Nous sommes réunis pour examiner le protocole d'application, signé en 2016 entre la France et l'Arménie, de l'accord relatif à la réadmission des personnes en séjour irrégulier, signé en 2013 entre l'Union européenne et l'Arménie.
Conformément à l'article 20 de l'accord, il appartenait à ses pays signataires de définir les modalités d'application de certaines dispositions, ce qui offrait une assez large marge de manoeuvre sur des points importants, comme les modalités de réadmission dans le cadre de la procédure accélérée ou la procédure applicable aux auditions. C'est au sujet de certaines de ces modalités d'application, adoptées dans le cadre du protocole entre la France et l'Arménie, que nous avons formulé des critiques.
Il en est ainsi de l'article 5 du protocole, traitant des auditions, dont l'objectif est de confirmer la nationalité d'une personne en séjour irrégulier. Il est prévu que ces auditions puissent se tenir par téléphone ou visioconférence. Or une telle modalité, si elle mal encadrée, peut nuire au fonctionnement normal de l'audition. En commission des affaires étrangères, certains collègues ont rappelé, à juste titre, que la rapidité des procédures en matière juridique permet de mieux respecter les droits des individus ; c'est une réalité. Néanmoins, il ne faut pas confondre rapidité et précipitation : il existe une grande différence entre juger rapidement de la situation d'une personne et prévoir des modalités pouvant donner lieu à un examen des situations personnelles déshumanisé et expéditif – expéditif parce que déshumanisé. Or, à cet égard, le protocole ne prévoit aucun garde-fou.
Par ailleurs, il révèle une profonde asymétrie de principe entre les deux parties. En effet, l'article 3 dispose que l'Arménie doit délivrer le document de voyage nécessaire à la réadmission au plus tard trois jours ouvrables après la demande de réadmission, et que, dans le cas où la partie arménienne ne répond pas, la France délivrera un document de voyage, considérant qu'en l'absence de réponse, la demande est approuvée par la partie arménienne. Cette disposition n'existe pas en sens inverse – nous en avons longuement discuté en commission. Certains ont rappelé que l'asymétrie est un fait. C'est, là encore, une réalité qui ne peut être niée : les flux et leur nature sont asymétriques. Toutefois ce n'est pas d'une asymétrie de fait dont il est ici question, mais d'une asymétrie de procédure : qu'il y ait un cas ou mille, l'accord aurait dû prévoir une symétrie de procédure ; même si aucun cas ne se présente, c'est une question de principe et de respect, et le fait que cette asymétrie ait été acceptée par l'Arménie n'est pas un argument.
Enfin, je tenais à évoquer un point essentiel : la protection des données à caractère personnel. Le protocole signé entre l'Union européenne et l'Arménie permet l'envoi par voie électronique d'une multitude d'informations, comme les demandes de réadmission, les réponses à ces demandes ou encore les demandes de transit. Des données à caractère personnel figurent dans ces documents. L'accord signé entre l'Union européenne et l'Arménie indique que le traitement des données à caractère personnel, dans le cas d'espèce, est régi par la législation nationale de l'Arménie. Or, comme l'a indiqué notre collègue Laurence Dumont en commission, la Commission nationale de l'informatique et des libertés indique, concernant l'Arménie, que cette protection n'est pas reconnue comme adéquate par l'Union européenne. Comme je l'avais également rappelé en commission, même si l'étude d'impact de l'accord franco-arménien précise que l'Arménie a signé la convention du Conseil de l'Europe pour la protection des données à caractère personnel, dite « convention no 108 », rien n'indique que celle-ci ait été intégrée dans le droit interne arménien. Autrement dit, nous ne disposons d'aucun élément qui puisse nous assurer de la protection des données des personnes en Arménie.
En somme, le protocole nous est présenté comme la simple reprise d'un texte européen. Pourtant, celui-ci laisse une réelle marge de manoeuvre aux États membres dans ses modalités d'application et il apparaît que le protocole qui nous est soumis comporte des risques d'atteinte aux droits fondamentaux des personnes. S'il était nécessaire de légiférer, il convenait d'appliquer des modalités assurant que l'examen de la situation des personnes en séjour irrégulier ainsi que leur renvoi dans leur pays d'origine soient bien réalisés dans le respect de leurs droits fondamentaux. Face à une forme d'incertitude et à des doutes qui n'ont pas été levés, le groupe Libertés et territoires s'abstiendra.