Monsieur le Président, je répondrai d'abord à vos deux interrogations.
Le trimestre européen commence maintenant avec les opinions que nous avons formulées, qui seront probablement endossées par le Conseil, au mois de décembre, à l'Eurogroupe, et il se termine au printemps. Il n'y a pas aujourd'hui, pour un quelconque pays de l'Union européenne, de retour à la procédure pour déficit excessif, car aucun pays ne doit être au-dessus de 3 % de déficit en 2020. En revanche, d'autres procédures, – la procédure pour déviation significative, voire la procédure pour dette – pourraient être appliquées. Dans le cas d'espèce, si on regarde nos opinions, ces risques peuvent tout à fait être conjurés. Il faudra pour cela que le dialogue se poursuive entre les autorités nationales – je ne pense pas seulement à la France, loin de là – et la prochaine Commission européenne. Mais il n'y aura pas de retour à la procédure pour déficit excessif l'an prochain, puisque tous les pays seront dans le bras préventif du pacte de stabilité et de croissance, qui n'est finalement pas si mal fait de ce point de vue.
Monsieur le Président, vous avez eu raison de souligner la nécessité de prendre du temps pour faire avancer les réformes en matière fiscale. Il faut bien comprendre la nouvelle dynamique qui se développe entre les initiatives de la Commission et celles de l'OCDE, deux institutions très différentes, l'une de coordination, l'autre d'impulsion et de législation dans un espace intégré. Mais je pense que nous avons maintenant vraiment la capacité d'imposer et d'accélérer l'agenda international. Il a fallu dix ans, mais il y a tout de même une accélération très puissante depuis le G20 de Los Cabos, l'adoption de la loi FATCA par les États-Unis, le lancement des mesures BEPS. Je souhaite ardemment que cela ne s'interrompe pas et qu'il n'y ait pas eu une parenthèse après laquelle on en reviendrait à une situation antérieure. Nous avons conquis cela au cours des cinq dernières années, il ne faut pas le perdre. Si j'ai un message à transmettre à mon successeur et à la prochaine Commission, c'est qu'il faut absolument que l'Union européenne garde le rôle de leader mondial qu'elle a conquis dans le cadre du G20, afin que des progrès encore plus puissants soient accomplis au niveau international en ce qui concerne la fiscalité des entreprises, la transparence, notamment pour connaître les bénéficiaires effectifs des trusts, et les enjeux liés au changement climatique.
Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur les déclarations du Président Macron au sujet des 3 %. Je ne veux me faire l'exégète de sa pensée, mais j'y vois plusieurs choses. D'abord, il n'a pas tort, les 3 % ne sont plus la règle qui contraint les budgets. Dès lors que tous les pays sont dans le bras préventif du pacte, d'autres règles doivent être respectées. Je pense notamment à la règle de la dette. On doit donc reformuler maintenant le pacte de stabilité et de croissance, en tenant compte du risque majeur qu'est l'endettement de nos économies.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué les taux d'intérêt bas, voire négatifs. Vous l'examinez dans le cadre du projet de loi de finances et l'on voit bien sinon l'aubaine du moins le bénéfice que cela procure à un budget national et la manière dont cela réduit le poids de la dette. Nous ne resterons pas éternellement dans des régimes de taux bas ou de taux d'intérêt négatifs. Le sujet fait régulièrement l'objet de mes échanges avec Olivier Blanchard et Jean Pisani-Ferry. Ils ont sans doute raison de dire que la manne en question doit être fléchée sur l'investissement, mais elle n'est pas pour autant éternelle. L'enjeu, c'est de réformer les règles pour améliorer leur efficacité et leur transparence et faire baisser la dette.
