Intervention de Pr Alain Fischer

Réunion du jeudi 14 novembre 2019 à 9h50
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Pr Alain Fischer, président du comité de pilotage de la Concertation citoyenne sur la vaccination :

Je salue l'action et la réflexion de l'Office sur la question de l'hésitation vaccinale aujourd'hui en 2019, c'est une question importante.

Quelques éléments de contexte d'abord : en 2016, la ministre de la santé Marisol Touraine a constaté, grâce notamment aux excellentes enquêtes de Santé publique France, une diminution partielle de la confiance dans la vaccination de la part des Français – on l'a vu avec le pic de 2010 – et des signes d'alerte sur le taux de couverture de certains vaccins, en particulier contre la rougeole, le méningocoque C, sans parler de celui contre HPV.

Marisol Touraine a souhaité qu'une concertation citoyenne soit mise en place. J'ai eu l'honneur de présider, avec Madame Claude Rambaud, son Comité d'orientation. Celui-ci comprenait à la fois des médecins, des chercheurs en sciences humaines et sociales, et des représentants de la société civile. Deux jurys ont travaillé sur la vaccination : un jury de citoyens représentant raisonnablement la population française et un jury de professionnels de santé non directement impliqués dans les questions de vaccination. Ils ont exprimé leurs opinions et essayé de répondre aux deux questions posées par la ministre. Ce Comité d'orientation s'est également appuyé sur des enquêtes d'opinion ad hoc de Santé publique France qui nous ont beaucoup aidés, sur la mise en place d'un site internet pour recueillir des opinions, ainsi que sur la consultation d'autres experts. Le fruit de tout ce travail a fait l'objet de recommandations, après des discussions très intéressantes avec les membres des deux jurys, sachant bien évidemment qu'il n'y avait pas a priori de consensus sur les différents points, si ce n'est le consensus sur le renouvellement de l'importance de la vaccination et la nécessité d'étendre cette couverture vaccinale. Mais sur les mesures, il n'y avait pas tout à fait consensus.

En voici un bref bilan : parmi les recommandations faites, il y avait un consensus sur l'importance de la transparence de l'ensemble des décisions prises et sur la façon dont elles étaient prises, à l'abri des conflits d'intérêts, en n'oubliant pas que les conflits d'intérêts peuvent venir des experts, mais aussi des « antivax ». On pourrait s'étendre longtemps sur cette question des conflits d'intérêts avec des personnes qui s'expriment contre la vaccination. En tout cas, cette mesure de transparence me semble avoir été prise en compte par les différentes autorités de santé impliquées.

Il y a également eu consensus sur la nécessité de développer l'information, et je salue à nouveau Santé publique France qui a mis en place un site internet d'information absolument remarquable sur la vaccination. Il est accessible à la fois aux professionnels de santé et à tous les citoyens. Ils y trouvent une information à mon avis incontestable sur tous les aspects de la vaccination, le bien-fondé, les risques, etc.

Il y a eu consensus sur la nécessité de développer l'éducation sur la vaccination et la formation, en particulier la formation continue des professionnels de santé, médecins, infirmières, sages-femmes, mais aussi les pharmaciens, et sur ce point, il reste beaucoup de travail à faire, à l'évidence.

Il y a eu consensus sur la nécessité d'accroître les efforts de communication, auprès du grand public et des professionnels de santé, sur la vaccination. Des efforts ont été faits en ce sens.

Il y a eu consensus sur la facilitation de l'accès à la vaccination. Cette mesure a été appliquée avec succès à la vaccination contre la grippe, les pharmaciens pouvant maintenant la réaliser. Des efforts supplémentaires sont nécessaires, par exemple, pour faciliter la capacité des infirmiers et infirmières à vacciner, ou pour faire en sorte qu'un médecin généraliste dispose de vaccins dans son cabinet, de façon à éviter au patient de devoir acheter son vaccin en pharmacie.

Certaines des mesures ayant fait l'objet d'un consensus ont été mises en place, d'autres pas encore.

La question importante de l'obligation vaccinale n'a pas fait consensus entre les deux jurys, cependant cette proposition a été faite lors d'une réunion collective des deux jurys avec les membres du Comité d'orientation, et il s'est dessiné un quasi-consensus sur l'importance de l'obligation et sur son caractère temporaire. Cependant, revenir sur l'obligation impose que les taux de couverture reviennent à un niveau satisfaisant et que la confiance soit rétablie. Je pense qu'on n'est pas tout à fait arrivé à la fin de cette période temporaire, quoiqu'il arrive.

Le fondement de cette proposition était que l'intérêt collectif l'emporte sur l'intérêt individuel : ainsi, les réserves qu'un individu peut avoir en arguant de sa liberté individuelle ou de celle de son enfant ne tiennent pas face à la nécessité de protéger la société. Ce raisonnement s'applique notamment à la rougeole, la maladie infectieuse la plus transmissible, mais également à beaucoup d'autres maladies qui sont couvertes par la vaccination.

Ce raisonnement était donc fondé sur le principe de responsabilité de l'ensemble de la société, et aussi sur l'idée, qui peut paraître contre-intuitive, que la mise en place d'une obligation peut marquer les esprits et être un élément qui peut, sur le long terme, permettre de redresser le niveau de confiance. Cela peut surprendre car, a priori, il y a antagonisme entre obligation et confiance, mais à partir du moment où une société pense que l'obligation est nécessaire, une prise de conscience et un cheminement de réflexion peuvent, in fine – nous n'y sommes pas encore – aboutir à améliorer la confiance.

Incidemment, et de façon assez intéressante, cela reflète l'aspect politique de la vaccination qui a été évoqué tout à l'heure. Une démarche relativement similaire a été mise en oeuvre en Italie, où la décision de l'obligation de vaccination des jeunes enfants a été prise à peu près pour les mêmes vaccins, peu de temps avant la décision d'Agnès Buzyn en France. Il n'y a pas eu de concertation vaccinale, mais sur cette question, le contexte politique était très tendu en Italie. L'opposition de l'époque, constituée du Mouvement 5 étoiles (Cinque Stelle) et de la Ligue du Nord (Lega Nord), qui a pris le pouvoir ensuite, s'exprimait très fortement contre la vaccination et envisageait de remettre en cause la vaccination en Italie. Le contexte était donc assez similaire en termes de confiance ou de défaut partiel de confiance.

Toutes ces recommandations n'ont pas été totalement consensuelles, mais elles ont été proposées par l'ensemble des intervenants qui ont travaillé à cette concertation. Dans l'ensemble, les recommandations ont été largement suivies par les sociétés savantes médicales, les infirmières, les syndicats de professionnels de santé, les académies. Ce soutien a abouti au fait que la ministre, lors de sa prise de fonctions, a, entre autres mesures, mis en oeuvre cette obligation. De fait, et je m'appuie sur les données de Santé publique France, les résultats, certes, encore préliminaires, vont dans le bon sens, puisque la couverture vaccinale a progressé pour tous les vaccins obligatoires, et même non obligatoires. L'effet de la mesure s'étend donc au-delà.

En parallèle de l'obligation, il y a eu un effet bénéfique associé à une évolution du traitement de la vaccination par les médias. Entre 2016 et 2019, la façon dont des grands journaux, comme Le Monde, Libération ou encore Le Parisien-Aujourd'hui en France, ont traité la vaccination, a complètement changé et ceci est documenté. Cette amélioration dans le domaine de l'information et de la communication a eu des effets bénéfiques mais il est difficile de faire la part des choses entre les effets de l'obligation et les effets de la meilleure information et de la meilleure communication, puisque tout a été fait en même temps.

Dans les médias plus fréquentés par les jeunes, les réseaux sociaux, c'est un peu différent, quoique là aussi, la situation évolue et doit être suivie.

Quelques propositions figurant dans nos recommandations en 2016, pourtant importantes, n'ont pas été retenues. Nous préconisions d'étudier l'instauration d'obligations à l'égard des professionnels de santé, concernant plusieurs vaccinations, dont la grippe. À ce jour, cette réflexion n'a pas débuté, bien que ce soit un élément de confiance très important vis-à-vis de la population. Je ne vois pas comment un professionnel de santé peut défendre la vaccination s'il n'est pas lui-même vacciné ; cela me paraît une évidence élémentaire et pourtant, il existe un déficit très important de vaccination chez les professionnels de santé. C'est aussi une mesure de sécurité : dans les EHPAD, par exemple, la vaccination du personnel protège les personnes âgées, qui sont particulièrement vulnérables. Ce point reste un sujet d'actualité et il concerne les parlementaires, puisque c'est du domaine de la loi.

L'autre recommandation concerne l'école. Quand j'étais jeune, j'ai été vacciné à l'école et l'on nous y parlait de vaccination. Aujourd'hui il y a peu d'infirmiers scolaires ; la médecine scolaire est en déshérence et a quasiment disparu. Or, il y a une corrélation extraordinairement forte entre le taux de vaccination à l'école, la couverture vaccinale et la confiance dans la vaccination. Dans les pays où l'on vaccine à l'école, au Royaume-Uni, dans les pays scandinaves ou en Australie, la confiance existe, la couverture vaccinale est élevée, et l'on vaccine contre HPV, contrairement à la France. Au Royaume-Uni et en Australie, le taux de couverture vaccinale contre HPV atteint 80 %, pour les filles et les garçons, et ne concerne pas seulement les filles comme c'est le cas en France ; le succès de cette vaccination vient du fait qu'elle est essentiellement faite à l'école.

Cette recommandation reste en suspens, alors que la vaccination à l'école permet non seulement de vacciner les enfants mais aussi de les éduquer et les sensibiliser à la vaccination.

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