Je suis par ailleurs Premier vice-président de la Chambre d'agriculture car agriculteur, à 25 kilomètres au nord-est de Rouen, précisément dans la zone Lubrizol. Ma commune fait partie des 112 communes concernées. J'étais présent sur mon exploitation le jeudi matin. Dans les campagnes, nous nous sommes sentis un peu oubliés. J'entends que les services de l'État géraient sur place, ce qui n'est pas simple non plus. Je n'aurais pas échangé ma place contre la leur. Cette impression, j'ai pu l'exprimer dimanche sur mon exploitation à M. Hervé Morin, président de la Région, en disant que le nuage s'était arrêté à la frontière de la Métropole de Rouen ! Force est de constater que ce n'était pas le cas, puisque nous subissions des pluies dont l'eau qui sortait des gouttières n'était pas d'une couleur normale. En tant que responsable, je me suis senti obligé d'alerter mes collègues. D'autres agriculteurs l'ont fait aussi, pour regarder ce que cela pouvait donner. En septembre, nous sommes en pleine récolte des maïs, tous les animaux sont encore dehors dans les pâturages. Nous avions besoin de savoir rapidement ce qu'il se passait.
En tant qu'agriculteur, jusqu'au samedi, la situation est compliquée parce que nous entendons beaucoup de choses dans la campagne sur le fait qu'il ne faut pas ensiler le maïs, qu'il faut rentrer nos animaux. Il y a cet aspect, que je nommerai « de radio campagne ». Une incertitude plane sur ce qu'il va se passer si nous ne le faisons pas. Le samedi, l'arrêté de collecte tombe en même temps que l'arrêté qui interdit toutes les récoltes. Ce week-end a été très compliqué du point de vue des agriculteurs. J'ai reçu Hervé Morin sur mon exploitation le dimanche midi, rendez-vous confirmé par son cabinet le samedi soir à 22 heures 30. J'ai envoyé quelques SMS pour dire qu'il venait, j'ai eu 50 agriculteurs le lendemain midi. Cela donne un peu la mesure de cette angoisse. C'était en toute convivialité, mais avec des gens qui s'exprimaient assez facilement sur leurs inquiétudes.
Le lundi, nous continuons à travailler pour rien, pour ouvrir la vanne du tank à lait. Le mardi, c'est pareil. Entre-temps, le ministre de l'Agriculture se déplace et annonce qu'il va faire en sorte que la collecte puisse reprendre. Ces discours-là sont contre-productifs et signes de démagogie. Les agriculteurs y croient et quand cela n'arrive jamais, on les rend beaucoup plus en colère. Cela joue sur le moral.
Dès le mardi, au niveau FNSEA, sur le département, nous nous disons qu'il faut aller vers les agriculteurs, parce que la situation est intenable. Certes, nous envoyons des mails, un ou deux par jour, mais il faut aller sur le terrain, juger du moral. Nous organisons deux réunions le mercredi, une l'après-midi, une le soir. Nous touchons 180 agriculteurs sur ces deux réunions en prévenant la veille pour le lendemain. Nous avions quelques mesures à annoncer puisque le CNIEL avait décidé – c'était autorisé – qu'il ferait les avances d'indemnisation par rapport au lait jeté. Globalement, chez les laitiers, nous avons senti une amélioration du moral. Quand vous jetez votre lait, mais que vous savez que vous allez avoir votre paie de lait en temps et en heure, moralement, cela change beaucoup de choses. Nous n'avions pas de solution à cet instant sur la vente directe, sur les cultures maraîchères. Nous avions des maraîchers dans la salle. Malheureusement pour eux, nous n'avions aucune réponse. Mais nous avions besoin de ce rendez-vous sur le terrain pour le bon moral de tout le monde.
Sur le volet des indemnisations, le 15 était une date butoir pour ouvrir son dossier et s'inscrire, pas une date de fin de dossier donc de complétude. Ceux qui ont juste ouvert et qui n'ont pas fini leur dossier peuvent encore le faire, d'autant plus que l'on peut encore s'inscrire.
Par rapport au suivi à long terme, les analyses de terre sont en cours. Personnellement, elles sont faites chez moi. Ces gens arrivent dans vos exploitations en vous disant : « Je vais faire plusieurs prélèvements de terre », sans carte, sans lettre de mission. En pleine période de crise sur ce dossier, nous avons vu des cabinets, des experts, qui nous proposaient de faire des prélèvements. Nous ne savons pas par qui ils étaient mandatés ni à quelle fin. Nous avons fait passer le message pour prévenir que seuls les services de l'État sont habilités à faire les prélèvements. Dans un dossier comme celui-ci, il faut un certain professionnalisme et une consigne très précise, matérialisée par des arrêtés ; cela n'a pas été le cas. Nous attendons avec impatience les résultats des prélèvements de terre. Effectivement, nous pourrions déceler quelques historiques qui seront complètement indépendants au sinistre.