Je préside la Chambre d'agriculture de la Seine-Maritime depuis mars 2019. Cinq mois après mon élection, cet évènement particulièrement difficile à vivre s'est produit. Le 26 septembre, j'étais à Paris avec mon directeur. Ce sont nos salariés de la Chambre d'agriculture qui nous ont envoyé un SMS pour nous demander comment faire pour se confiner à Bois-Guillaume. Nous n'avions pas allumé la radio le matin ni la télévision ; nous ne savions pas de quoi il s'agissait. À cet instant, nous nous posons des questions. Nous pensons plutôt au nucléaire qu'à un incendie de ce type-là, parce que nous sommes très exposés en Seine Maritime aussi.
Très vite, des agriculteurs ont appelé la Chambre d'agriculture en disant qu'il y avait des retombées de suie importantes sur les bâtiments, sur les cultures, sur les pâtures et même sur les animaux, en nous demandant ce qu'il fallait faire. Je suis rentrée en contact avec le directeur des territoires et de la mer, M. Bresson. Nous avons convenu qu'il fallait envoyer un premier mail à l'intention des agriculteurs. Nous avons envoyé mails et SMS dans la foulée à chaque fois, un SMS d'alerte pour prévenir qu'il y avait des informations à prendre dans un mail envoyé par la Chambre d'agriculture. Dans ce premier mail, nous disions qu'il fallait être vigilant, garder toutes les preuves possibles de la pollution éventuelle et rentrer les animaux, si cela était possible, en attente d'instructions plus précises. Nous avons envoyé à peu près 50 mails depuis le 26 septembre, tous les jours, voire deux fois par jour, en fonction des arrêtés et des décisions de consignation. Nous avons donné des consignes relativement à l'indemnisation qui se mettait en place, aux maraîchers, aux circuits courts, à tous les types de production imaginables sur le terrain, en fonction des besoins de chacun et des remontées que nous avions régulièrement.
Je remercie à cette occasion les élus qui se sont impliqués sur le sujet. Nous avons eu une collaboration extrêmement importante avec le syndicalisme, avec la FNSEA 76, l'IJA 76, et les services déconcentrés de l'État. Nous avons eu d'excellentes collaborations avec la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), avec la Direction départementale de la protection des populations (DDPP), avec qui il y a eu une confiance totale ainsi que de la communication le week-end et la nuit pour faire avancer au plus vite le dossier. Visiblement, il y a eu une difficulté avec les services de l'administration centrale, où les informations n'arrivaient pas en temps et en heure. À partir du moment où les retombées de suies se sont avérées extrêmement importantes, nous savions qu'un arrêté allait arriver sur l'arrêt des ensilages qui étaient en pleine récolte et donc des retombées de suies sur les maïs et du fourrage pour l'année qui vient, pour tous les animaux. Cet arrêté n'est arrivé que le 28 octobre, deux jours après. Cela nous a paru une éternité. Par la suite, nous avons compris que ce n'était pas du ressort du Préfet, mais qu'il y avait besoin que la Direction générale de l'alimentation (DGAL) soit consultée. Tout cela prendre du temps.
Malgré tout, je rejoins les propos de Marie-Thérèse, il faut objectiver les choses. Preuve en est, samedi dernier à 9 heures, le DDTM adjoint m'appelle pour me dire qu'il y a à nouveau un incendie. Heureusement, il a aussitôt précisé à Total parce que j'ai imaginé le pire, en disant qu'il savait exactement quel était le produit qui brûlait et que l'incendie était maîtrisé. Malgré tout, il ne faut pas que nous ayons des alertes comme celle-ci.
Avec la torchère à Notre-Dame-de-Gravenchon entre-temps, nous les collectionnons en ce moment ! Nous ne pouvons pas prendre des arrêtés en trop grande quantité sans mettre les préalables nécessaires.
