Il s'agit d'un sujet fondamental, parce qu'en termes de répression de la délinquance, nous partons d'une situation où la culture française n'est absolument pas imprégnée par la problématique des saisies et confiscations. La mesure d'une « bonne affaire » se faisait auparavant à l'aune du nombre de personnes à interpeller, du nombre de personnes condamnées à de la prison ferme et du nombre d'années de prison prononcé, quitte à ce que le détenu continue à gérer ses affaires et son patrimoine depuis son établissement pénitentiaire et qu'à la sortie il puisse mener une « belle vie » avec l'argent mis de côté. Cela n'était pas une caricature il y a une vingtaine d'années.
Nous avions fait un travail commun il y a presque dix ans qui avait abouti à la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale. J'avais eu l'honneur, avec notre ancien collègue Guy Geoffroy, de rapporter ce texte. Il avait conduit à la création d'une agence dédiée, car nous avions identifié toute une série de rugosités, un manque de structures spécialisées et un défaut de compétences. Dans sa lettre de mission du 19 juin 2019, le Premier ministre nous demande de faire un bilan de l'action de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) ainsi que des autres structures qui existent. La police nationale dispose en effet de la plate-forme d'identification des avoirs criminels (PIAC) et la gendarmerie nationale est dotée de la cellule nationale des avoirs criminels (CeNAC). Il existe aussi des groupements d'intervention régionaux.
Le Premier ministre nous a donc demandé de faire un bilan à la fois qualitatif et quantitatif de l'ensemble de ces structures, de vérifier s'il existait des chevauchements et si des recentrages et des simplifications étaient nécessaires, notamment en ce qui concerne les procédures financières. Un autre aspect de notre mission portait sur la confiscation des biens mal acquis, c'est-à-dire des biens détournés par des dirigeants de pays étrangers ou leurs proches.
Je me félicite d'avoir mené cette mission avec un éminent membre de la commission des Finances.
Premier constat : nous n'avons rencontré personne qui critique l'AGRASC, qui est reconnue par l'ensemble des interlocuteurs nationaux et internationaux. La France bénéficie de fonctionnaires qui travaillent très bien et sont très compétents, notamment en matière de lutte contre la délinquance économique et financière. Ces fonctionnaires identifient les biens susceptibles d'être saisis afin qu'ils puissent être confisqués, l'agence exerçant un rôle de conseil. La PIAC gère un petit nombre d'affaires, entre 15 et 20 par an, qui sont très bien traitées. Mais, en tant que parlementaires, on ne peut que regretter que ces agents bien formés traitent seulement 15 ou 20 affaires par an.
Deuxième constat : la culture de la confiscation reste très centrée sur la délinquance économique et financière. Il nous a ainsi été relaté, dans le cas d'une fonctionnaire de l'État qui « arrondissait » ses fins de mois en faisant du proxénétisme, que le pavillon où s'exerçait cette activité n'avait pas été saisi, parce que cela n'est pas encore un réflexe pour de la délinquance non économique et financière, avec le risque que l'activité reprenne à la fin de la sanction.
Troisième constat : l'élaboration des statistiques est perfectible. Les saisies ne cessent d'augmenter mais il n'existe aucune chaîne unique de recensement et de centralisation des données. Les services de police et de gendarmerie font leurs statistiques avec des tableurs Excel, la douane également. L'AGRASC ne joue pas de rôle en la matière. Les biens rentrent dans les greffes des tribunaux, où ils sont mélangés avec d'autres biens saisis à des fins probatoires. Si, dans le cas, par exemple, d'un homicide commis dans une voiture, il est normal que celle-ci soit conservée jusqu'à la fin de la procédure et l'épuisement de tous les recours comme moyen de preuve, il n'y a aucune raison qui justifie la conservation des saisies à vocation confiscatoire. L'un des buts du législateur en 2010 avait été de promouvoir la vente avant le jugement. Concrètement, cela signifie qu'en cas de saisie d'un véhicule, il ne sera pas nécessaire de payer des fourrières pour le garder pendant deux ou trois ans, le temps que le tribunal correctionnel ou la cour d'appel se soient prononcés. Il pourra être vendu tout de suite, l'argent étant alors consigné à la Caisse des dépôts et consignations. Si la personne est relaxée, l'argent lui sera restitué, et, si elle est condamnée, il lui sera définitivement confisqué. Force est de constater que ce mécanisme ne fonctionne pas bien. Actuellement, un grand nombre de parquets s'autocensure, notamment pour des raisons liées à la limitation des frais de justice qui représentent, dans les gros tribunaux, plusieurs centaines de milliers d'euros. Certains véhicules pourraient être très utiles mais, au lieu de cela, nous faisons des greffes une gare de triage. Il faut être pragmatique comme dans le système néerlandais.
