Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du mercredi 27 novembre 2019 à 9h35
Commission des affaires européennes

Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et aux douanes :

Je dois confesser que nous n'avons pas réussi à faire la grande réforme systémique et structurelle de la TVA à l'échelle européenne que j'appelle de mes voeux. Elle vise à faire en sorte que les opérations transfrontalières soient traitées comme des opérations domestiques, ce qui permettrait de faire disparaître la fameuse fraude « carrousel », les structures relais devenant désormais sans objet. Les pays du groupe de Visegràd, notamment, s'y sont opposés. Je le regrette. Il est indispensable que ce dossier reste sur la table et je souhaite que mon successeur, Paolo Gentiloni, le reprenne.

Pour ce qui est de l'infraction à la TVA des agriculteurs allemands, je connais votre persistance sur le sujet. J'ai ouvert cette procédure en mars 2018. L'Allemagne a répondu à l'avis motivé en mars 2019. Mes services examinent attentivement l'ensemble des données et des arguments figurant dans la réponse des autorités allemandes. Si la Commission n'était pas convaincue par les contre-arguments de l'Allemagne, cela pourrait conduire à la saisine de la Cour de justice de l'Union européenne, mais il faudra continuer à interroger la prochaine Commission, Monsieur le député. Plus généralement, le cas est révélateur de la difficulté à faire évoluer la directive TVA avec son temps. Du fait de la règle de l'unanimité, cela pose la question que j'ai déjà posée à plusieurs reprises.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur l'évolution de la PAC. Plus de cinquante ans après sa conception, il est devenu nécessaire d'adapter la PAC au monde moderne. La Commission a présenté une proposition visant au maintien d'un budget très important pour l'agriculture. Il reflète aussi une ambition pour le modèle agricole européen, dans le souci qu'elle soit plus équitable et bénéficie davantage aux petites et moyennes exploitations qu'aux grandes. Il faudra bien sûr que cette réforme de la PAC s'insère dans le cadre d'une réforme plus large de nos finances publiques européennes.

Plusieurs questions sont posées sur le budget européen, dont celle du montant et du plafond de ce budget. L'un d'entre vous m'a interrogé sur l'augmentation du prélèvement européen versé par la France. De fait, on ne peut mener une politique européenne plus ambitieuse, qui traite à la fois de la question climatique, de la question migratoire, de la question éducative, de la question de la jeunesse, qui maintienne une politique agricole ambitieuse et une politique de cohésion puissante, en se contentant des plafonds budgétaires actuels. Si l'on devait déplafonner le budget, les contributions nationales, y compris en éliminant les rabais, ce qui est tout à fait souhaitable, ne pourraient rester inchangées. C'est l'équation complexe qui est posée non pas au Parlement européen, qui, en l'occurrence, joue un rôle de colégislateur pour les budgets annuels, mais aux chefs d'État et de gouvernement, dans le cadre du Conseil européen, avec les perspectives pluriannuelles.

En matière de politique agricole commune, du point de vue du Parlement européen, nous sommes dans l'attente des premières propositions des nouveaux comités en charge de l'agriculture et de l'environnement. Du point de vue du Conseil, les progrès sont constants mais, il faut bien le reconnaître, encore relativement lents. De son côté, la Commission préconise des progrès plus rapides. Cette discussion va aussi se nouer dans le cadre de la discussion plus large qui s'ouvre de manière décisive sur les perspectives pluriannuelles.

La taxation des dépôts est un sujet très présent en Allemagne, qui n'est pas, à mon sens – je ne suis pas le commissaire aux services financiers –, réellement d'actualité en France. Je ne serai donc pas excessivement alarmiste mais je note qu'avant, l'inflation taxait les dépôts et qu'aujourd'hui, il faut regarder les taux réels, lesquels, compte tenu de la faiblesse de l'inflation, sont, même en Allemagne, supérieurs à bien des épisodes passés. Je vous invite à rester vigilants, sans pour autant être alarmiste.

