aéroportée qui structure celle de notre aviation de chasse.
Troisièmement, à terme, il conviendra de porter progressivement notre format de forces au niveau réclamé par les nouvelles ambitions opérationnelles, qui résultent des niveaux d'engagement constatés depuis plusieurs années. À travers ces trois enjeux, j'identifie trois priorités, que je vous avais déjà exposées en juillet dernier : l'aviation de combat, le ravitaillement en vol, les ressources humaines.
La question du futur de notre aviation de combat est un sujet central, stratégique pour notre défense et plus largement notre pays, car elle constitue à la fois un marqueur de puissance et un enjeu de sécurité. Il s'agit d'un sujet complexe où s'entrelacent de multiples dimensions : politique, stratégique, internationale, technologique, industrielle, capacitaire et budgétaire. Face à cette complexité, il me paraît utile de poser les principales orientations telles que je les vois. À court terme, il s'agit premièrement de renforcer la cohérence, la « densité » opérationnelle du dispositif existant, cela rejoint ce que je viens de vous dire au sujet de la priorité « réparer le présent ». J'estime en outre nécessaire de stabiliser le format de l'aviation de chasse de l'armée de l'air à 215 appareils, pour faire face au niveau d'engagement que nous constatons depuis des années.
Deuxièmement, il faut poursuivre nos efforts de modernisation. Le lancement d'un standard F4 du Rafale est en effet essentiel pour faire face à l'évolution des menaces et maintenir ce chasseur au meilleur niveau sur la scène internationale à l'horizon 2025. Aujourd'hui, le Rafale fait la preuve de sa maturité sur tous les théâtres d'opérations. Il n'a rien à envier à ses concurrents. Demandez aux équipages et aux mécaniciens qui le mettent en oeuvre. Il est important de continuer à le moderniser, car l'environnement dans lequel il opère ne cesse d'évoluer. Ainsi nous continuerons à disposer d'un appareil supérieur. J'en suis convaincu.
À moyen terme, c'est-à-dire à partir de 2030, il s'agira de remplacer les Mirage 2000D arrivant en fin de vie par des appareils compatibles avec le futur missile nucléaire de la composante nucléaire aéroportée. J'ouvre une parenthèse pour rappeler l'importance du renouvellement des deux composantes de la dissuasion, décidé par le président de la République. Parfaitement complémentaires l'une de l'autre, toutes deux concourent à l'ensemble des missions de la dissuasion. Je me permets d'insister sur les atouts de la composante aéroportée : crédible et précise, son caractère démonstratif permet le dialogue dissuasif. Son renouvellement constituera donc un jalon incontournable pour notre aviation de combat.
À plus long terme, c'est-à-dire celui du retrait de service des premiers Rafale, il s'agira de construire le système de combat aérien futur qui pourrait être réalisé dans le cadre d'une coopération européenne.
Compte tenu des durées de développement de ce type de programme, des choix importants et engageants sur l'avenir de l'aviation de combat nous attendent à l'horizon 2020-2022. Les études préparatoires doivent être lancées pour nous permettre d'éclairer ces décisions.
Vous connaissez ma vigilance au sujet du ravitaillement en vol. J'estime que l'âge excessif de la flotte C-135 – plus de 50 ans – expose nos capacités à un risque trop important. L'usage systématique et intensif du ravitaillement en vol dans toutes nos opérations en intervention, mais aussi pour la protection et la dissuasion, rend la sécurisation de cette capacité incontournable. C'est pourquoi je recommande vivement une accélération du calendrier des livraisons des MRTT, nos C-135 étant prévus d'être maintenus en service jusqu'en 2025 en l'état des hypothèses de programmation. Ils auront alors 60 ans ! Par ailleurs, une augmentation de la cible de MRTT avion de ravitaillement et de transport stratégique polyvalent, sera indispensable pour couvrir l'ensemble des besoins de la composante nucléaire aéroportée, de l'aviation de combat et du transport stratégique. Une révision de la cible finale des MRTT à hauteur de 18 appareils me paraît nécessaire au vu des engagements constatés.