Intervention de Annick Opinel

Réunion du jeudi 14 novembre 2019 à 9h50
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Annick Opinel, historienne et philosophe des sciences :

Je résume ici trois événements contemporains à l'origine de la défiance actuelle envers la vaccination en France. Deux concernent plus précisément la crainte des effets indésirables après vaccination : l'autisme et le vaccin Rougeole-Oreillons-Rubéole (ROR), et la sclérose en plaques après vaccination contre l'hépatite B. Le troisième exemple sera la campagne de vaccination contre la grippe H1N1, qui illustre la défiance envers les agences et instances politiques chargées de la santé publique.

En février 1998, un chirurgien britannique, Andrew Wakefield, et douze autres auteurs d'un hôpital londonien publient dans The Lancet, une grande revue, un article concernant le vaccin trivalent ROR. L'objet sensationnel du papier est le lien supposé par Wakefield entre le vaccin ROR et l'apparition de troubles autistiques chez l'enfant vacciné, qu'il entend nommer « l'entérocolite autistique ». Cette causalité affirmée déclenche une importante réaction ; de nombreux articles publiés dans The Lancet et le reste de la littérature médicale et scientifique mettent largement en doute, d'une part, le lien, d'autre part, la méthodologie de l'étude.

Ce lien de causalité entre vaccin et autisme fut réfuté par le British General Medical Council en 2003 et par de nombreuses publications scientifiques prouvant la faiblesse de l'étude, sa vacuité méthodologique et l'absence de preuves. Pour rappel, il s'agissait d'une cohorte de douze enfants, dont neuf étaient déjà autistes à l'inclusion. Malgré ces nombreuses et légitimes contestations, l'article de The Lancet n'est retiré qu'en 2010, année de la radiation de Wakefield de l'Ordre des médecins. La fraude est avérée début 2011, quand le British Medical Journal fait apparaître l'intérêt financier de Wakefield. Ce dernier était financé par des avocats au service de mouvements antivaccins dans le but de disqualifier les laboratoires pharmaceutiques. Par ailleurs, Wakefield avait un intérêt personnel, il entendait breveter un kit diagnostic pour « l'entérocolite autistique ».

De nombreuses études épidémiologiques ont depuis démontré l'absence de lien. Cela a encore été confirmé récemment en 2019 par une remarquable étude danoise menée sur 650 000 enfants. Malgré cela, la pseudo-étude de Wakefield reste revendiquée en France, si bien qu'elle est à l'origine de la résistance à la vaccination contre la rougeole qui a mené à l'épidémie de 2011. Elle perdure comme un élément fondamental du socle argumentaire Antivax, et est à l'origine de l'hésitation, ou du doute, chez les jeunes parents devant la vaccination en général.

Sans lien de causalité, en France, la même année 1998, Bernard Kouchner, ministre de la Santé, suspend la vaccination des collégiens contre l'hépatite B. En raison d'un lien supposé avec la survenue de sclérose en plaques (SEP), il demande aux médecins de famille de déterminer le risque de SEP au vu de l'histoire du patient tout en maintenant les recommandations pour les nourrissons, les adolescents, et les personnes appartenant à des groupes à risques.

Ce faisant, Bernard Kouchner obéit-il à un principe de précaution ou le fait-il par crainte d'un nouveau scandale sanitaire ? Ces faits ont eu lieu juste après le scandale de la vache folle et en plein scandale du sang contaminé ; ces événements ont donné corps à la longue polémique hépatite B – SEP.

Les campagnes de vaccination contre l'hépatite B remontent aux années 90, et notamment au lancement par l'OMS, en 1991, d'une campagne mondiale d'éradication de l'hépatite B. En décembre 1994, Philippe Douste-Blazy, ministre français de la santé, décide de lancer une campagne de vaccination scolaire des enfants et des pré-adolescents. Devant les premières notifications de sclérose en plaques après vaccination contre VHB qui sont apparues dès 1993, trois études cas-témoins sont lancées de 1996 à 1997. L'une, au Royaume-Uni, conclut à un risque possible mais non significatif.

Les nombreuses synthèses établies par les experts des agences françaises – le Conseil national supérieur d'hygiène publique de France (CSHPF), le Réseau national de santé publique ou l'Agence du médicament – s'appuyant sur les données de pharmacovigilance et des études bénéficesrisques, vont dans le même sens : il faut poursuivre la vaccination des nourrissons en raison de l'absence d'effets indésirables chez les moins de 2 ans, et il faut vacciner des adolescents et des adultes appartenant à des groupes à risques tel que cela a été décidé en juillet par le Comité technique des vaccinations.

En revanche, je cite, « la nécessité de poursuivre les campagnes de vaccination chez les pré-adolescents qui ne présenteraient pas de risques particuliers ne paraît pas manifeste aujourd'hui ». Ces différents éléments ont mené directement à la décision de Bernard Kouchner, le 1er octobre 1998, de suspendre la vaccination dans les collèges.

Depuis, des réunions de consensus, une audition publique en 20047, de nombreuses études épidémiologiques, dont certaines récentes, ont exploré le problème. En 2011, la Commission nationale de pharmacovigilance française a estimé que les données scientifiques disponibles n'avaient pas permis de démontrer l'existence d'une association significative entre le risque d'infection démyélinisante centrale (SEP) et la vaccination contre l'hépatite B.

Le troisième exemple concerne la gestion de la crise H1N1 en France entre 2009 et 2010. Celle-ci a montré les limites, ou les excès, de ce principe où la démarche de précaution – vacciner massivement – a prévalu. On notera au passage que le recours à ce principe peut dans un cas suspendre une campagne de vaccination (celle contre l'hépatite B en 1998), et dans l'autre, imposer une campagne de vaccination (celle contre la grippe en 2009).

En 2009, un nouveau virus H1N1 résultant d'une combinaison de différents virus grippaux d'origine aviaire, porcine et humaine, se diffuse rapidement à l'ensemble du monde ; l'OMS qualifie la situation de « pandémique » en 2009. En France, une campagne de vaccination est lancée dans les établissements de santé en octobre 2009, mais une gestion logistique approximative, ainsi que la mise à l'écart des médecins de ville, aboutissent à une embolisation, puis à une désertion des centres de vaccination parapublics, et de fait, à un surplus de lots de vaccins inutilisés. À cela s'ajoutent des doutes sur l'efficacité du vaccin.

Les différents rapports faits pour l'Assemblée nationale et le Sénat en 2010, ou la Cour des comptes en 2011, sur l'utilisation des fonds lors de cette crise font apparaître une surévaluation des doses de vaccin nécessaires et un rapport avec l'industrie pharmaceutique, sur lequel Roselyne Bachot, ministre de la Santé, a été entendue devant une commission d'enquête8. Ceci a alimenté la polémique devant l'échec de cette vague de vaccinations.

Pour conclure, le scandale du Mediator, et plus récemment la polémique autour du Levothyrox, constituent un bruit de fond favorable au scepticisme, tout comme d'autres paramètres, tels les valences multiples de certains vaccins et les ruptures d'approvisionnement. L'accusation persistante de recherche de profit, ajoutée à la crainte des effets indésirables, à celle des adjuvants aluminiques, le tout amplifié par la chambre d'écho que constituent les réseaux sociaux, entretiennent ainsi gravement et durablement la méfiance, voire l'hostilité, envers l'industrie pharmaceutique, et par rebond, envers les vaccins en général.

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