Intervention de Frédérique Bec

Réunion du mercredi 18 décembre 2019 à 11h00
Commission des affaires sociales

Frédérique Bec :

Je vous remercie de m'avoir invitée à me présenter devant vos commissions. Je suis très honorée d'avoir été sollicitée pour participer au Haut Conseil des finances publiques et de succéder ainsi à d'illustres économistes.

Je suis professeure de sciences économiques, spécialisée en macroéconomie. J'ai occupé un premier poste à l'université de Lille 2 en 1994, avant de rejoindre, en 1996, l'université de Cergy-Pontoise. En 2001, j'ai été nommée professeure de macroéconomie à l'École nationale de la statistique administrative et économique, rattachée au ministère des finances. J'ai réintégré l'université de Cergy-Pontoise en 2006, où je suis désormais responsable du master 2 Ingénierie économique et analyse des données. Je suis également membre élu du conseil académique et de la commission de la recherche ; j'ai été nommée le mois dernier au Conseil national des universités.

Hors du monde académique, j'ai eu l'occasion de collaborer avec la Banque de France dans la première moitié de la décennie 2010 avec le service du diagnostic conjoncturel et avec le service d'études macroéconomiques et de prévision. Le travail de recherche que j'ai mené dans ce cadre a porté principalement sur les prévisions de croissance et d'inflation.

Je souhaiterais d'abord vous expliquer ce qui m'a poussée à accepter cette mission. Faisant suite à l'adoption du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire en 2012, la création du HCFP visait à doter la France d'une institution budgétaire indépendante, chargée de veiller à la bonne application des règles budgétaires. Cela s'inscrit parfaitement dans la vision de Joseph Schumpeter, pour qui « le budget est le squelette de l'État débarrassé de toute idéologie trompeuse ». De mon point de vue, la création du HCFP contribue indéniablement à l'effort de transparence et de crédibilité de l'action publique.

Les missions confiées au HCFP ainsi que sa gouvernance s'inscrivent dans la logique qui a sous-tendu la promotion de l'indépendance des banques centrales vis-à-vis des gouvernements, dès la fin des années 1980. Il s'agissait de cibler un taux d'inflation crédible, sur lequel les prévisions aussi bien des agences privées que des pouvoirs publics pouvaient s'ancrer. Il ne s'agit pas, pour le HCFP, d'élaborer ou de cibler un quelconque solde budgétaire, qu'il soit effectif ou structurel, mais de vérifier la sincérité, la plausibilité des conditions économiques prévues qui étayent le budget prévisionnel du Gouvernement – tout cela, bien sûr, en essayant de se débarrasser de toute idéologie trompeuse, afin de se prononcer de la façon la plus impartiale possible sur la crédibilité des annonces budgétaires.

En participant aux travaux du HCFP visant à évaluer la sincérité des prévisions sur lesquelles s'appuie le Gouvernement pour établir son budget, j'aurai la chance de mettre mes connaissances au service de l'action publique. À mes yeux, l'existence d'une institution indépendante constitue pour le Gouvernement une incitation ex ante à présenter un projet de budget basé sur des prévisions sincères.

Les compétences que j'ai eu l'occasion de développer au cours de ma carrière de chercheuse s'inscrivent pour la plupart dans le champ de la macroéconomie et s'articulent principalement autour de deux axes : l'analyse et la prévision. Il me semble qu'elles sont en adéquation avec le travail qui est attendu des membres du HCFP.

Le premier axe concerne l'amélioration du diagnostic conjoncturel. Mes premiers travaux ont consisté à évaluer les contributions relatives de l'offre et de la demande dans la formation de l'équilibre sur le marché des biens et services, en France et dans les pays du G7. Cela m'a permis d'apporter des éléments d'explication sur l'échec des politiques de relance budgétaire et monétaire menées par le gouvernement japonais au début des années 1990, après l'éclatement des bulles financière et immobilière.

Plus récemment, mes travaux ont porté sur la forme des reprises à l'issue d'une récession. Les travaux existants, dans la lignée de James Hamilton, partaient du principe que les pertes de production entraînées par une récession étaient irrécupérables. C'est, de mon point de vue, un principe bien pessimiste : on peut tout de même imaginer qu'après la crise, un phénomène temporaire de rebond peut permettre de rattraper tout ou partie du manque à gagner. Dans une série d'études menées en collaboration avec des économistes de la Banque de France, nous sommes parvenus à montrer qu'en moyenne, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, un effet de rattrapage partiel après la crise permet d'en atténuer les effets sur le long terme, sans hélas ! les compenser totalement.

Même s'ils ne portent pas explicitement sur l'évaluation du potentiel de production, au coeur de la mission du HCFP, ces différents travaux contribuent à la réflexion sur la position de la production courante par rapport à une trajectoire de plus long terme – en d'autres termes, sur la situation dans le cycle.

Le second axe de mes recherches porte sur la prévision macroéconomique. Il s'agit d'établir des prévisions en temps réel et de composer avec l'incertitude, deux défis majeurs. La prévision de la production de l'année en cours est cruciale pour l'évaluation du PIB lorsque s'élaborent les projets de loi de finances, mais on se heurte à deux difficultés, relatives à la disponibilité des données. Les chiffres définitifs de la comptabilité nationale de l'année en cours ne seront connus qu'à la mi-février de l'année suivante, et ils seront appelés à être révisés encore pendant un ou deux ans. Il existe donc un décalage non négligeable entre la comptabilité nationale et l'action publique, qui peut se mesurer en années.

Par ailleurs, les informations concernant l'activité économique ont changé de nature : les données d'enquête, les données financières, celles issues des technologies numériques parviennent en continu aux économistes, aux prévisionnistes, aux pouvoirs publics à une fréquence mensuelle, hebdomadaire, journalière ou même de façon totalement irrégulière. Or des travaux récents tendent à montrer que la non-prise en compte de ces données nouvelles, à fréquence relativement haute d'observation, pourrait expliquer des erreurs d'évaluation de la production potentielle, donc du solde structurel, de la même amplitude que l'écart de production lui-même.

Je conclurai en évoquant l'incertitude qui pèse sur les prévisions macroéconomiques – vous êtes habitués à en dessiner les contours en tenant compte des tensions à l'oeuvre dans l'environnement socio-économique et géopolitique. Mesurer quantitativement cette incertitude est un domaine qui peut être encore grandement amélioré. Des efforts ont été déployés en ce sens très récemment. Un exemple parmi d'autres, on apprend aujourd'hui à mesurer quantitativement l'incertitude en observant la dispersion des prévisions des prévisionnistes professionnels. Une vingtaine d'entre eux sont sondés tous les mois par Consensus forecasts : en temps d'incertitudes, l'écart entre la plus faible et la plus haute des prévisions s'accroît inéluctablement. Cette dispersion est un bon indicateur de l'incertitude ambiante. Si je fais l'analogie avec les missions du HCFP, une plus grande dispersion des différentes mesures de la production potentielle permettra de quantifier l'incertitude des prévisions sur lesquelles est fondé le projet de loi de finances.

En s'appuyant sur un ensemble de prévisions disponibles, le HCFP peut donc situer la prévision « consensuelle » et évaluer l'incertitude qui l'accompagne. C'est une raison supplémentaire pour considérer la mission du HCFP comme du plus grand intérêt. J'espère me montrer à la hauteur de cette mission.

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