Monsieur Coquerel, en vous écoutant, j'entendais une vision tellement catastrophiste que je m'interrogeais. Je reprendrai chacun de vos mots, que j'ai notés. Avons-nous plus de chômage aujourd'hui qu'en 2014 ? Non ! Avons-nous eu de l'austérité en Europe ? Non ! Nous n'avons jamais fait d'austérité au cours de ces cinq dernières années et aucun pays n'a été sanctionné. L'austérité ampute les services publics et impose une discipline budgétaire jugée comme excessive. Je peux vous assurer que la Commission et moi-même avons à chaque fois mené des dialogues avec les pays et que les décisions ont été prises ensemble. Le nationalisme, incontestablement, progresse, mais si je fais une lecture correcte des élections européennes, je vois tout de même que ce sont généralement les formations caractérisées comme pro-européennes, les autres n'étant pas toutes nationalistes, qui ont emporté une très large majorité des suffrages.

Puis, vous évoquiez l'inflation comme le danger que nous devions toujours conjurer, mais, si je ne m'abuse, le danger aujourd'hui évoqué par la Banque centrale européenne n'est pas l'inflation mais l'absence d'inflation. Ce que cible la BCE depuis des années, ce n'est pas de faire baisser l'inflation mais de la faire repartir jusqu'à 2 %. S'il y a aujourd'hui des taux d'intérêt si bas, c'est bien parce que l'inflation est également basse et qu'il faut aussi stimuler la croissance.

Le diagnostic étant faux, les réponses ne peuvent pas être partagées.

Pour ce qui est du Panama, sujet sur lequel plusieurs d'entre vous m'ont interrogé, j'ai vu des ministres panaméens et j'ai même rencontré le Président panaméen. Est-ce que cela a eu des effets ? Je ne peux pas vous dire que le Panama ne va pas de nouveau entrer sur une liste noire. La réunion que j'avais hier avec un ministre du Panama visait au contraire à souligner la nécessité du respect de certains critères et qu'à défaut, l'Union européenne, comme l'OCDE, pourrait reconsidérer sa position, y compris dans le cadre du forum global sur la transparence.

Une liste noire ne doit pas être une mise à l'index. Si c'était le cas, elle serait de nul effet. Pour moi, sa grande novation – et vous avez tort de la rejeter sans la regarder de près –, c'est qu'il s'agit d'une procédure, d'un processus qui fait pression par les pairs, jour après jour, sur les États non coopératifs et dont les effets sont très puissants. Plus de cent régimes dommageables ont été corrigés, parce qu'il y avait la liste noire. Le bon dessein ou le bon destin, c'est de sortir de la liste noire et non d'y entrer. On peut toujours se faire plaisir en stigmatisant, je préfère toujours inciter à sortir. La liste des régimes dommageables qui ont été corrigés grâce au processus de listing est très impressionnante. Vous pourrez le vérifier pays par pays. Ne jetez pas cette liste avec l'eau du bain ! Au-delà d'une erreur technique, c'est une erreur politique.

Pour ce qui est des chiffres de Gabriel Zucman et d'Emmanuel Saez, que j'ai reçus à plusieurs reprises, la façon dont ils réalisent leurs estimations ne permet pas de disposer d'une répartition fine par État, mais le dialogue doit être poursuivi.

Je le répète, un diagnostic juste nous aidera à faire un pronostic juste.

Monsieur de Courson, il n'y a pas de mystère. J'ai répondu à la lettre de Bruno Le Maire. La réponse, c'est notre opinion du 20 novembre. Il n'y a pas aujourd'hui de problème avec les finances publiques françaises, il n'y a aucune raison d'ouvrir une autre procédure. L'économie française connaît une croissance plus forte que les autres, mais il faut sans doute poursuivre l'effort en matière de désendettement. S'agissant des conséquences sur l'action de la nouvelle Commission, je vous invite à interroger ici mon successeur en 2020.

