Intervention de Bastien Lachaud

Séance en hémicycle du jeudi 16 janvier 2020 à 9h00
Coopération en matière de défense avec l'albanie et chypre — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBastien Lachaud :

Nous sommes consultés au sujet de deux traités de coopération – le premier avec l'Albanie, le second avec Chypre – , qui nouent un partenariat entre la France et ces deux États méditerranéens de taille modeste. De ce point de vue, ils peuvent paraître semblables, ce qui expliquerait leur examen conjoint. Pourtant, ces deux traités résultent de visions presque contradictoires et leurs implications sont très différentes.

Le premier, passé avec l'Albanie, est en réalité un produit de l'inclusion de l'Albanie dans l'OTAN, inclusion qui n'est elle-même que l'un des nombreux avatars de la stratégie de l'Alliance atlantique pour asseoir son hégémonie sur l'Europe, en particulier sur les Balkans. L'Albanie étant membre de l'OTAN depuis 2009, il faudrait être parfaitement naïf pour ne pas penser que cet accord est avant tout subordonné aux prescriptions de l'OTAN. C'est la raison pour laquelle nous n'y sommes pas favorables.

L'OTAN est une organisation « en état de mort cérébrale » : tel est l'avis d'Emmanuel Macron. On peut nuancer cette analyse : manifestement – vous me passerez l'image – , le cadavre bouge encore. Néanmoins, j'accorde volontiers au Président de la République que l'OTAN est obsolète. Son objet a disparu avec la fin du pacte de Varsovie et son maintien n'a qu'un intérêt : être un véhicule de l'impérialisme des États-Unis d'Amérique.

C'est ainsi que, petit à petit, l'Alliance installe ses bases partout en Europe. Tout ce qui a pu être dans l'orbite de l'ex-URSS, tout ce qui a pu conserver des relations avec la Russie, a été forcé de rentrer dans une sorte de pré carré des États-Unis d'Amérique. L'Albanie est l'un des pions du grand jeu états-unien, qui vise à couper la Russie de tous ses appuis, dans les Balkans comme dans le Caucase. C'est pourquoi l'on nous propose maintenant de faire entrer l'Albanie dans la grande famille des nations fréquentables : les nations otaniennes.

Mais il ne faut pas réduire la portée de l'accord avec l'Albanie. Demandons-nous concrètement ce qu'on attend d'un partenariat de défense avec l'Albanie : de toute évidence, la coopération avec cet État visera prioritairement la lutte contre l'immigration clandestine. Il est voué à faire de l'Albanie un fortin aux marges de l'Europe, cette forteresse à laquelle travaillent nos gouvernements. Pour prix de sa coopération, sans doute continuera-t-on de lui faire miroiter la possibilité d'adhérer à l'Union européenne. La France insoumise ne veut pas participer à cette stratégie de la carotte et du bâton : ce genre de coopération n'est pas de nature à apporter une solution durable aux problèmes de sécurité qui se posent dans tout le bassin méditerranéen.

Le traité avec Chypre pose d'une manière plus aiguë encore le problème de notre relation à l'OTAN. En effet, bien que Chypre soit membre de l'Union Européenne, ce pays n'appartient pas à l'OTAN. Pourquoi ? Parce qu'il est identifié comme un ennemi – ou peu s'en faut – de la Turquie, dirigée par l'islamiste nationaliste Erdogan, qui est, elle, membre de l'OTAN. Ces derniers mois ont montré combien cela était problématique. Pour mémoire, je rappelle que la Turquie est lancée dans une opération de déstabilisation régionale d'ampleur. Elle a commencé par frapper nos alliés kurdes dans la lutte contre Daech en Syrie ; à cette occasion, elle a même ciblé ses propres alliés de l'OTAN, en visant la base internationale d'Afrine. Il y a quelques semaines, elle a assumé de prendre part directement à la guerre civile qui mine la Libye. Au Sahel, sa stratégie d'influence, connue de tous, n'est pas de nature à faire naître la concorde dans une société profondément divisée. Enfin, la Turquie se lance dans des provocations dangereuses à l'égard de Chypre.

Que nous sert d'être membre de l'OTAN si la plus grande armée de l'Alliance après celle des États-Unis est entièrement dédiée à semer le trouble à nos marges ? C'est pourquoi La France insoumise prône un affranchissement total de cette alliance vide de sens. C'est pourquoi aussi nous serions prêts à encourager toute manifestation d'indépendance à l'égard de cette tutelle otanienne, fût-elle modeste, comme ce texte.

Le lien d'amitié qui nous unit à Chypre est effectivement de cette nature. Je n'ignore pas que cette attitude provient surtout de la volonté de protéger des investissements de Total dans l'exploitation d'hydrocarbures en mer, que nous réprouvons totalement. En effet, de par sa position et les ressources auxquelles elle pourrait donner accès, l'île représente un enjeu stratégique majeur en Méditerranée orientale.

Néanmoins nous sommes entièrement favorables au fait d'appuyer cet État face aux pressions de la Turquie, qui vient frayer dans ses eaux. La France a déjà donné des gages de son amitié à la république insulaire, en envoyant des frégates patrouiller dans son secteur pour la garantir d'une éventuelle agression turque. L'approfondissement des relations avec Chypre correspond à l'idée que nous nous faisons d'une géopolitique insoumise, c'est-à-dire de ce que nous avons appelé « un nouvel indépendantisme français ».

Malheureusement, on a ici joint deux accords pratiquement divergents, nouvelle illustration de la façon dont le macronisme entend faire cohabiter des contraires, au détriment de la clarté, de la cohérence et de la crédibilité de l'action de notre pays. Dans ces conditions, nous ne pourrons pas voter pour le texte.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.