Dernier constat : nos forces de l'ordre sont sensibles à la réutilisation des véhicules saisis. Le service compétent de la gendarmerie fonctionne bien à cet égard. Un tiers des véhicules banalisés de la gendarmerie provient de saisies et l'affectation à une direction ou à un service dure six mois environ. Au terme de ce délai, c'est-à-dire lorsque le véhicule commence à être connu du public qu'il sert à surveiller, il est vendu selon la procédure de droit commun. En Île-de-France, la gendarmerie nationale dispose même d'une application informatique sur laquelle chaque service peut indiquer ses besoins. Ainsi le service qui a besoin d'un véhicule n'ira-t-il pas le saisir lui-même en cherchant dans son périmètre s'il en existe un du même type mais sera informé, par le biais de cette application, des véhicules qui y ont été enregistrés afin que l'un d'eux lui soit attribué.
Dans la police nationale, en revanche, cela ne fonctionne pas du tout. Dans beaucoup d'endroits, c'est l'autocensure qui prime par peur que les demandes d'attribution d'un véhicule prennent trop de temps pour être validées par la hiérarchie. Le ministre a conscience de ce problème. Ces exemples montrent que nous avons acquis un savoir-faire que se sont appropriés certains services mais qui n'a pas été généralisé. Faire évoluer la situation ne coûterait pas grand-chose : des marges de manoeuvre sur le plan organisationnel existent qui pourraient permettre des progrès considérables.
De même, il y a des tribunaux où cela fonctionne très bien et d'autres non. Aller rechercher ce qui a été saisi au fur et à mesure de la procédure, ce qui a été contesté et ce qui ne l'a pas été et s'assurer que la décision finale de confiscation sera bien appliquée peut prendre d'une à trois journées de travail au magistrat qui clôture une information. Par ailleurs, l'AGRASC n'est pas tenue au courant de toutes les décisions de confiscation.
Il me semble vous avoir exposé tous les manques que nous avons constaté et nos propositions pour les combler. Certaines nécessitent un véhicule législatif pour être mises en oeuvre. D'autres relèvent de l'organisation des services. Nous avons besoin d'un portage politique de cet objectif de saisie et de confiscation dans l'ensemble de l'appareil répressif de l'État.
Enfin, cela ne me choque pas que nous ne saisissions pas un véhicule parce qu'il va faire perdre de l'argent à l'État. En revanche, que l'on ne saisisse pas un véhicule parce que l'État ne gagnerait pas d'argent me choque beaucoup. Cela représente tout de même pour la population le moyen ou le fruit d'un acte de délinquance. Pour la paix sociale, le délinquant ne doit pas pouvoir mener un train de vie fastueux. Nous faisons la même remarque à propos du matériel vidéo saisi dans certains appartements. Nous devons faire preuve de davantage d'agilité sur l'ensemble du territoire.
Notre mission comportait une dimension territoriale, qui nous est apparue très importante. Doit-on territorialiser le savoir-faire que nous avons développé au niveau national pour aller frapper la délinquance locale ? Je pense que nos concitoyens l'attendent.