Vos questions sont d'actualité et concernent des enjeux très importants pour le futur. Comme vient de le souligner M. le président, une partie importante d'entre elles ne font pas partie du champ de compétences du HCFP ; je m'autoriserai à donner mon opinion en tant qu'économiste, mais certainement pas en tant que membre de cet organisme.
La réflexion de M. Joël Giraud me renvoie au temps bien lointain de ma thèse, effectuée sous la direction de Pierre-Yves Hénin à l'université Paris 1, sur le rôle des impulsions conjoncturelles dans l'analyse des fluctuations macroéconomiques. Qu'en est-il de tout ce que j'ai pu écrire entre 1988 et 1992 à propos de l'état économique de la France ? Vous n'êtes pas sans savoir que les conditions structurelles dans lesquelles notre pays évolue ont été profondément modifiées par le renforcement de l'union économique et monétaire, par l'adhésion à la zone euro, et par la délégation de la politique monétaire à la Banque centrale européenne. Il y a eu un changement de structure. Les modèles que j'ai construits avec les données de 1989-1990 doivent être complètement réévalués – j'ai d'ailleurs eu parfois l'occasion de le faire – à l'aune de ce nouveau cadre structurel. Un modèle ne peut s'appliquer partout, tout le temps. Le traité de Maastricht avait d'ailleurs été critiqué à cet égard, en particulier concernant l'instauration de seuils à ne pas dépasser pour le déficit public – 3 % du PIB – et pour la dette publique – 60 % du PIB. À la suite de la crise financière de 2008, et même avant, on s'est rendu compte que ces critères de convergence devaient être adaptés pour devenir plus souples, et pour en faire des instruments contracycliques et non plus procycliques.
Les mesures de soutien que vous évoquez relèvent d'une impulsion : ce ne sont pas des mesures endogènes, mais des mesures discrétionnaires, qui n'étaient pas prévues ni indexées sur l'activité, et qui ont encouragé la demande – les sondages montrent bien une amélioration du moral des consommateurs. Elles ont été accompagnées d'un développement de l'offre, car la mise en oeuvre de mesures de relance, si elle n'est pas associée à d'autres mesures permettant à l'appareil productif d'y répondre, se traduit nécessairement par un déficit extérieur d'un montant similaire – on l'a observé entre 1981 et 1983 sous le gouvernement de Pierre Mauroy. Ici, de manière différente, les mesures discrétionnaires de soutien de la demande ont été accompagnées par d'autres mesures qui ont permis de ne pas dégrader le solde commercial.
Quant à la robustesse des prévisions économiques, elle se renforce en permanence grâce au travail de nombreux économistes, au sein du milieu académique et des grandes institutions. Cependant, personne n'est à l'abri de l'issue de négociations politiques telles que celles qui auront lieu entre Boris Johnson et l'Union européenne d'ici au mois de décembre 2020. La perspective d'un Brexit sans accord est temporairement repoussée, mais elle n'est pas totalement éliminée, et tout dépendra de la nature et du résultat des négociations qui auront lieu l'année prochaine, sachant qu'une année constitue un délai très court pour négocier tout ce qu'il y a à négocier.
Cela rejoint la question relative à l'évaluation des conséquences macroéconomiques du Brexit. Certains instituts ont commencé à le faire : le coût pour le Royaume-Uni sera le plus élevé à court terme ; pour la France, les estimations se placent pour le moment dans une fourchette située entre 0,25 et 0,5 point de PIB.
La prévision de croissance du Gouvernement pour 2020, estimée à 1,3 %, ne tient d'ailleurs pas compte de l'éventualité que les négociations déraperaient entre Boris Johnson et la Commission européenne. Si tel était le cas, une perte de 0,5 point de PIB serait envisageable – je ne voudrais pas être pessimiste, mais c'est une possibilité que l'on ne peut pas exclure. Nous allons ainsi voir s'élargir le spectre des prévisions proposées par les experts, selon la probabilité que l'on accorde à un Brexit en douceur et correctement négocié, ou à un Brexit moins bien négocié par les deux parties.
Le point que vous soulevez concernant les dépenses sociales est particulier et le fait que le même Haut Conseil doive se prononcer sur les deux – projet de loi de finances et projet de loi de financement de la sécurité sociale – l'est également, sachant que les deux comptes ne sont pas encore consolidés. Les objectifs sont-ils atteignables ? Il me semble que le délai attribué pour rattraper l'amortissement va dans le bon sens, mais je ne vais pas me prononcer sur les recommandations passées du Haut Conseil.
Vous avez évoqué les critères de convergence en Europe. J'ai partiellement répondu. Certes, on recourt à des notions très floues sur le plan empirique, mais bien claires dans l'esprit des économistes. Considérer les écarts à la trajectoire potentielle, en ce qui concerne la production, et le solde structurel ou, mieux encore, l'effort structurel constitue un assouplissement des premières règles instaurées en Europe. Cela permet d'adoucir la procyclicité, voire entraîne une forme de contracyclicité, à condition de savoir se situer correctement et en temps réel dans le cycle – c'est un important défi.
De nombreuses questions concernent la place, le rôle, les prérogatives et les missions du Haut Conseil des finances publiques. Son rôle est-il suffisant ? Ne devrait-il pas se concentrer davantage sur les dépenses, et non uniquement sur les recettes ? Ce n'est pas à moi, mais bien à vous, mesdames et messieurs les députés, d'alimenter le débat et d'en tirer les conclusions ! J'entre dans une institution dont les contours ont déjà été très précisément définis, et je m'y plie.
Vous m'avez également demandé mon avis de chercheuse en économie, indépendante, et non pas de membre du HCFP, sur notre situation dans le cycle. Il me semble que nous sommes à peu près dans la trajectoire potentielle, voire légèrement en dessous. Je me fonde, pour dire cela, sur le dynamisme de la consommation intérieure et des investissements privés, et la faible dégradation de notre solde extérieur. Cela signifie que le surcroît de demande ne se traduit pas uniquement en importations. C'est une très bonne nouvelle pour l'emploi futur. J'espère ne pas me tromper, mais il ne vous aura pas échappé que le contexte européen n'est pas totalement favorable : certains pays connaissent un ralentissement, car ils sont particulièrement exposés aux tensions commerciales actuelles, comme l'Allemagne ou l'Italie. Or il s'agit de partenaires cruciaux pour la France.
Peut-on accepter que 60 % de notre dette publique soit détenue par des non-résidents ? La politique récente de la Banque centrale européenne, que l'on appelle le quantitative easing, très vieille forme de politique monétaire qu'on enseignait aux étudiants avant les années 1980, est une bonne nouvelle. Elle consiste, pour les banques du système européen, comme la Banque de France, à racheter les bons du Trésor. De ce fait, la part de non-résidents détenant de la dette publique française est tombée à 53 %, contre un peu plus de 60 % il y a deux ans. Presque dix points de moins, c'est un effort considérable et c'est très rassurant.
Le HCFP a-t-il suffisamment de moyens ?