Monsieur Ferrara, je vous remercie de l'attention que vous portez à l'aviation de chasse. Comme vous le savez nous continuons à en réduire le format actuellement en tentant de préserver les équilibres organiques essentiels entre les heures de vol consacrées aux missions opérationnelles qui nous sont demandées, à l'entraînement des équipages et au soutien à l'export. Je rappelle que les Mirage 2000N seront retirés du service l'an prochain, les Mirage 2000C en 2021, les Mirage 2000-5 en 2025 et les Mirage 2000D vers 2030.
Lorsque la pression opérationnelle dépasse les équilibres prévus dans la LPM et s'installe dans la durée, malgré les très nombreuses mesures prises en interne pour en atténuer les conséquences, l'entraînement et la formation se dégradent, ce qui finit par impacter nos capacités opérationnelles. Si l'entraînement est insuffisant, le nombre d'équipages formés, capables de conduire les missions opérationnelles, diminue progressivement. J'estime en perdre environ quatre à cinq chaque année actuellement, l'équivalent d'un escadron de chasse en quatre à cinq ans. Il en résulte que les déséquilibres s'aggravent. Nous sommes ainsi entrés dans un cercle vicieux dont il ne sera possible de sortir qu'en produisant un volume d'heures de vol suffisant pour réaliser à la fois les missions opérationnelles, le soutien à l'export et garantir le niveau d'entraînement. Voilà pourquoi je pense qu'il ne faut pas réduire davantage le format dont nous disposons aujourd'hui. Dans le précédent Livre blanc le format de l'aviation de chasse avait été arrêté à 225 avions de chasse, dont une quarantaine réservée à la marine et 185 pour l'armée de l'air. Cet objectif devait être atteint après le retrait de service des Mirage 2000N et des Mirage 2000C donc à l'horizon 2021. Je demande de porter ce format de 185 appareils réservés à l'armée de l'air à 215 avions de chasse.
Pour atteindre cet objectif et préserver ces équilibres organiques cruciaux, nous devons travailler sur plusieurs axes. J'en propose deux. En premier lieu, pour atténuer l'impact budgétaire tout en stabilisant le format, il est sans doute possible, dans l'immédiat, de prolonger un peu plus les flottes les plus anciennes tout en modernisant quelques Mirage 2000D en complément des 55 déjà prévus. L'autre levier sur lequel je souhaite m'appuyer, repose sur le principe de « réparation du présent » que j'évoquais plus tôt. En raison des multiples économies réalisées sur l'entretien du matériel, sur les équipements de mission des appareils, sur le nombre de mécaniciens, sur les pièces de rechange, j'estime que nous n'exploitons pas les possibilités de notre flotte à 100 %. Par exemple lorsque certains équipements de mission manquent comme les nacelles de désignation laser, les antennes radar des Rafale, les systèmes optroniques, il n'est pas possible d'entraîner les équipages dans tout le spectre des missions.
Je rappelle également que la réduction du format à 185 appareils, rendue possible par une large mutualisation des contrats opérationnels, devait s'accompagner du passage à une flotte polyvalente où chaque avion était capable de réaliser toutes les missions indifféremment. Pas de mutualisation des contrats sans polyvalence ! Le passage progressif au Rafale qui est un avion totalement polyvalent et une modernisation ambitieuse du Mirage 2000D, devaient nous permettre d'y parvenir. Nous n'en sommes malheureusement pas là aujourd'hui et pour de nombreuses années. La flotte de chasse de l'armée de l'air est composée pour plus de la moitié de Mirage 2000 dans différentes versions. La modernisation du Mirage 2000D a été réalisée a minima ce que je regrette. De fait nous ne disposerons pas de capacité air-air sur cet avion par exemple. Les autres Mirage 2000 ont des capacités air-sol très limitées. Donc avant d'atteindre le format polyvalent « type Rafale » qu'imposent la contraction des formats et la mutualisation des contrats opérationnels, commençons par exploiter au mieux les potentialités de la flotte actuelle !
Je serai très attentif à ce que le phénomène de retard de formation que nous connaissons actuellement ne nous fasse pas perdre de savoir-faire. Ce serait inacceptable car ce sont ces savoir-faire qui font la différence sur les théâtres d'opérations ou pour exporter le Rafale. Le volet « ressources humaines » est à cet égard, très important. Du fait de la tension sur les effectifs de mécaniciens, un certain nombre d'avions est immobilisé en attente de réparation. Lorsque nous avions élaboré nos plans de déflation, nous avions fait des hypothèses sur le nombre de mécaniciens nécessaires à la maintenance de nos aéronefs. Ces hypothèses se sont révélées trop ambitieuses, par exemple pour le C135 ou l'A400M. Pour le Rafale, nous avions prévu sept mécaniciens par avion alors qu'en réalité, il en faut 12. Face à l'ensemble de ces tensions, je rencontre des difficultés de fidélisation du personnel. Ce phénomène est aussi lié aux forts besoins de recrutement de l'industrie aéronautique, qui est en mesure de proposer des conditions de rémunération bien supérieures. Voilà pourquoi ma priorité, consiste d'abord à « réparer le présent » : il faut retrouver de la cohérence opérationnelle, limiter les déséquilibres organiques dont je parle. Ces dispositions et en particulier le rétablissement de la cohérence auront en outre un impact extrêmement favorable sur le moral du personnel.
Le moral des aviateurs est toujours tiré par nos opérations, qui donnent du sens à notre action. Il s'agit là d'un facteur très important pour la motivation du personnel. En opération nos hommes et nos femmes disposent en outre des ressources nécessaires pour conduire leur mission sans les soucis des « bases à l'arrière ». En revanche, sur nos bases en métropole, les difficultés sont davantage présentes, en lien avec la situation que je viens d'évoquer auxquelles s'ajoutent les difficultés rencontrées par les soutiens ou l'état de nos infrastructures. Le moral est donc beaucoup plus mitigé en métropole, nos problèmes de fidélisation sont révélateurs à cet égard. Il y a une vraie dualité aujourd'hui entre la situation en opération et la situation sur nos bases métropoles.
Madame Dubois, s'agissant des cadets de la défense sur la base aérienne d'Évreux, je voudrais vous dire toute l'importance que j'attache aux actions conduites en faveur de la jeunesse. Les armées transmettent ce qu'elles estiment être une richesse, alors que le besoin s'en fait sentir dans la Nation. Ce sont les mêmes valeurs que nous transmettons en interne aux jeunes en formation qui nous ont rejoints. Mais j'ai aussi demandé à mes bases aériennes de trouver les moyens de rayonner dans leur environnement parce que je perçois cette attente de la part de la jeunesse. Nous avons ainsi pris plusieurs initiatives : le brevet d'initiation aéronautique, l'augmentation du nombre de classes à l'école de Saintes, la montée en puissance des jeunes dans la réserve, le tutorat mis en place à Salon-de-Provence où de jeunes officiers s'en vont donner des cours de soutien à des jeunes en difficulté. Cela se révèle profitable tant à ces élèves qu'à mes jeunes officiers qui vont ainsi se former à la transmission et à l'encadrement. J'ai également demandé à ce que l'on réfléchisse au développement de l'apprentissage dans nos ateliers de maintenance aéronautique grâce à des partenariats avec les collectivités territoriales, les acteurs économiques locaux, dans une logique de bassin d'emploi tournée vers le milieu aéronautique. Toutes ces initiatives sont pragmatiques, proches du terrain et me semblent devoir et pouvoir être multipliées. Cela procède me semble-t-il, de la même intention, du même objectif que celui poursuivi avec le service national universel (SNU).
Je note que le regard des jeunes change véritablement quand vous les considérez et que vous leur portez de l'attention. Il s'agit là d'une chose que nous savons bien faire dans les armées car notre efficacité repose sur la cohésion et sur la confiance réciproque entre le chef et ses subordonnés, des valeurs qui sont indispensables lorsqu'il faut aller au combat. Pour s'occuper des jeunes il faut aussi du personnel dévoué. Pour conduire les initiatives que je vous ai décrites des hommes et des femmes dans l'armée de l'air, en dehors de leurs heures de travail, passent leurs week-ends à s'occuper des jeunes. Évidemment il y a aussi des gens dévoués ailleurs que dans les armées pour assurer ce qui me semble être un devoir national, si nous nous accordons sur ce besoin de renforcer la cohésion nationale par des actions en faveur de la jeunesse. Au niveau de l'armée de l'air nous pourrions faire davantage, naturellement, mais il ne faut pas que cela affecte nos capacités opérationnelles. Telle doit être la limite à mon sens.
