Le présent projet de loi vise à autoriser la ratification du protocole additionnel à la charte européenne de l'autonomie locale et porte sur le droit des citoyens de participer aux affaires des collectivités locales.
Ce protocole additionnel a été adopté en novembre 2009 et immédiatement signé par la France. Il est entré en vigueur en 2012, après ratification par huit États membres du Conseil de l'Europe. Or ce n'est qu'en 2019, dix ans après sa signature, que notre pays engage la procédure de ratification. Il devrait être le vingtième pays à le faire.
Avant d'aborder le protocole, revenons quelques instants sur la charte européenne de l'autonomie locale, dont il est le prolongement. Lorsqu'elle fut adoptée par les États membres du Conseil de l'Europe en 1985, cette charte était un texte d'avant-garde en matière de reconnaissance des droits des collectivités locales. À l'échelle internationale, c'était une première et, en France, nous étions à peine trois ans après les premières lois Defferre sur la décentralisation. À l'époque, nous ne pouvions ratifier la charte à droit interne constant. En effet, dans un domaine comme l'autonomie locale, un traité n'a pas vocation à pousser le Parlement français dans une direction où il ne veut ou ne peut pas aller ; il doit davantage viser à donner une consécration internationale et une force juridique supplémentaire à des règles de droit déjà adoptées en interne. Il a donc fallu attendre les années 2000 pour que nos règles constitutionnelles et législatives soient compatibles avec le principe d'autonomie locale énoncé par la charte. C'est essentiellement la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République qui nous a permis de franchir ce pas.
Malgré les avancées réalisées, aujourd'hui encore, le respect du principe d'autonomie locale dans sa plénitude ne peut être considéré comme un acquis définitif, en France et, plus généralement, en Europe.
L'autonomie locale est, par ailleurs, toujours réversible. Je me dois d'évoquer, à titre d'exemple, la fragilité de l'autonomie financière des collectivités locales françaises. Les évolutions de ces dernières années – baisse des dotations, contractualisation, suppression de la taxe d'habitation – ont quelque peu affaibli l'autonomie financière des collectivités territoriales. C'est un point sur lequel nous devons nous montrer des plus vigilants car, sans autonomie financière, il n'y a pas de réelle autonomie locale.
Toutefois, ce protocole a un objet bien précis : il porte sur le droit des citoyens de participer aux affaires locales. L'idée maîtresse qui le sous-tend est qu'une démocratie locale vivante et véritable est le meilleur gage de bonne santé pour tout État démocratique. II vise donc à garantir, concrètement, le droit des citoyens de participer aux affaires publiques locales, qu'il définit comme « le droit de s'efforcer de déterminer ou d'influencer l'exercice des compétences de la collectivité locale », un droit qui va bien au-delà du droit d'élire ou de se faire élire membre d'une assemblée délibérante. Enfin il introduit un droit de participer aux affaires, qu'on soit électeur ou non.
Comment participer aux affaires qui vous concernent sans être élu ? C'est là toute la difficulté de ce qu'on a appelé la démocratie participative. Le protocole impose aux États de mettre en place des mécanismes garantissant la participation effective des citoyens aux affaires locales, sans toutefois citer ces mécanismes de manière exhaustive – ce ne serait pas possible, tant la diversité des options est grande. De plus, la tâche est difficile : souvent, la démocratie participative sert en réalité de paravent au pouvoir d'un seul, à savoir de celui qui restitue les résultats de la concertation.
Au regard du droit national, en particulier de la Constitution, la France peut ratifier ce texte sans difficulté. Les réformes du début des années 2000, que j'ai évoquées, permettent de satisfaire intégralement aux exigences du protocole. En effet, l'article 72-1 de la Constitution, introduit par la révision constitutionnelle de 2003, institue plusieurs mécanismes de participation à destination des électeurs des collectivités locales – je pense au droit de pétition, au référendum local à l'initiative des conseils locaux avec valeur décisionnelle, ou encore à la consultation des électeurs des collectivités. Nous pouvons donc nous féliciter que la France ait déjà introduit tous ces mécanismes dans son droit interne. