Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vais vous présenter, comme vous m'y invitez, de manière synthétique la manière dont EDF aborde le sujet qui nous intéresse ce matin.
Comme le président de l'entreprise Jean-Bernard Lévy a eu l'occasion de le dire en mai et en décembre dernier devant la commission des affaires économiques de votre assemblée, le sujet de l'organisation d'EDF n'est pas dissociable du cadre général de la politique énergétique telle qu'elle est définie par l'État, c'est-à-dire par la loi relative à l'énergie et au climat votée tout récemment par le Parlement. Ce cadre fixe un certain nombre de priorités, au premier rang desquelles la neutralité carbone à l'horizon 2050. Pour atteindre cette neutralité carbone, les prévisions publiques, notamment la SNBC, la stratégie nationale bas-carbone, et la PPE, la programmation pluriannuelle de l'énergie, prévoient toutes qu'il faudra une économie plus sobre en énergie et des consommations d'énergie moins carbonées qu'aujourd'hui, donc moins de fossiles charbon, pétrole et gaz et plus d'électricité, celle-ci étant déjà décarbonée à 95 % en France. Cette production d'électricité, stable dans un premier temps et croissante dans un second, devra être assurée avec un mix équilibré entre nucléaire et renouvelable.
EDF s'inscrit naturellement dans ce cadre légal et les experts de l'entreprise en partagent largement les fondamentaux depuis plusieurs années.
Il faudra donc que l'entreprise EDF maintienne un très haut niveau d'investissement dans le nucléaire pour assurer l'exploitation d'une partie du parc existant au-delà des quarante ans, tout en fermant quatorze réacteurs d'ici 2035 dans l'objectif d'arriver à 50 % de production nucléaire à cet horizon, comme prévu par la PPE, le reste étant produit par du renouvelable.
Il faudra également développer encore nos investissements dans ce renouvelable, secteur qui est déjà en forte croissance dans le groupe EDF avec le Plan solaire, l'éolien, les grandes fermes en mer, et aussi, bien entendu, continuer à développer l'hydraulique, qui a le grand mérite d'être non carbonée et pilotable, comme à La Coche, où nous venons d'investir 150 millions d'euros pour augmenter de 20 % la puissance de l'installation existante.
Le groupe EDF doit également continuer d'investir dans les services liés aux usages nouveaux de l'électricité qui permettront cette décarbonation de l'économie – je pense notamment aux réseaux intelligents et aux infrastructures de recharge pour les véhicules électriques, sur lesquelles le groupe EDF est déjà très présent à travers ses différentes filiales spécialisées, dont IZIVIA. Vous le voyez, EDF se mobilise pour contribuer à l'atteinte des ambitions de la PPE. Pour réussir ce défi, il y a plusieurs conditions.
La première condition de réussite pour EDF est la juste rémunération des capitaux investis dans l'outil de production nucléaire. EDF a besoin d'une réforme structurelle de la régulation du nucléaire, l'ARENH ou accès régulé à l'énergie nucléaire historique.
La révision de la régulation nucléaire est un des chantiers que le Président de la République a ouverts dans son discours de novembre 2018 sur la politique énergétique.
Cette régulation est aujourd'hui asymétrique et injuste, avec un prix du mégawattheure qui n'a pas été révisé depuis presque dix ans et un transfert de valeur au profit des concurrents privés d'EDF. C'est un système dans lequel EDF n'est jamais gagnant et porte tous les risques.
Il est donc indispensable de le réformer profondément pour le remplacer par un dispositif équilibré, qui reconnaisse que le parc nucléaire rend un service d'intérêt économique général et qui apporte une juste rémunération au parc existant, dans lequel un prix plafond protégerait les consommateurs de hausses de prix de marché trop importantes, afin de leur permettre de profiter dans la durée de la compétitivité du parc nucléaire existant, et un prix plancher protégerait le producteur industriel des périodes de prix trop bas qui, couplés comme nous l'avons vécu il y a quelques années, ont conduit EDF à devoir céder en quelques années 10 milliards d'euros d'actifs et l'État à injecter près de 8 milliards d'euros de capital supplémentaires dans EDF, ce qui, ni dans un cas ni dans l'autre, n'est durablement soutenable.