En matière de transport aérien, je distingue de façon schématique le transport stratégique qui est principalement logistique, du transport tactique. Le transport tactique, est celui qui permet de mener des opérations de guerre sur les théâtres d'opérations. Il nécessite des savoir-faire de haut-niveau : opération aéroportée, atterrissage sur terrain sommaire, pénétration à basse altitude, etc. À supposer que ce soit politiquement et éthiquement acceptable, il n'y a pas, dans ce domaine, d'offre du secteur privé. Des moyens militaires, les nôtres, ou éventuellement ceux de nos alliés, sont donc indispensables. Pour le transport stratégiquelogistique, en revanche, il existe une offre privée et comme nos capacités sont insuffisantes, il est pertinent d'y avoir recours. Il faut alors trouver le bon modèle qui préserve un niveau d'autonomie suffisant. Nous avons besoin, par exemple, de cette autonomie lors du déclenchement d'une opération – rappelons que le marché ne répond pas forcément immédiatement à la demande parce que nous ne sommes pas les seuls, en général à chercher ce type de capacités lorsqu'un conflit se déclenche, les lacunes en matière de transport aérien étant assez largement répandues au niveau européen.
Aujourd'hui nous sommes objectivement dans une situation de dépendance et contraints d'avoir recours à ces moyens extérieurs. Cette situation est la conséquence de nos choix antérieurs. Je rappelle en outre que nous ne disposons pas aujourd'hui d'un appareil capable de transporter des équipements hors gabarits, ou plusieurs blindés ou hélicoptères simultanément par exemple, ce qui est indispensable lorsqu'une crise se déclenche. Nous renforçons toutefois actuellement nos capacités avec l'A400M. Malgré la faible disponibilité de cette flotte et l'insuffisance de ses capacités tactiques, autant de choses que je regrette, l'A400M démontre ses performances remarquables comme nous l'avons constaté lors de la crise Irma. L'arrivée prochaine des avions multi-rôle MRTT (ravitaillement et transport) y contribuera également. Pour résumer, il faudra donc trouver dans la LPM, les bons équilibres entre les capacités dont nous disposons en propre et les capacités que nous serons toutefois toujours contraints d'aller chercher dans le secteur privé. Il me semble qu'il serait, en effet, déraisonnable sur le plan économique de vouloir couvrir tous les scénarios de déclenchement des crises avec nos propres moyens, sauf à se doter d'une flotte pléthorique qui ne serait employée qu'une part très limitée du temps. Ceci étant précisé, nous sommes certainement allés trop loin en retardant à l'excès le renouvellement de nos flottes. Nous avons une fragilité historique à combler. C'est en cours avec les programmes A400M et MRTT.
Le recours au marché civil a évidemment un coût, mais c'est aussi celui des investissements que nous avons choisi de ne pas faire. Je ne m'exprimerai pas sur l'enquête en cours relative aux éventuelles irrégularités dans la passation de ces marchés, l'organisme en charge de ces sujets n'étant pas sous ma responsabilité.
Aussi, je recommande de réaliser une étude économique pour répondre à deux questions. D'abord, quel niveau d'autonomie souhaitons-nous pour la France dans ce domaine ? Ensuite, quel est l'état du marché civil : l'offre est-elle pérenne et nous garantit-elle, en toutes circonstances, l'accès à des capacités de transport stratégique à un coût satisfaisant ?
Monsieur Lachaud m'a interrogé sur les annulations de crédits à hauteur de 850 millions d'euros. Je vous ai déjà dit que j'estimais les conséquences modérées à court terme. Il faudra, le moment venu, reconstituer la trésorerie prélevée ici ou là. Ce travail est en cours dans le cadre des travaux de la LPM. Sur les mesures physiques qui concernent directement l'armée de l'air, j'ai parlé du décalage de la commande d'équipements de rénovation du Mirage 2000D, d'un complément de capacité sur l'avion léger de surveillance et de reconnaissance, de la charge utile renseignement d'origine électromagnétique et de la commande d'un hélicoptère Caracal. Objectivement, tout cela est gérable. Il y aura de légers décalages pour les premières livraisons des Mirage 2000D rénovés sans conséquence sur les livraisons finales. Nous sommes en cours de négociation avec l'industriel. Sur le programme d'avion de surveillance léger de reconnaissance, c'est un capteur qui arrivera plus tard. Cette mesure ne nous empêchera pas de commencer à exploiter nos ALSR. Sur la charge utile ROEM, le retard pris côté américain ne nous aurait pas permis de conclure en 2018. En revanche, un décalage de six mois est acceptable sur l'hélicoptère Caracal, mais pas au-delà. Il faut absolument le commander en 2018, car cette flotte est indispensable pour nos opérations spéciales et sa situation est préoccupante compte tenu de l'attrition dont elle a été l'objet au combat. Il me paraît indispensable, a minima, de remplacer les machines détruites en opération.