Intervention de Pr Henri Partouche

Réunion du jeudi 14 novembre 2019 à 9h50
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Pr Henri Partouche, médecin généraliste :

L'éducation pour la santé et la prévention font partie des missions de santé publique des médecins généralistes définies par l'organisation de la médecine de famille donnée par la WONCA en 200211 et inscrites dans la loi dite HPST pour hôpital, patients, santé, et territoires, depuis 200912.

Depuis la réforme de l'assurance maladie de 200413, chaque médecin a la responsabilité d'une patientèle et bénéficie d'un paiement au forfait, basé entre autres sur la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP). Les pourcentages de patients éligibles et vaccinés contre la grippe, la rougeole et le méningocoque C, font partie aujourd'hui des indicateurs utilisés pour calculer la ROSP.

On peut discuter de l'absence d'autres indicateurs concernant les vaccins, par exemple le HPV, et du faible poids de ces indicateurs dans le calcul du forfait. Ils ont néanmoins le mérite d'exister et témoignent de l'engagement croissant de l'assurance maladie pour les vaccinations.

Pour mettre en oeuvre les recommandations vaccinales dans leurs pratiques, les médecins doivent mobiliser une série de compétences professionnelles, dans un cadre juridique et éthique précis. Les principaux enjeux sont de ne pas rater les opportunités de proposition de vaccination pour les patients éligibles, en particulier pour les tout-petits, et de développer des savoir-faire pour communiquer sur les maladies à prévention vaccinale et les vaccins dans un contexte de gestion de problèmes multiples pendant la consultation.

Dans un travail datant de 2015, il a été montré que les propositions de vaccination sont plus fréquentes parmi les médecins à l'aise pour expliquer les bénéfices et les risques des vaccinations et qui font confiance aux sources officielles d'information. Les propositions étaient moins nombreuses parmi ceux qui doutent de l'utilité des vaccins et qui estiment fréquents les effets indésirables.

S'il existe bien une hésitation vaccinale parmi les médecins généralistes, elle reste modérée et ses composantes sont multiples. En effet, les enquêtes de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) et celles menées récemment par Santé publique France et le Collège de la médecine générale, ont montré que les médecins généralistes sont très favorables aux vaccinations ; ils font confiance aux sources officielles.

Néanmoins, une part d'entre eux n'est pas en confiance pour informer sur certains vaccins, notamment ceux comportant des adjuvants. Il est par ailleurs probable que d'autres facteurs, liés par exemple aux difficultés d'implémentation du calendrier vaccinal dans les pratiques, aient été à l'origine du faible taux de proposition de vaccination. Cela a été le cas de la vaccination contre le méningocoque C, qui a été récemment préconisée pour les nourrissons de 5 mois, juste avant l'obligation vaccinale.

On peut déduire de ces travaux qu'il existe un réel besoin d'information des médecins généralistes et qu'une communication forte des agences d'État vers ces premiers prescripteurs de vaccins est nécessaire.

Pour intégrer les stratégies de santé publique dans leurs pratiques, les médecins de première ligne doivent disposer de données fiables, claires et régulièrement actualisées sur les risques des maladies à prévention vaccinale et sur les bénéfices et les risques de la vaccination, tant au niveau individuel que collectif, pour mieux estimer le rapport bénéficesrisques de Bernoulli qui a été cité.

C'est grâce à cette approche factuelle et à d'éventuels outils de communication comme le site vaccination-info-service.fr, que les médecins amélioreront la littératie vaccinale14 de leurs patients et qu'ils les aideront à se prémunir des nouvelles normes sociales infondées et diffusées par les « antivax ».

Cette démarche s'inscrit plus généralement dans l'approche centrée sur le patient, qui consiste à décider ensemble de l'action, sans contrainte, après information et discussion. Elle permet d'approcher les déterminants individuels de l'hésitation vaccinale et les normes subjectives. Elle est dans l'esprit de la loi sur l'autonomisation du patient du 4 mars 200215.

Les leviers de la lutte contre l'hésitation vaccinale sont donc bien là. Le rôle déterminant des conseils des médecins généralistes n'est plus à démontrer et il existe une communication institutionnelle forte autour des recommandations. Selon un travail de synthèse récent, ce sont les deux facteurs d'acceptation vaccinale les plus cités dans la littérature.

Pour autant, les conseils des médecins généralistes ne sont pas toujours suffisants. S'il est vrai que l'empathie est associée, selon plusieurs travaux, à de meilleurs résultats cliniques, des techniques de communication ont fait la preuve de leur impact sur les changements de comportement en santé. Ce sont par exemple les interventions brèves et l'entretien motivationnel qui visent à obtenir du patient une motivation au changement en explorant son ambivalence. Initialement utilisé pour l'alcool et le tabac, ce type d'intervention a aussi été évalué pour l'acceptation vaccinale.

D'autres techniques de communication, comme ne pas essayer de convaincre et étayer son discours par les risques des maladies à prévention vaccinale, ont également fait la preuve de leur efficacité.

Le Collège national des médecins généralistes enseignants s'est prononcé en 2017 contre l'élargissement de l'obligation vaccinale, principalement en raison de son antinomie avec l'approche centrée sur le patient et les missions d'éducation sanitaire des médecins généralistes.

Par ailleurs, l'impact de cette mesure sur les couvertures vaccinales à long terme, en particulier sur les populations non ciblées par l'obligation, n'est pas garanti en l'absence de mesures d'accompagnement, comme le suggère une synthèse canadienne de la littérature sur le sujet.

Qu'en est-il aujourd'hui ? La loi va-t-elle faire diminuer l'hésitation vaccinale et sauver des vies, comme l'a déclaré le professeur Stanley A. Plotkin ? Le bilan à 15 mois réalisé par Santé publique France est plutôt positif, avec une augmentation mécanique des couvertures vaccinales et un impact positif sur l'opinion des parents. Cependant, cette dernière donnée doit être interprétée avec prudence en raison du biais lié à la mobilisation conjointe des autorités sanitaires qui ont largement communiqué après la loi.

Deux thèses de médecine générale réalisées en 2018 en Île-de-France auprès de parents de nourrissons ont montré que si la réforme a globalement renforcé la confiance des parents, elle a peu impacté les parents préalablement peu confiants.

Pour finir, je cite deux enquêtes qualitatives menées en Île-de-France et dans l'Hérault dont les résultats sont mesurés. Les médecins généralistes interviewés sont partagés entre une opinion favorable à l'obligation pour sa finalité, et une opinion défavorable pour ses valeurs. Les pratiques des médecins ont été peu modifiées, sauf pour la vaccination méningocoque C qui a bénéficié de l'obligation. Enfin, la notion de prescription de normes de santé publique a émergé des entretiens.

En conclusion, les médecins généralistes affirment leur attachement aux enjeux des maladies à prévention vaccinale, mais restent vigilants sur la qualité des informations adressées aux patients, informations qui doivent être loyales, impartiales et basées sur la balance bénéficesrisques vaccin par vaccin, et non pas sur la vaccination en général.

Il est donc nécessaire de renforcer les premiers efforts de communication en s'appuyant sur les professionnels de santé de première ligne que sont les médecins généralistes. Plutôt que d'élargir l'obligation, ces mesures sont de nature à répondre à la difficile question des couvertures vaccinales dans le respect des principes éthiques de la loi et de la responsabilisation des patients.

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