Je voyais une deuxième dimension dans les déclarations du Président de la République : la promotion de l'investissement sous toutes ses formes, budgétaire et extrabudgétaire, puisqu'il évoquait une autre règle, la règle du 1 % pour les budgets européens. Je pense que le budget européen doit être plus expansif et que s'en tenir pour l'éternité à un budget à 1 % est insuffisant, tout en sachant qu'il y aura des résistances fortes. Je pense aussi que nous devons vraiment nous doter d'un budget de la zone euro conséquent.
En résumé, je dirai que 3 % est un plafond et qu'il va continuer à exister. Le 1 %, sur lequel plusieurs d'entre vous m'ont interrogé, n'est pas imposé par la Commission, c'est aussi une préférence nationale qui s'exprime dans les pays de l'Union européenne qui estiment que la baisse de la dette est plutôt une bonne chose. Il faut garder cette règle, mais l'enjeu n'est plus là. L'enjeu, c'est de réduire la dette, de stimuler l'investissement, de réformer le pacte de manière intelligente. Avançons dans cette direction.
Monsieur le rapporteur général, comment encourager l'Allemagne et les Pays-Bas à investir ? Je ne suis pas un adepte des procédures contraignantes. Comme commissaire, j'ai manié de façon souple ou flexible les procédures très contraignantes pour déficit excessif. La contrainte, la sanction, la brutalité, la punition, ne sont efficaces ni contre les déficits ni pour les surplus. Je crois qu'il faut modestement s'en tenir au dialogue. Le dialogue et la conviction paient. La conviction avec les parlements, avec les gouvernements, avec les acteurs économiques et sociaux doit être déterminante. Il existe une autre procédure, la procédure pour déséquilibre macroéconomique. Elle est très imparfaite, elle n'a aucune capacité contraignante. Chaque année, j'ai essayé de faire intégrer dans les recommandations du Conseil des formules un peu plus musclées. Chaque année, le ministre allemand, Wolfgang Schäuble, d'abord, un peu plus brutal de ce point de vue qu'Olaf Scholz, disait : « On ne peut pas écrire cela, vous n'allez tout de même pas nous reprocher de réussir sur le plan commercial ! » On ne leur reprochait pas de réussir mais quand on a des excédents commerciaux trop importants, on a trop d'épargne, et une épargne excessive, ce sont des investissements insuffisants et assurément un frein à la croissance.
Voilà pourquoi il faudra bien que le débat se poursuive. Je suis persuadé qu'il sera tranché par la réalité. Déjà, l'Allemagne s'aperçoit que son modèle industriel et économique est touché, que le tout automobile, le tout industrie, cela ne marche pas et que l'on ne peut pas se satisfaire de finances publiques non seulement stables mais porteuses d'excédents pas toujours justifiés. Si le ralentissement en Allemagne était durable, les choses évolueraient différemment. Je n'en viens pas à espérer une crise mais c'est souvent dans la difficulté que l'Europe évolue.
Monsieur Paluszkiewicz, vous m'avez interrogé sur la fiscalité des entreprises, sujet sur lequel vous travaillez. J'ai été ministre des finances mais je n'ai pas à me prononcer aujourd'hui sur les impôts de production en France. Toutefois, comme commissaire européen, je formulerai un certain nombre de priorités pour la suite.
Je pense notamment à l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés, que nous n'avons pas réussi à imposer aux États membres. Ce sujet majeur pour réformer l'imposition des sociétés est sur la table depuis près de dix ans. Un premier projet a été retiré. Un deuxième me paraît beaucoup plus intelligent. Il s'accompagne notamment d'incitations à l'investissement qui ressemblent beaucoup à un crédit d'impôt recherche à l'échelle européenne. Ce projet est décisif. Je souhaite qu'il devienne une priorité pour l'Union européenne. Il faut pour cela un soutien puissant des États et des parlements.