Madame Tanguy, concernant la dette française et le respect des règles, il importe de réaliser un travail systémique, comme vous le faites dans le cadre de cette commission. Je crois beaucoup plus aux revues de dépenses publiques, qui permettent de chercher des réformes et qui améliorent les structures, qu'aux rabots. Le fait d'avoir un effort structurel faible – ce qui est incontestablement le cas de la France en termes budgétaires – ne signifie pas l'absence de réformes structurelles. Mais toutes les réformes structurelles ne sont pas d'effet budgétaire. Tous les effets structurels ne découlent pas de réformes. Il convient là aussi d'être prudent.

Concernant la philosophie générale des rapports entre la Commission et les États, mon opinion est arrêtée depuis bien longtemps. Madame la Présidente, quand je suis devenu ministre des finances, ma première visite a naturellement été pour Berlin, où j'ai rencontré Wolfgang Schäuble, et ma deuxième pour la Commission européenne, où j'ai rencontré mon prédécesseur, Olli Rehn. À l'issue de l'entretien, au point de presse, au Berlaymont, il a énuméré toutes les réformes qu'il proposait à la France. Je lui ai répondu avec toute la douceur du monde que si nous avions une communauté de règles et une communauté d'objectifs, la liberté de moyens s'imposait aux États. Je me suis toujours refusé à tenir la main des États et des gouvernements et à leur prescrire de manière trop autoritaire ou trop intrusive ce qu'ils devaient faire. Je pense que c'est la bonne philosophie. Si je devais résumer ce que j'ai essayé de faire, ce serait le dialogue et non la contrainte. Cela vaut évidemment pour la situation d'aujourd'hui.

Les taux négatifs sont une grande question économique et politique. Jusqu'à quand les connaîtrons-nous ? Je ne spécule pas. Le vieillissement démographique aura un impact, mais mon point de vue est de ne pas considérer que la situation actuelle est éternelle. Quand on réfléchit à la dette publique et à sa soutenabilité, si on spécule sur des dizaines d'années de taux négatifs et qu'une mauvaise surprise survient plus tôt que prévu, l'effet boomerang est spectaculaire. Il faut sans doute affecter à l'investissement les gains résultant de la baisse des taux, mais il ne faut pas non plus considérer que la réforme des règles ne doit procéder que de la baisse des taux. J'ai sur ce sujet des échanges positifs et parfois un peu réservés avec, entre autres, les économistes déjà nommés Olivier Blanchard et Jean Pisani-Ferry. Il faut être prudent sur cette question.

Monsieur Saint-Martin, je ne suis pas en mesure de répondre à vos questions sur les règles prudentielles, car je ne suis pas le commissaire en charge des services financiers. Je crois plus prudent de vous demander d'interroger mon collègue.

Monsieur Chassaigne, vous êtes peut-être légèrement plus âgé que moi, mais nous sommes de générations qui ont connu ce qui existait avant l'Union européenne et qui s'appelait le Marché commun. L'Europe est un marché. Un marché, c'est forcément plus libéral qu'une économie collectivisée, car cela suppose l'élimination d'un certain nombre de frontières, la création de libertés de circulation pour les hommes, les marchandises, les capitaux, les services. Mais je n'ai jamais pensé, ni comme ministre des affaires européennes, ni comme parlementaire européen, ni comme député parmi vous, ni comme ministre des finances, ni comme commissaire européen, que l'Europe était ultralibérale. L'Europe, c'est aussi ce qui fixe un certain nombre de règles qui nous permettent de vivre ensemble ; c'est un règlement de copropriété ; c'est aussi un certain nombre de politiques publiques auxquelles vous êtes vous-même attaché. Vous avez posé une question sur la PAC, à laquelle j'ai répondu au passage. Sans l'Europe, il n'y a pas de PAC, sans l'Europe, il n'y a pas de politique de cohésion. Il faut un peu, et même beaucoup, nuancer le jugement que l'on porte sur l'Europe elle-même.

Quant à votre devise, vous savez, quand on termine un mandat, si on est un politique un peu expérimenté et responsable, on se garde de l'autosatisfaction et on ne dit surtout pas : j'ai vaincu. Mais si on est honnête, on doit se demander : que se serait-il passé si un autre que moi avait été à ma place ou si une autre Commission avait été à notre place ? Je veux vous dire de la façon la plus claire que s'agissant de l'austérité ou de la surveillance budgétaire, il existe une différence marquée entre ce que cette Commission a fait et la précédente. Je suis persuadé qu'avec un commissaire d'une autre sensibilité – au-delà d'une question d'orientation politique, c'est une question de sensibilité NordSud – on aurait proposé des sanctions contre le Portugal, l'Espagne, l'Italie et même la France. Pourquoi vous dis-je cela ? Sans trahir le secret des délibérations de la Commission, il y eut entre nous des débats musclés. Si tel ou tel de mes collègues avait été à ma place, je peux vous assurer que la situation aurait été toute différente. Je m'enorgueillis du fait qu'on n'a pas fait d'austérité et qu'on ait eu une approche flexible des règles.

Si un autre que moi ou si une autre Commission avait été à notre place, si un conservateur allemand, par exemple, avait été en charge des négociations avec la Grèce, comme je l'ai fait, pendant toutes ces années, la Grèce serait sortie de la zone euro, en aurait été expulsée. En partant d'ici, je retrouverai d'ailleurs pour un échange Aléxis Tsipras, de passage à Paris, avec lequel j'ai beaucoup travaillé, tout comme j'ai bien travaillé avec M. Mitsotakis, le nouveau Premier ministre, avec son gouvernement qui a fait de très gros efforts d'interaction positive avec la Commission. Je garde des souvenirs de l'été 2012 et de l'été 2015 où j'ai entendu le ministre et les responsables de l'administration allemande dire : on vivrait mieux sans eux, en tout cas, pour quelque temps. Je ne dis pas du tout que les choses ont été parfaites pour la Grèce et je sais les souffrances du peuple grec. Je pense qu'il y a eu des erreurs collectives, raison pour laquelle je plaide pour la démocratisation des institutions. Je ne suis pas allé voir le film de Costa-Gavras, j'ai lu le livre de Varoufakis, qui contient des éléments justes, notamment le fait que c'est une boîte noire, même s'il ne décrit pas correctement ce qui se passe dans la boîte. Il faut soulever le capot de la boîte, il faut un contrôle démocratique, il faut que les parlementaires nationaux et les parlementaires européens sachent ce qui s'y passe. Il faut donc un ministre des finances qui vienne rendre compte devant vous, ce qui changera la nature des décisions. Mais je peux vous dire qu'avec un autre commissaire et une autre Commission, la Grèce serait sortie.

Enfin, concernant la fiscalité, alors là, oui, je suis extrêmement fier que cette Commission ait adopté vingt directives, soit plus qu'au cours des vingt années précédentes. Je suis extrêmement fier que cette Commission ait fait adopter huit directives de lutte contre la fraude et l'évasion fiscale. On a parlé des listes noires, des paradis fiscaux, du CbCR (Country-by-Country Reporting) ou encore de la directive sur la transparence des intermédiaires. Je suis persuadé qu'une autre Commission et un autre commissaire – je ne veux pas donner de nom – auraient été infiniment plus timides sur ce sujet. Nous n'avons pas inventé la révolution de la transparence, mais nous l'avons accompagnée et fait en sorte d'être des leaders mondiaux. Quand je vais au G20 Finances, je suis satisfait que la parole soit toujours donnée à l'OCDE – c'est normal, c'est la plateforme globale – puis toujours à l'Union européenne.

Nous avons toujours été en tête. Cela ne veut pas dire que nous avons vaincu sur tout, mais dans quelques jours, je partirai de ce mandat en me disant : tout n'a pas été parfait, j'aurais aimé qu'on réforme les règles, qu'on complète l'union bancaire, que l'on réforme davantage l'architecture de la zone euro, mais nous avons été beaucoup bloqués par les États. Je regretterai que l'on n'ait pas fait des réformes systémiques en matière fiscale. Mais tout de même, oui, mission accomplie ! C'est tout de même la plus belle tâche que j'ai eu l'occasion d'accomplir dans ma vie. Elle m'a rempli de satisfaction. J'ai la sensation d'avoir été un peu utile à l'Europe et, puisque je suis ici devant la représentation nationale française, utile à mon pays.

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