Intervention de Martial Mettendorff

Réunion du mercredi 20 novembre 2019 à 16h25
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Martial Mettendorff, directeur général adjoint de Santé publique France :

Je vais m'efforcer de répondre à toutes vos questions, avec l'assistance de Sébastien Denys, qui est le directeur santé environnement et travail.

Je vais tout d'abord vous rappeler les missions de notre agence. Elle a une mission d'observation épidémiologique et de surveillance de l'état de santé de la population. C'est sa mission principale, avec une vocation d'alerte sanitaire dans les situations où cela paraît nécessaire.

Pour répondre à la question de M. Adam, immédiatement après l'évènement, nous avons utilisé le système « SurSaUD », qui est notre système de surveillance sanitaire dit syndromique. Ce système remonte, toutes les nuits, les informations relatives aux motifs de passage aux urgences et de recours à SOS Médecins. Dès le 26 septembre au matin, nous avons regardé et avons immédiatement alerté les établissements de santé et les médecins qui sont dans le réseau, de manière à faire préciser un certain nombre de syndromes ou de symptômes. C'est bien ce qu'on appelle une surveillance syndromique, on ne connaît pas les maladies, on ne connaît que les motifs de recours des personnes. Cela nous permet de faire une première surveillance. Effectivement, nous avons immédiatement activé cela, de manière à être le plus fin possible sur les hypothèses que l'on pouvait avoir. Nous avons notamment demandé une petite liste de troubles particuliers.

Je vous ai amené une série de nos bulletins, mais vous trouverez tout cela en ligne. Ce travail a été fait à partir du 26, le premier bulletin épidémiologique est sorti le 27. Le 26, nous n'avions qu'un petit tableau de bord. Nous produisons ces bulletins de manière régulière, tous les jours dans les premiers temps, puis de façon hebdomadaire parce qu'objectivement et progressivement, nous avons pu immédiatement observer des effets et des motifs de recours. Puis cela s'est estompé, puisque les causes qui ont été relevées – vomissements, troubles olfactifs, stress, angoisses, douleurs abdominales – se sont progressivement atténuées. Nous suivons cela au long cours, puisque c'est un système qui marche, indépendamment des évènements, et qui nous permet de faire un forage d'information particulier, dès lors qu'il se passe un évènement. Mais cela ne fait pas tout.

Notre organisation, vous la connaissez, c'est d'avoir des cellules régionales d'épidémiologie qui sont des antennes de Santé publique France et qui sont placées au sein de l'Agence régionale santé (ARS) à proximité des équipes de l'ARS. Nous avons donc immédiatement activé le signalement, c'est-à-dire regardé comment les médecins, le cas échéant, pouvaient voir des évènements qu'on ne voyait pas forcément dans le système d'information. Nous avons eu quelques signalements, notamment de motifs de recours d'une maison de santé par exemple, qui était confrontée à des motifs de recours plus importants. Nous avons investigué pour savoir si c'était attribuable ou pas. L'activation du signalement est toujours complémentaire de notre système en routine. Nous investissons les signaux de manière à voir si c'est en lien ou pas.

Le bilan, sur quelques jours, c'est la détection d'un certain nombre d'évènements. Il n'y a pas eu de débordement des services qui ont parfaitement fait face aux évènements qui se sont passés. Le système permet aussi de regarder si les motifs de recours augmentent ou si des déplacements de populations vers d'autres services sont constatés. Le premier enseignement est que nous n'avons pas constaté d'impact sur l'activité globale. Sur les indicateurs surveillés, nous avons eu de deux à cinq passages par jour aux urgences pour intoxication aux fumées et gaz, les premiers jours, c'est-à-dire du 26 septembre au 1er octobre, avec un total, entre le 20 et le 29 octobre, de 18 passages pour intoxication. Nous avons également eu une hausse importante des pathologies respiratoires, les chiffres sont dans les bulletins que je peux vous remettre. De la même manière, nous avons observé, jusqu'à la date du 30, une augmentation très ponctuelle des malaises, céphalées et migraines.