Je pense aussi à une fiscalité du numérique plus moderne, incluse dans une approche systémique de la fiscalité des entreprises. Notre fiscalité des entreprises est totalement inadaptée. Pour le coup, elle est d'un autre siècle, elle date des années 1930. C'est une fiscalité reposant sur l'établissement physique. J'ai été élu député à Sochaux à plusieurs reprises et élu Président d'agglomération. Il y a dans cette ville une usine où l'on construit des voitures, aujourd'hui heureusement beaucoup plus que dans le passé, un certain nombre de travailleurs, malheureusement un peu moins, et un chiffre d'affaires ou un profit que l'on sait taxer. Pour les entreprises numériques, on ne sait pas où est l'activité, où sont les salariés, où est l'établissement. D'où la nécessité d'une fiscalité qui capture le numérique. C'est la raison pour laquelle les travaux menés par l'OCDE, comme ceux que nous menons au sein de l'Union européenne, sont décisifs. Si l'on arrivait à combiner l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés, qui évite les transferts de profits, et une fiscalité adaptée qui capture le numérique et frappe les multinationales, ce serait bingo. Telle est vraiment, je crois, la fiscalité du XXIe siècle pour laquelle je me suis battu pendant ces années et que je continue d'appeler de mes voeux.
Vous m'avez demandé quelles mesures nouvelles seraient de nature à renforcer l'égalité devant l'impôt. Il ne faut pas abandonner le combat contre la fraude et l'évasion fiscale. Je le dis pour la troisième fois, il ne faut pas de retour en arrière, il ne faut pas de ralentissement. Il faut s'assurer de la bonne mise en oeuvre des mesures prises pour renforcer la transparence, il faut mettre à jour et renforcer les critères de liste noire des paradis fiscaux.
J'en profite pour répondre à une question posée par la représentante de La France insoumise. Est-ce que je suis fier de la liste noire des paradis fiscaux ? Mais oui ! Mille fois oui, car c'est la première fois qu'il y a une liste noire des paradis fiscaux en Europe. Cela n'existait pas et je peux vous dire que c'est un système formidablement efficace. Madame la députée, une liste noire ne se juge pas au nombre de pays qui y figurent, elle se juge au nombre de pays qui en sortent, c'est-à-dire des pays capables de modifier des règles dommageables pour ne pas être stigmatisés ou listés. À la Commission européenne sont venus me visiter une série de Premiers ministres et de ministres des finances pour éviter de voir leurs pays figurer sur la liste. Je ne les citerai pas mais j'écrirai cela un jour. Quand je pense à Jersey et Guernesey, dont j'ai vu quatre ou cinq fois les Premiers ministres, quand je pense à la Suisse, avec laquelle nous avons eu un dialogue amical mais assez ferme, quand je pense à nos amis marocains et à nos amis tunisiens, je me dis que s'il n'y avait pas eu de liste noire et de pression des pairs, on aurait eu bien pire. Il faut donc se réjouir chaque fois qu'un pays sort de la liste noire, parce qu'il aura été obligé de se conformer aux règles internationales de l'OCDE et de l'Union européenne.
Puisque vous évoquez Panama, Madame la députée, mon dernier rendez-vous en tant que commissaire a eu lieu hier avec le ministre des finances de Panama, à qui j'ai transmis le message clair que, faute de régler un certain nombre de situations dommageables qui sont soulignées par l'OCDE, le risque de figurer sur la liste existait. Le ministre m'a assuré qu'il agirait vite. Ce sera à mon successeur de s'en assurer – mais, croyez-moi, quand je vais à l'OCDE, à la Commission européenne, ce sont les ministres qui viennent me voir pour éviter la liste noire.
Enfin, Monsieur Paluszkiewicz, il faut faire passer les dernières réformes bloquées. J'en citerai une. J'ai fait voter, parmi les directives, le reporting pays par pays. J'ai souhaité qu'il soit public et transparent. Quand j'étais ministre des finances, j'ai fait voter par cette assemblée une loi bancaire visant à rendre publics les résultats des banques. Nos banques françaises se portent-elles mal du fait que leurs résultats sont publics ? Elles se portent beaucoup mieux que les autres banques de l'Union européenne. Conclusion : il n'y a pas d'opposition entre transparence et investissement.
