Je comprends que l'armement des drones fasse l'objet de plusieurs questions : je vais tenter de regrouper les réponses. En premier lieu, il s'agit de tirer profit de la permanence des drones de surveillance de très longue endurance, les seuls dont nous soyons équipés. Cette permanence permet de saisir des fenêtres d'opportunité dans certaines circonstances, face à un ennemi fugace qui se retranche dans des espaces extrêmement vastes, comme le désert sahélien. Je précise au passage que c'est bien la permanence de la surveillance qui apporte la véritable plus-value. Je vous renvoie à ce que j'ai dit dans mon intervention liminaire s'agissant de cette aptitude centrale pour le développement des actions aériennes : leur persistance. Raison pour laquelle d'ailleurs il n'y a personne à bord car les vols sont très longs. Il nous est donc apparu nécessaire, lors de la détection d'un ennemi, d'être en mesure de saisir ces fenêtres d'opportunité afin de pouvoir appliquer les effets militaires requis au moment voulu. D'où la décision de notre ministre d'armer ces drones, ce dont je me félicite. L'armée de l'air était en effet, favorable à l'armement des drones de surveillance depuis de nombreuses années. Ce choix soulève deux questions : celle des solutions techniques et celle des garde-fous éthiques et politiques.
Les solutions techniques tout d'abord. Je pense que, dans la mesure où nous tirons parti de la permanence des drones, il ne faut pas affecter de façon excessive leur autonomie en les armant, ce qui se produira mécaniquement car les appareils seront plus chargés. Plus les armements seront lourds, plus nous réduirons l'autonomie, plus nous fermerons les fenêtres d'opportunité que nous cherchons à ouvrir. Il faut donc trouver des munitions légères, ce qui répond par ailleurs aux types de cibles que nous cherchons à traiter, en général des objectifs faiblement durcis pour viser des groupes de terroristes très mobiles dans le désert par exemple. Évidemment, nous devons demander l'autorisation aux autorités américaines d'armer ces machines puisque nous les avons commandées aux États-Unis. Quant aux garde-fous politiques, je suis contre l'autonomisation de l'ouverture du feu, quand bien même cela deviendrait possible à l'avenir. Aujourd'hui, nous prenons de nombreuses dispositions pour conserver l'intelligence et le choix de « l'homme dans la boucle », c'est-à-dire tout simplement le respect des choix d'engagement décidés par nos autorités politiques. Ce contrôle politique s'exerce dans nos opérations à travers des règles d'engagement qui sont définies et que nos combattants appliquent à la lettre, y compris les opérateurs de drones. S'il n'y a personne à bord d'un drone, il existe tout de même un équipage capable de décider. En outre, j'ai demandé que ces opérateurs soient situés sur le théâtre d'opération et non en métropole, car nous disposons déjà de la possibilité de conduire nos missions à distance du théâtre d'opérations. Je suis en effet opposé à l'idée d'un militaire qui ouvrirait le feu à 16 heures et qui à 18 h 30 ferait faire leurs devoirs à ses enfants. Cela soulève des questions éthiques et psychologiques pour nos combattants. Nous mettrons donc en place un cadre très précis à l'emploi des drones armés.
Je me permets d'apporter une précision au sujet des ressources humaines nécessaires à la mise en oeuvre de nos drones. Il faut, en réalité, non pas moins, mais plus de personnel pour opérer les drones que les avions pilotés. Au sol, des équipages se relaient dans les cabines de contrôle pour garantir la permanence. Un équipage comprend quatre personnes : un pilote, un opérateur systèmes, un officier de renseignements et un interprétateur photos, qui sont en permanence devant les écrans. Pour garantir cette permanence il faut plusieurs équipages qui se relaient sans arrêt. Selon mon homologue de l'US Air Force qui a une longue expérience dans ce domaine, seize équipages sont nécessaires au final, pour maintenir en permanence une orbite de drone, compte tenu de la régénération opérationnelle et du besoin de suivi des missions. Il ne faut pas non plus oublier la maintenance que les mécaniciens doivent assurer et qui est équivalente à celle d'un avion classique.
Votre question sur la sécurité de nos bases aériennes porte sur deux points : les choix que nous avons faits face aux déflations d'effectifs et le recours aux sociétés de sécurité. Comme vous le savez, nous avons procédé à des déflations très importantes des fusiliers commandos dans le cadre de la RGPP et avons fait le choix avant 2015 de recourir à des sociétés de sécurité sur les sites les moins sensibles. Sur les bases à vocation nucléaire ou les bases disposant d'une plateforme aéronautique, nous avons conservé les fusiliers commandos qui constituent, avec la gendarmerie de l'air, l'échelon principal des forces de protection de l'armée de l'air. Depuis 2015 face à l'augmentation des menaces, nous avons renforcé les effectifs consacrés à la protection de ces bases et, en priorité, ceux des fusiliers commandos. Sur les autres sites, comme les écoles, les entrepôts, certaines bases radars, nous avons pris la décision d'armer une partie du personnel, tout en nous appuyant sur des renforts de la gendarmerie ou de la base aérienne la plus proche. Nous avons par ailleurs pris de très nombreuses autres dispositions, par exemple en durcissant nos infrastructures de protection ou en renforçant les moyens de surveillance, etc. Depuis 2015, nous avons donc considérablement renforcé notre dispositif de protection.