Le Gouvernement mène la discussion sur ce sujet avec la Commission européenne, et c'est aujourd'hui notre première priorité.
Le Président de la République et le Gouvernement ont également demandé à EDF de réfléchir à une organisation des actifs du groupe permettant de garantir la pleine contribution d'EDF à la transition énergétique. Quel est, au fond, l'objectif de cette réflexion que nous menons à la demande du Gouvernement ? Il s'agit de répondre à un constat simple : faire évoluer le modèle énergétique français pour affronter l'urgence climatique impose des investissements très importants. EDF demande d'avoir les moyens financiers de jouer un rôle de premier plan dans la transition énergétique vers la neutralité carbone.
À travers cette réflexion sur l'organisation que nous instruisons, nous souhaitons accentuer le niveau d'investissement du groupe, déjà très élevé, de l'ordre de 15 milliards d'euros par an, notamment dans le domaine des énergies renouvelables, dont l'hydraulique, des réseaux et dans l'efficacité énergétique. Ce que nous ambitionnons, c'est de dégager chaque année, après cette réforme, de l'ordre de 2 milliards d'euros d'investissements de plus qu'aujourd'hui – pour bénéficier de 10 milliards d'euros supplémentaires sur cinq ans.
Lorsque nous connaîtrons la nouvelle régulation de la production nucléaire, nous serons en mesure de formuler des propositions précises sur la meilleure organisation de nos actifs pour pouvoir investir davantage. C'est donc un projet de croissance – de développement, pour être plus précis – et de réponse à l'urgence climatique. Notre objectif, dans les réflexions que nous menons, est d'évaluer quelle serait l'organisation qui permettrait à chacun de nos grands métiers de bénéficier du maximum de sources de financement dans les meilleures conditions, et donc d'avoir les meilleurs moyens de se développer.
Pour conjuguer cette ambition de croissance avec une vision d'acteur industriel responsable, les réflexions que nous avons menées et partagées tout au long de l'année 2019 avec les organisations syndicales distingueraient, au sein d'un groupe intégré, d'une part, les activités centrées sur la transition énergétique au service des clients, que nous désignons par convention « Vert », et d'autre part, les activités autour de la production centralisée, que nous avons appelées « Bleu ».
Si réorganisation il y a, elle ne conduirait en aucun cas à scinder le groupe. On considère même qu'elle devrait respecter deux fondamentaux : le caractère intégré du groupe et le maintien du statut de ses salariés. De la même manière, il nous paraît indispensable que les salariés puissent continuer de passer d'une entité à l'autre du groupe, qu'elle soit filialisée ou non, comme c'est déjà le cas aujourd'hui entre EDF SA et Enedis, par exemple.
De même, le caractère intégré du groupe devrait s'incarner sur différents plans : sur le plan de l'ambition stratégique, les parties « Bleu » et « Vert » de la société poursuivraient la même mission d'offrir à leurs clients les moyens de décarboner leur mode de vie, créant de ce fait une adhésion de tous les salariés du groupe à une « raison d'être » commune. Les principes de management seraient maintenus homogènes et la notion de groupe intégré passe par la définition et la mise en oeuvre d'un « pacte social » commun à tous les salariés de l'entreprise.
Mais tout cela n'aurait de sens que dans le cadre d'une régulation préalablement réformée : le nucléaire d'EDF, performant, pilotable, bas carbone, doit être rémunéré à sa juste valeur. Sans réforme préalable de l'ARENH, il n'y a pas d'évolution de l'organisation d'EDF qui soit justifiée. Cela ne suffirait pas à atteindre le niveau d'investissement indispensable à la transition énergétique. Or le président d'EDF ne peut pas remettre de propositions d'organisation au Gouvernement tant que la situation de la régulation nucléaire n'est pas clarifiée. Les aspects juridiques ne peuvent pas être précisés aujourd'hui, car l'État doit mener des discussions approfondies avec la nouvelle Commission européenne. Nous avons décidé de mettre à profit ces quelques mois de décalage avant la finalisation de ce projet Hercule pour approfondir la concertation avec les partenaires sociaux.
Les salariés du groupe ont manifesté à l'automne 2019 des inquiétudes fortes sur le projet Hercule et nous considérons que ce projet doit continuer d'être débattu et partagé avec les salariés et les représentants du personnel.