Intervention de François Dos Santos

Séance en hémicycle du jeudi 9 janvier 2020 à 9h00
Débat sur le projet hercule

François Dos Santos :

Au nom de la FNME-CGT, j'évoquerai les enjeux que soulève le projet Hercule, dont nous pouvons nous demander s'il constitue la bonne solution aux problèmes structurels du secteur de l'électricité. Nous remercions le groupe de la Gauche démocrate et républicaine de nous en donner l'occasion, car ce sujet ne relève pas, selon nous, de la négociation d'entreprise : il s'agit d'un projet qui engage le pays et les représentants que vous êtes.

Quelle est la situation actuelle ? En France, EDF délivre une électricité bas carbone à un prix parmi les moins chers d'Europe, ce qui permet d'assurer une sécurité d'approvisionnement, de lutter contre la précarité énergétique et de préserver la compétitivité des entreprises – objectifs d'ailleurs inscrits dans le code de l'énergie.

L'électricité a une caractéristique particulière : elle ne se stocke pas. Elle requiert un équipement pensé sur le long terme, qui ne soit pas soumis à d'éventuelles fermetures brutales liées aux péripéties d'une guerre économique pudiquement appelée concurrence. C'est pourquoi la FNME-CGT considère qu'il faut redoubler de précautions lorsqu'on décide de modifier l'organisation de ce secteur.

On pourrait résumer le projet Hercule à deux sujets : la régulation des prix sur le marché de gros d'une part, la scission d'autre part. Nous croyons comprendre que ce projet résulte d'un pacte entre le Président de la République et EDF. EDF est attachée à ce que ses actifs soient correctement rémunérés – c'est le volet de la régulation – , tandis qu'Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, plaidait déjà en 2016 pour une réorganisation des actifs – c'est le volet de la scission.

Du point de vue de la régulation, l'électricité se négocie, depuis 2003, sur une bourse dont la volatilité est importante. Le prix de l'énergie, mesurée en mégawattheures, a connu de fortes fluctuations : schématiquement, il s'élevait à 70 euros le mégawattheure au début de la décennie, a atteint un creux de 35 à 40 euros en 2016, et se rapproche aujourd'hui de 50 euros. Ces variations vont donc du simple au double, alors qu'il s'agit toujours de la même énergie et que son coût de production est relativement stable.

Lorsque ses prix sont significativement et durablement bas, un acteur économique rationnel ferme sa centrale. Ce n'est pas le choix d'EDF qui, bien qu'il ne soit pas investi de la sécurité d'approvisionnement en France, assume cette responsabilité par attachement au service public. Cet effet de marché a été aggravé par l'ARENH, qui équivaut à une subvention accordée par EDF à ses concurrents. Un tel dispositif entraîne deux conséquences : non seulement EDF est contrainte de céder 25 % de sa production électronucléaire à ses propres concurrents à un prix favorable, mais ce prix sert de référence pour la fixation des prix de vente d'EDF à ses propres clients. Il en découle une forme de plafonnement global des revenus d'EDF à 42 euros le mégawattheure. Ce dispositif unique au monde a été établi dans l'attente que les concurrents d'EDF construisent leurs propres centrales ; il a eu l'effet exactement inverse.

L'intention d'EDF est d'instaurer un prix plancher, et par réciproque un prix plafond, sur la bourse de l'électricité. Très schématiquement, une hausse de 3 euros des prix de gros représente 1 milliard d'euros d'excédent brut d'exploitation supplémentaire pour EDF – somme qui pourrait, selon les choix de gestion, être affectée soit à l'investissement, soit au désendettement, soit au paiement des dividendes. Il va de soi que si l'État actionnaire compte, comme par le passé, redemander une distribution de dividendes à hauteur de 2 milliards d'euros par an, cette régulation n'aura servi qu'à financer l'État, et non l'outil industriel d'EDF.

Dans tous les cas, il reste à savoir si la Commission européenne accepterait un tel mécanisme et validerait les plancher et plafond retenus.

Le véritable sujet réside dans le financement du nouveau nucléaire, qui n'est concerné ni par le projet Hercule, ni par le mécanisme de prix plancher et plafond que je viens de décrire. L'enjeu est de taille : il s'agirait de 3 milliards d'euros par an sur quinze ans pour six EPR en France.

J'en viens au volet de la scission. Le projet Hercule vise à scinder EDF en deux entités, Bleu et Vert. Bleu conserverait la production nucléaire et thermique – le statut de l'hydraulique restant ambigu – , tandis que Vert récupérerait le reste des activités. Il en découlerait une distinction simple : Bleu, majoritairement public, continuerait à porter les investissements de long terme comme le nucléaire et l'hydraulique, tandis que Vert récupérerait les entités dont les revenus sont totalement garantis et rapides : Enedis, qui bénéficie du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, négocié tous les quatre ans ; Dalkia, qui a pour métier essentiel de gérer des délégations de service public ; EDF renouvelables, qui gère essentiellement des contrats photovoltaïques ou éoliens subventionnés sur vingt ans ; et enfin l'activité d'EDF en outre-mer et en Corse, qui bénéficie d'une situation de monopole. Vert serait aisément privatisable – il est actuellement question de 35 % du capital – et pourrait susciter des appétits, puisque la quasi-totalité de ses revenus seraient garantis par l'État, à l'instar d'Aéroports de Paris ou des sociétés d'autoroute.

Précision importante, la commercialisation de l'électricité relèverait de Vert, ce qui signifie que la production de Bleu, sur investissements publics, serait en définitive mutualisée au profit de tous les fournisseurs. En d'autres termes, EDF n'aurait plus le droit d'être à la fois grossiste et détaillant. Quand la direction commerciale d'EDF voudra de l'électricité, elle ne sera pas prioritaire sur sa propre production vis-à-vis de Total, Leclerc ou Eni. Contrairement à ce qu'annonce EDF, il ne s'agit pas de supprimer l'ARENH, mais de mettre 100 % de la production d'EDF Bleu à disposition de tous les fournisseurs, qui n'auront pas davantage participé au financement des centrales, et encore moins de leur futur démantèlement.

D'aucuns affirment qu'il existe une cohérence entre Bleu pour les activités amont, centralisées, et Vert pour les activités aval et les services. Je tiens à souligner que Vert n'est pas une société, mais une holding. Enedis est soumis à des obligations d'indépendance inscrites dans la loi, tandis qu'EDF en outre-mer, opérant dans un domaine régulé, fait l'objet d'une comptabilité séparée. Quant à Dalkia, il ne pourrait pas proposer d'offres groupées avec EDF, qui occupe une position prépondérante en matière de fourniture : cela pourrait être considéré comme un abus de position dominante. Vert constitue donc avant tout une somme de sociétés très lucratives, et non un ensemble industriel cohérent pouvant engendrer des synergies significatives.

En somme, la FNME-CGT voit dans ce dossier non seulement une correction très imparfaite des errements du marché, mais encore un démembrement pur et simple d'EDF obéissant à des considérations strictement financières. Les seuls acteurs qui y voient un intérêt sont les banques d'affaires, qui spéculent sur les plus-values potentielles d'une telle opération. Chacun aura observé que l'équipement électrique du pays, les prix de l'énergie et l'amélioration du service public sont les grands absents de ce projet. Avant de lancer un « big-bang de l'énergie », la FNME-CGT attend des pouvoirs publics qu'ils effectuent un bilan des vingt ans de déréglementation du secteur énergétique. Les parlementaires que vous êtes peuvent imposer une telle étude.

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