Nous avons ensuite un retour assez rapide à la normale. Ces hausses ont concerné toute la population et pas une population spécifique, il s'agit de toutes les personnes âgées de plus de 15 ans. C'est ce qu'on appelle l'immédiat et l'aigu. Dans ce moment-là, notre organisation est également en lien avec le ministère de la santé, chaque jour, par le biais de réunions. Nous avons assez vite avancé sur la nécessité de mettre au point une surveillance de la population au plus long cours, en considérant que le phénomène aigu était passé, mais que l'expérience et la littérature scientifique montrent qu'il y a des effets à plus long terme qui interviennent dans le cadre de tels évènements.

Notre première étude considère qu'il y a eu un évènement d'importance qui affecte la population et qui, pour elle, entraîne une série de troubles. Vous me demandiez quelle expérience nous avions sur ces enquêtes. Nous avons par exemple mené une grosse enquête concernant AZF. Au-delà du blast et des effets réels, puisqu'il y a eu une déflagration, nous avons constaté des troubles à l'anxiété, des troubles du sommeil, des troubles qui persistaient bien au-delà de l'évènement et sur une période assez longue. C'est ce qui justifie la première enquête. Nous avons observé des choses dans les systèmes de recours aux soins, mais il y en a d'autres que nous n'observerons pas et il faut faire une enquête appropriée pour pouvoir mesurer l'impact de cet évènement sur la santé. C'est ce que nous appelons la « santé déclarée », c'est-à-dire que la population sur laquelle nous enquêtons nous fera part d'évènements de santé qui affectent sa vie et nous aurons une base solide ; c'est pour cela que nous faisons une approche statistique.

Évidemment, cela n'a pas besoin d'être fait immédiatement, même si nous comprenons que la population considère qu'il faut apporter des réponses. Ce sont des troubles que nous constatons dans la durée.

Il nous faut du temps pour la mise au point de cette étude, nous mesurerons les choses dans ces délais-là, que nous avons également pu observer quand nous avons monté l'étude sur AZF.

Il faut que nous travaillions encore un peu sur la question du protocole. Nous avons le souhait de pouvoir intégrer la population dès l'élaboration du protocole. Nous avons évoqué cela en comité de transparence, pour qu'elle-même formule des hypothèses que nous puissions transformer en questionnement que nous insérerons dans la démarche d'enquête. C'est un volet que nous allons mettre en place, mais ce n'est pas le seul.

Le deuxième volet correspond à une surveillance à partir du système national des données de santé, puisque vous savez que nous accédons à toutes les données collectées dans le cadre du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) d'une part, mais tout le système d'informations collectées dans le système de soins est un système sur lequel nous travaillons en permanence et qui nous permet effectivement de pouvoir regarder, sur une population donnée, les évènements de santé qui peuvent survenir. Nous allons monter une requête informatique systématique qui va pouvoir être mise au point à long terme et qui va pouvoir permettre de surveiller s'il y a des évolutions particulières de santé sur cette population.

Pour le troisième volet, nous souhaitons, dans la mesure du possible, monter une enquête pour les populations au travail, c'est-à-dire celles qui ont été exposées dans cet évènement. J'imagine que vous avez bien identifié que ces personnes évoquaient des problèmes très particuliers. Nous souhaitons, au-delà de ce qui a pu être fait dans l'immédiat par la médecine du travail, sur lequel nous allons nous appuyer, essayer de monter une surveillance à plus long terme.

Enfin, il y a un dernier volet que vous avez évoqué, qui est celui de la biosurveillance. Nous allons revenir sur la mesure des polluants parce que vous avez beaucoup de questions là-dessus. Si cette mesure met en exergue un risque pour la population, nous proposerons effectivement un volet d'études d'imprégnation de la population, qui sont des prélèvements dans les matrices urine, sang, cheveu, en fonction de la nature des polluants, de manière à comparer l'imprégnation de la population au regard de ce que nous connaissons en population générale.

La France est-elle en retard là-dessus ? Non, la France a beaucoup progressé, parce que nous-mêmes avons conduit une grosse étude en population générale, en imprégnation, qui s'appelle Esteban, pour laquelle nous avons rendu les premiers résultats en septembre, sur les polluants que nous appelons les polluants du quotidien, mais je laisserai Sébastien Denys développer cet aspect-là.

