Intervention de Sacha Altay

Réunion du jeudi 14 novembre 2019 à 9h50
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Sacha Altay, doctorant en sciences cognitives :

Avec Manon et trois codeurs indépendants, nous avons analysé 500 publications postées par la page Facebook de Santé + Magazine sur 21 jours. En 21 jours, elles ont généré plus de 6 millions d'engagements, ce qui est considérable. Sur ces 500 posts, seuls 28 % relevaient de la mésinformation en santé : il s'agit finalement de moins d'un tiers des publications. En plus d'être peu présentes sur cette page, ces informations fausses sur la santé généraient assez peu d'engagements, comparées aux autres types de contenus. Sur le nombre total d'engagements, seulement 15 % proviennent de fausses informations, cette proportion pouvant se réduire à 11 % si l'on considère seulement les fausses informations susceptibles d'avoir un impact sur leur audience, par exemple des informations fausses sur les vaccins. Pour simplifier, la plupart des fausses informations sur la santé étaient plutôt anodines, du genre : « il faut boire du citron le matin pour éviter d'avoir le cancer ».

Encore une fois, il ne faut pas s'arrêter à ces engagements. Ce n'est pas parce que les gens interagissent avec ces faux contenus qu'ils les approuvent. D'après une analyse que nous avons réalisée sur 1 500 commentaires que l'on retrouve sous les publications de ces fausses informations, on constate que 44 % de ces commentaires sont critiques, c'est-à-dire qu'ils présentent une distance vis-à-vis du contenu, voire qu'ils le critiquent ouvertement ou même disent que les informations sont fausses. Seulement 25 % relèvent de l'approbation.

Ce que publie principalement cette page et qui est la clef de son succès, ce sont des posts sociaux sur l'amour ou encore la famille, et pas sur la santé.

Nous avons établi une matrice de corrélation montrant la relation entre les engagements et les contenus que publie la page. Les publications qui ont le plus de succès sont celles qu'on appelle des « panneaux de citations » qui peuvent être perçus comme des « ressources relationnelles », c'est-à-dire des petites publications avec une image et une phrase courte, indiquant par exemple « je vous passe un bonjour ». Les internautes partagent ce post pour dire bonjour à leurs amis. C'est principalement cela qui génère de l'engagement. À l'inverse, les fausses informations sont corrélées négativement avec l'engagement, c'est-à-dire que le fait que l'information soit manifestement fausse fait que les internautes interagissent moins avec ce contenu.

Ces résultats ne sont pas propres à cette étude, ils corroborent un grand nombre de résultats dans la littérature scientifique sur les fake news, dont les conclusions principales sont, premièrement, que les gens sont assez capables de faire la différence entre une information vraie et une information fausse ; deuxièmement, que les gens préfèrent partager des informations vraies plutôt que des informations fausses ; troisièmement, que la plupart des fake news consultées et partagées sur internet le sont par une toute petite minorité des internautes. Certaines études suggèrent que ces gens souhaitent, par principe, remettre en cause les théories les plus généralement acceptées, on parle du besoin de chaos ou « need for chaos ». Il n'est pas du tout clairement établi que les internautes soient crédules et qu'ils partagent ces informations parce qu'ils y croient ; il semble qu'en réalité ils aient d'autres motivations.

On parle beaucoup des fake news, mais on voit rarement à quoi cela ressemble. La plupart des fake news ne sont pas politiques, elles ont un caractère satirique, grossier, drôle et c'est pour ces raisons que les gens les partagent. Le rôle potentiellement déterminant des fake news sur les comportements n'a jamais été démontré, même dans le cas de l'élection de Donald Trump ou du Brexit. Il est très probable qu'il n'y ait pas de causalité et que les fake news politiques soient consultées simplement parce que les gens cherchent des justifications à des croyances auxquelles ils adhèrent déjà.

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