Concernant la fiabilité des personnels de ces sociétés, nous avons pris les mesures nécessaires, en étroite liaison avec la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD). Le renforcement de la sécurité de nos bases nous mobilise fortement en raison des tensions sur les ressources humaines que j'ai évoquées. À ce titre, les fusiliers commandos sont l'objet d'une grande attention de ma part. Devant l'insuffisance des effectifs et malgré toutes ces mesures, nous avons été contraints d'accroître le volume de personnel consacré à la protection en usant d'autres voies. Nous avons, d'une part, fait appel au personnel militaire non spécialiste de la protection que nous avons remis à niveau de ses fonctions de sécurité : des contrôleurs aériens, des mécaniciens avion, etc. Il est évident toutefois que ces prélèvements ont accru les tensions sur une ressource humaine qualifiée et rare qui lorsqu'elle est utilisée à des fins de protection fait défaut dans sa fonction d'origine. Nous avons enfin augmenté de 30 % les effectifs de la réserve opérationnelle en portant l'accent en priorité sur les jeunes et sur la fonction protection, comme l'illustre l'exemple de ce jeune réserviste de l'armée de l'air lors de l'attaque terroriste d'Orly.
J'en viens au futur de l'aviation de combat. Comme vous le savez, nous avons engagé une réflexion sur le système de combat aérien futur. Plutôt que de commencer par réfléchir en partant d'un avion, d'une plateforme, il me paraît nécessaire de réfléchir selon une logique de système. Nous vivons, en effet, dans un monde connecté et nous tirons notre efficacité de la massification des échanges d'informations et de la rapidité avec laquelle nous traitons les données : nous devons donc commencer par nous demander comment nous voulons voir fonctionner l'ensemble de ce réseau constitué par le système de combat aérien dans sa globalité : quelle est son architecture, comment sont optimisés les échanges entre les différents éléments du système de combat : les avions de chasse, de ravitaillement en vol ou de transport, les armements, les capteurs de toute sorte, les relais de communication : satellites, drones… ; où et comment améliorer la rapidité de traitement des données recueillies, comment mieux faire collaborer les différentes plateformes (au sens aviondronescapteurs moyens des autres armées) entre eux, quels sont les protocoles d'échange, quelle est la résilience de ce réseau, etc. Bref je souhaiterais que nous pensions d'abord le système plutôt que les plateformes, pour les connecter ensuite entre elles. En effet, le défi que nous rencontrons à propos de la construction de nos futures plateformes aériennes est à la fois technologique et budgétaire. Je pense qu'organiser la connectivité d'ensemble du système a posteriori est plus coûteux. Par ailleurs nous voyons bien que nous nous heurtons à la complexité de l'intégration de fonctions de plus en plus nombreuses à bord de nos appareils, ce qui a également des conséquences budgétaires. Je ne dis pas que ce sera facile, mais je pense qu'il faudrait tenter de libérer la réflexion de ces contraintes d'intégration en pensant d'abord l'architecture globale du système en étant capable, le cas échéant, de réallouer les ressources fonctionnelles dans l'ensemble du système de combat. Il faut changer d'approche et commencer par réfléchir à la façon dont s'organise l'architecture du système voulu, ce qui permettra incidemment d'évaluer et de comparer les performances de plusieurs architectures système.
L'armement des drones n'est pas inclus à ce stade dans le PLF 2018, puisque la décision a été prise très récemment. Les deux prochains systèmes de drones MALE seront livrés en 2019. Nous espérons disposer d'une première capacité sur ces Reaper à cette échéance.
Nous avons recours à nos alliés pour la surveillance. Cela constitue une lacune capacitaire de longue date de nos armées. Je salue la décision du précédent ministre d'acheter sur étagère des systèmes américains qui font aujourd'hui la démonstration de leur efficacité au Sahel. Sur le théâtre du Levant, nous dépendons très largement des capacités de nos alliés dans le domaine de la surveillance. C'est pourquoi le choix a été fait de développer un programme de drones européens pour nous libérer de ces contraintes à moyen terme.
Notre dispositif de surveillance aérienne constitue également une préoccupation permanente. Le PLF 2018 contient ainsi des dispositions visant à renforcer nos capacités de détection radar, en particulier pour abaisser nos planchers de détection en basse altitude. Ce n'est pas le seul secteur sur lequel nous portons nos efforts ; une réflexion a été engagée sur les moyens permettant la détection des mini-drones ainsi que leur neutralisation. Les premiers systèmes sont opérationnels et ont été employés lors d'événements récents Je souligne enfin, au sujet de la détection à basse altitude, que nous disposons aussi des avions de détection et de contrôle aéroportés AWACS qui sont capables, avec un seul avion, d'avoir une détection parfaite vers le bas et une couverture de la totalité du sud de la France, puisque c'est l'exemple que vous avez choisi.