Nous produirons de nouveau des résultats sur le niveau d'imprégnation d'une population générale, par rapport à un certain nombre de polluants, sur l'année 2020, pour ce qui concerne les pesticides et les métaux lourds. Donc nous progressons, nous ne disposions pas de cela avant cette étude.

Est-ce que cela se fait dans d'autres pays ? Nous sommes impliqués dans un programme européen sur ces questions et la France est plutôt pas mal placée. Ce sont des études très lourdes. Esteban l'est parce qu'il y a toutes les données d'enquête liées à ce que nous avons besoin de savoir sur la population. Il y avait en plus un volet activité physique, nutrition, qui était assez développé. Il y a aussi un gros volet biologique avec des analyses de laboratoire qui sont assez longues à mener. Nous essayons, pour reprendre votre question sur les seuils, de trouver des laboratoires qui trouvent les meilleurs seuils de détection dans la population. Nous avons challengé les laboratoires pour détecter, dans la population, les seuils les plus bas possible. Nous commençons à être à la tête de ces données-là.

Si nous nous apercevons effectivement que les polluants amènent à s'interroger sur l'exposition de la population, nous déclencherons un volet spécifique qui nous permettra de comparer avec ces données en population générale et de comprendre, le cas échéant, les risques particuliers. Dans tous les cas de figure, quelles que soient les études, les données que nous avons sur les études renverront à la mise en place, si nous n'observons rien, d'accompagnements et de mesures d'accompagnement au plan médical. Si nous détectons des troubles de l'anxiété qui sont très forts quelques mois après l'évènement, il y aura des dispositions spécifiques à prendre en termes de plan d'action dans le champ des soins. Nous ferons des recommandations à l'issue de l'enquête dans ce domaine. De la même manière, si nous menons l'étude d'imprégnation jusqu'au bout, il y aurait des recommandations qui amèneraient à des suivis particuliers.

J'essaie de suivre mon raisonnement en répondant à toutes vos questions. Il y a plusieurs volets à dérouler et vous avez parfaitement raison sur le fait qu'il faut que nous arrivions à améliorer deux choses, dont l'information, c'est sûr, on voit bien que ce n'est pas notre métier premier. La deuxième chose, c'est la médiation, c'est-à-dire la capacité que nous avons à internaliser des questions que peut nous adresser la population. C'est ce que nous allons essayer de faire avec la première enquête, c'est-à-dire internaliser des hypothèses portées par la population sur des inquiétudes ou des questions qu'elle se pose. Il faut aussi que nous réfléchissions à la manière de restituer les résultats. Nous avons proposé, auprès du comité de transparence, de trouver une structure qui soit représentative de la population et de trouver une façon de travailler avec elle. Ce n'est pas encore établi, mais je pense que vous avez également des idées là-dessus. En tout cas pour nous, c'est un élément important de la bonne construction du dispositif.

J'en viens maintenant à la partie des polluants, parce que nous ne sommes pas seuls pour cela. Santé publique France a la surveillance de l'état de santé de la population. Nous travaillons en relation très étroite avec l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) qui est notre agence soeur en ce qui concerne ces problématiques-là, dans la mesure où nous faisons l'état de santé de la population. Nous partons de l'état de santé de la population et nous remontons vers le risque. Dans la situation dans laquelle nous sommes, la question est de confronter le risque à l'état de santé. Celle qui fait l'évaluation des risques en matière de produits chimiques, c'est l'ANSES. Dès le début, Sébastien Denys pourra le dire, nous avons essayé de rester très coordonnés avec l'INERIS et l'ANSES, de manière à partager les informations, à bien connaître ce que chacun faisait.

Nous nous sommes notamment mis assez vite d'accord sur la nécessité de pouvoir cartographier les prélèvements qui, à chaque fois, sont déclenchés en fonction des problématiques. Qu'il s'agisse de la problématique alimentaire ou environnementale, il y a des questionnements spécifiques qui engagent les prélèvements. Nous avons souhaité être structurés là-dessus et pouvoir, avec eux le cas échéant, identifier des prélèvements complémentaires qui seraient nécessaires. Ce travail est en cours, Sébastien pourra compléter cet aspect-là. Mais à ce stade, nous ne sommes pas encore capables de dire que nous avons tout ce qu'il nous faut pour émettre des hypothèses correctes sur les polluants et sur leur rémanence dans l'environnement.

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