Madame Dalloz, je vous remercie de vos propos, mais vous avez consciemment sous-estimé les points d'accord que nous avions les années passées. Si vous dites que nous avons un point d'accord sur le bilan et l'action de la Commission, comme je l'ai menée depuis cinq ans, c'est que vous êtes venue à moi. Je m'en réjouis – ce qui, entre élus de la même région, est sans doute une bonne chose.
La dette est stable. Par conséquent, ne soyons pas alarmistes. Mais il faut faire plus. Il faut maintenir une croissance qui soutienne la dette et avoir pour ce faire des finances publiques suffisamment saines, stables, durables.
Un taux de croissance de 1,3 % en 2020 me paraît tout à fait possible pour la France, il est proche de celui que nous avons. Je le répète, il faut réformer les règles pour mettre la dette au service de nos préoccupations. C'est là un autre point d'accord entre nous.
Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur l'ACCIS, car ce projet a pour but de permettre aux entreprises d'opérer dans l'Union européenne grâce à un modèle juste de fiscalité des entreprises.
Madame Dalloz, vous avez souligné le rôle du plan Junker. C'est un peu plus de 70 milliards d'euros pour la France. Je n'ai pas arrêté le compteur. La France est de loin le premier bénéficiaire du plan Junker, non par habitant mais globalement. C'est une coproduction entre la Banque européenne d'investissement et le fonds européen d'investissement dont la France a bénéficié plus que les autres, parce qu'elle dispose de deux banques publiques : la Caisse des dépôts et consignations, pour les grandes infrastructures, et la Banque publique d'investissement, pour les petites et moyennes entreprises. Là encore, le système est performant. Il faut continuer. Le fonds européen d'investissement va être remplacé par le programme Invest EU, investir en Europe. Il faut aussi verdir nos actions, au cours du prochain mandat. Il est important que la Banque européenne d'investissement devienne la banque du climat. Il est inutile d'en inventer une autre, car celle-là peut tout à fait servir ce dessein. C'est là où réside le levier pour la croissance et la productivité de demain. L'investissement a progressé, il ne doit pas rechuter.
J'attends de l'Allemagne et des Pays-Bas qu'ils poursuivent et renforcent ce qu'ils ont commencé, c'est-à-dire investir, y compris pour la transition écologique. Le cas néerlandais est particulièrement intéressant. Concernant les taux bas, il faut réfléchir à la prise en compte de cette situation dans nos règles mais pas hors des règles.
J'indique à M. Castellani que la réponse que j'ai faite sur le plan Junker vaut aussi pour la Corse. Il connaît mon attachement personnel à la Corse, y compris à une ville qu'il connaît bien et qu'il n'est pas seul à connaître, cher François Pupponi.
La directive sur la transparence pour les intermédiaires fiscaux a été adoptée par le Conseil à la suite des Paradise Papers. J'ai poussé pour qu'il en soit ainsi. Elle dit que les intermédiaires, c'est-à-dire les conseillers juridiques, les conseillers fiscaux, les avocats – les avocats ne sont pas très contents de cette règle, mais elle n'est pas opposée au secret professionnel – doivent révéler les montages de planification fiscale agressive qu'ils conçoivent à l'administration fiscale. Cette directive est en cours de transposition par les États membres. Il importe qu'elle soit scrupuleuse pour que cette mesure puisse donner toute sa puissance. Parmi les directives adoptées, c'est loin d'être la plus négligeable. C'est une de celles qui contribuent le plus à la transparence.
Enfin, M. Paluszkiewicz m'a remercié. Je le remercie aussi. Je ne sais pas ce que je ferai demain, mais il est sûr qu'on ne guérit jamais totalement du goût pour l'action publique et l'action politique. Par conséquent, nous nous reverrons.