Intervention de Laurent Saint-Martin

Réunion du mercredi 4 décembre 2019 à 10h40
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Saint-Martin :

S'il y a un maître mot qui a guidé notre travail, c'est celui de l'efficacité, d'abord dans notre méthode de travail, ensuite à travers les échanges que nous avons noués avec l'ensemble des acteurs entendus, enfin par les constats et propositions que nous formulons. Nous avons auditionné 144 représentants d'administrations centrales, de services d'enquête, de juridictions, d'agences de l'État, au premier chef desquels l'AGRASC. Nous avons également entendu des organisations de la société civile, notamment au sujet des biens mal acquis et de leur restitution, que j'évoquerai en dernière partie.

Jean-Luc Warsmann a parfaitement dressé les constats qui sont les nôtres.

Chaque mot du titre du rapport est bien choisi. Il s'intitule : « investir pour mieux saisir, confisquer pour mieux sanctionner ». J'insiste vraiment sur le terme d'« investissement », parce que nous pensons que les propositions que nous faisons dans ce rapport représentent des investissements importants mais soutenables et rentables sur le plan politique, sociétal, financier et budgétaire. En effet, ces investissements permettraient de réaliser de sérieuses économies en termes de gestion des biens saisis, et aussi grâce aux gains issus de la vente des biens confisqués.

Nos propositions portent d'abord sur l'investissement dans l'organisation des services. L'une est de déconcentrer l'AGRASC dans les territoires. Nous proposons de créer 16 agences régionales de l'AGRASC calquées sur les budgets opérationnels de programme (BOP) des cours d'appel. Nous pensons qu'aujourd'hui, la principale limite en termes d'efficacité de l'AGRASC est son inégale présence dans les territoires selon la nature des dossiers, et en particulier dans les petites juridictions, qui ont pourtant besoin de son appui et de son expertise. C'est pour cela que cette première proposition nous paraît indispensable et sine qua non pour le succès de toutes les autres préconisations.

Nous proposons aussi que l'AGRASC soit mieux dotée en moyens, afin qu'elle puisse assurer son rôle extrêmement important de centre de ressources et d'information. Nous avons été frappés par le constat unanime dressé par toutes les personnes auditionnées sur le manque d'accès à l'information et aux statistiques et l'absence de centralisation de celles-ci. Aujourd'hui, un service d'enquête de police ou de gendarmerie qui saisit un bien ne sait pas ce que devient ce bien. Un magistrat qui ordonne une confiscation ne sait pas ce que devient la gestion de ce bien, et l'AGRASC elle-même n'est informée que lorsqu'elle est formellement sollicitée. Elle n'est pas au courant de tout ce qui se fait sur l'ensemble du territoire. Il est donc nécessaire que l'AGRASC devienne ce centre de ressources.

Ensuite, il est important d'investir dans la procédure pénale numérique et d'y intégrer la dimension patrimoniale qui en est totalement absente. Nous pensons que c'est un vrai problème. Beaucoup d'investissements ont été faits dans le logiciel Cassiopée, mais il n'intègre pas la problématique des saisies et confiscations de façon satisfaisante.

Par ailleurs, il conviendrait d'investir dans les moyens humains, par un surcroît de dépense publique mais aussi par des transferts au sein du titre II pour ne pas trop augmenter le nombre d'agents publics. Il nous paraît important d'affecter davantage d'assistants spécialisés dans les principales juridictions, à commencer par les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS). Il s'agit de personnes, contractuelles ou fonctionnaires, qui viennent apporter leur expertise au sein de ces juridictions. Certaines sont issues de la direction générale des finances publiques (DGFIP), d'autres des douanes, et d'autres de la police et de la gendarmerie nationales. Ces personnes qui viennent travailler au plus près des magistrats et des greffiers apportent une véritable valeur ajoutée, et nous proposons qu'il y en ait systématiquement qui soient dédiées à la problématique de la saisie et de la confiscation dans chacune des plus grandes juridictions de notre pays. Pour les plus petites juridictions, nous proposons que ce soit géré par des greffiers qui soient davantage formés et sensibilisés à cette problématique.

Si je résume, l'investissement consisterait à faire de l'AGRASC un vrai réseau sur l'ensemble du pays avec 16 petites agences dans les territoires, à renforcer les JIRS d'assistants spécialisés et les plus petites juridictions de greffiers spécialisés en saisie et confiscation. Ainsi, chaque échelon territorial, chaque juridiction verrait sa capacité d'agir renforcée.

Par ailleurs, il n'est pas anodin que Jean-Luc Warsmann et moi-même ayons été nommés ensemble, puisqu'il existe une vraie problématique en termes de circuits financiers. L'AGRASC a aujourd'hui un système de financement qui n'est pas satisfaisant. Elle est financée par l'État et par le produit des intérêts des sommes placées à la Caisse des dépôts et consignations à l'issue des ventes, ce qui constitue un financement assez instable. Nous proposons de resincériser le financement de l'AGRASC, en en faisant une agence opérateur de l'État qui soit dans le giron du contrôle parlementaire, et qu'elle soit financée par une ligne d'action du programme de la mission « Justice », lors du vote du projet de loi de finances de chaque année.

S'agissant de ce que redistribue l'AGRASC à travers les fonds de concours, nous proposons là aussi de resincériser et de rendre plus lisibles les circuits financiers, en remontant systématiquement au budget général de l'État l'ensemble des sommes issues des ventes. Nous proposons que chaque ministère qui a participé à la saisie et à la confiscation soit doté de la même manière à travers les missions « Sécurités » et « Justice ». Au-delà de leur aspect technique, ces évolutions soulèvent un réel intérêt en termes de clarification financière et de lisibilité, permettant aux parlementaires de mieux contrôler cette agence et de comprendre ce qu'elle fait sur tous les territoires.

Enfin, nous proposons de clarifier un certain nombre d'organisations et de services au sein du ministère de l'Intérieur pour gagner en efficacité. La PIAC est un outil qui fonctionne très bien mais qui doit se rapprocher davantage des commissions nationales et régionales d'aménagement commercial. Au sein de la gendarmerie nationale, l'identification et la saisie des biens pourraient se faire avec plus de synergies. Notre lettre de mission nous interrogeait sur la pertinence d'une fusion de la PIAC et de l'AGRASC. Nous ne la pensons pas pertinente dans la mesure où ces deux structures exercent deux métiers différents qui doivent conserver leurs spécificités. En revanche, des synergies et des partages d'expertise sont possibles entre elles. Je ne vous apprends pas grand-chose, ainsi qu'au ministre de l'Intérieur, en vous disant que des progrès sont possibles en termes de rapprochement de certains services de la police et de la gendarmerie nationales.

Par ailleurs, nous proposons de clarifier les fonctions de l'AGRASC en matière de statistiques et de monopole des ventes avant jugement. C'est important pour qu'il y ait une cohérence d'ensemble.

Enfin, dans les juridictions, nous proposons d'obliger le magistrat à prendre une décision dans les trois mois sur le devenir du bien saisi, qu'il s'agisse d'une conservation pour valeur probatoire, d'une vente avant jugement, d'une affectation du bien à un service, de sa restitution – éventuellement contre paiement – ou de sa destruction. Cette décision doit être prise dans un délai raisonnable pour éviter l'accumulation de biens saisis, à l'image du parc automobile du tribunal de grande instance de Créteil, dont les frais de gardiennage coûtent presqu'un million d'euros par an, ce qui, à l'échelle nationale, peut représenter des dizaines de millions d'euros. Or je ne suis pas certain qu'il soit de notre devoir de nous préoccuper de l'avenir financier des fouriéristes, qui profitent de cette situation. Des économies sont donc à réaliser en étant beaucoup plus efficaces sur le devenir du bien saisi.

Concernant les biens mal acquis, il nous était demandé dans la lettre de mission de donner suite à une proposition de loi du Sénat qui avait été portée par M. Jean-Pierre Sueur sur la restitution des biens mal acquis issus de la corruption internationale aux populations victimes des pays d'origine. Nous avons proposé un modèle qui ressemble à celui de la Suisse : chaque cas doit être traité sur-mesure. Nous ne voulons pas que la mission « Aide publique au développement » soit dotée du montant total de la vente des biens. Nous voulons absolument que le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères se saisisse de chaque dossier, crée une cellule ad hoc associant systématiquement l'AGRASC et l'Agence française de développement (AFD), dont l'expertise en matière de financement des projets de développement est reconnue, et ouvre un dialogue diplomatique avec le pays d'origine. Là est la difficulté. Il faut évidemment que ce ministère utilise toute sa créativité et toute son expérience pour permettre, aux côtés de l'AFD, de faire circuler au mieux l'argent afin qu'il puisse bénéficier à des projets de développement, au plus près de la société civile locale. Nous avons confiance dans la capacité de l'AFD à financer des projets qui auront un impact important en termes de coopération internationale et d'aide au développement. Dans le rapport, nous proposons un certain nombre de thématiques prioritaires, comme la santé et l'éducation, parce que malheureusement, ce sont souvent des pays qui sont en souffrance dans ces domaines. Nous proposons qu'il soit mis fin au système actuel qui alloue toute vente d'un bien mal acquis au budget général de l'État. Pour le dire autrement, nous souhaitons que chaque euro issu de la vente d'un hôtel particulier ou d'une Porsche provenant de la corruption internationale retourne bien vers des projets au bénéfice des populations d'origine.

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