Nous sommes profondément structurés en agriculture. Par rapport à mes collègues des autres Chambres consulaires, cela a été une vraie force. Nous sommes représentés sur le terrain. Nous avons fait des réunions de terrain. Nous savons parfaitement cibler les agriculteurs avec nos fichiers, mais aussi avec l'aide de la DDTM qui a tous les numéros PACAGE et qui a envoyé aussi de son côté tous les SMS ou mails que nous lui avons demandé d'envoyer. Dans notre malheur, nous avons eu la chance – ce n'est pas organisé partout ainsi – d'avoir quelqu'un qui a été le rouage essentiel entre l'administration centrale et l'administration déconcentrée, M. Sébastien Windsor, qui a permis d'avoir ce lien très fort et très facile avec le ministère, avec la DGAL. C'est tombé sur notre département et sur les Hauts-de-France aussi, mais finalement, ces derniers ont plutôt été dans la mouvance de ce que nous initions. Si nous n'avions pas eu ce lien essentiel pour faire avancer les choses avec la DGAL qui mettait la pression sur l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), nous n'aurions pas avancé aussi vite aussi dans les délais de consignation. M. Windsor a aussi été un rouage essentiel dans la relation avec Lubrizol parce qu'il avait des liens avec France Chimie Normandie, dont le président, M. Frédéric Henry, est aussi le président de Lubrizol France. Ce concours de circonstances a permis un bon fonctionnement. Dans une crise lambda, ce n'est pas forcément évident. Il est important d'avoir ces relais entre l'administration centrale et le terrain.
Sur le volet des indemnisations, nous sommes en discussion avec Lubrizol. Effectivement, la date du 15 décembre est passée. Nous avons fait le maximum pour communiquer (SMS, journaux, mails), mais certains sont encore passés à travers le filet. Aujourd'hui, nous avons 1 300 dossiers enregistrés sur l'ensemble de la zone, dixit Exetech, le cabinet d'assurance qui gère le dossier Lubrizol, que nous avons rencontré lundi avec Stéphane. Il y a 1 300 dossiers ouverts, ce n'est pas 1 300 dossiers indemnisés. Il s'agit de dossiers ouverts sur plusieurs productions ; cela peut donc être le fait que de 800 ou 700 agriculteurs. Les dossiers d'indemnisation sont compliqués parce qu'ils sont traités comme des dossiers d'assurance individuelle. C'est comme si vous aviez déclaré un sinistre et que vous avez votre assurance en face de vous avec un expert. Il faut que vous discutiez, c'est ce que nous tentons d'expliquer à nos techniciens de la Chambre ou à divers établissements à caractère administratif qui sont en confrontation avec les retours de mails. Mais Exetech nous a assurés que chaque fois que cela posait un problème, il y aurait une discussion par téléphone et si elle n'aboutit pas, l'expert nommé viendra sur le terrain. Cela va prendre du temps.
Un large panel de représentants de l'État est venu nous rendre visite, des ministres divers et variés jusqu'au Premier ministre. Monsieur Macron est lui aussi venu, mais il n'a pas évoqué l'agriculture, à mon grand regret. Nous avons rencontré bien des fois le préfet. Quant à Eric Schnur, le PDG de Lubrizol « Monde », il est venu sur une exploitation en Seine-Maritime en toute confidentialité parce qu'il ne voulait pas faire de bruit, mais Stéphane, Jocelyn et moi l'avons rencontré. Nous avons pu lui présenter une exploitation symptomatique, celle de Samuel Molard, qui va vendre sur les marchés, une exploitation qui nous semble être la plus impactée de la zone, à tort ou à raison. Nous tenions à lui faire toucher du doigt son ressenti. Étant très facilement expansif, il a pu exprimer totalement ce qu'il a vécu.
L'indemnisation va être encore très compliquée. Les dossiers sont ouverts jusqu'au 15 janvier. Nous n'en faisons pas un étalage, parce que nous avons convenu avec Lubrizol qu'il faut que les gens se prennent en main. La communication a été suffisante. Il s'agissait simplement de s'enregistrer. Nous avons expliqué dans le journal syndical comment il fallait s'enregistrer, ainsi que sur le site internet de la Chambre.
Par contre, un accord a été trouvé avec le CNIEL. Là, nous allons les chercher par la main, parce que sinon, l'avance que le CNIEL a faite va leur être reprise. Nous allons vraiment accompagner ceux qui ne se sont pas déclarés, dont nous avons les noms, comme nous l'avons fait pour les derniers, afin qu'ils puissent toucher leur paie de lait. Cela représente à peu près quarante dossiers sur l'ensemble de la zone.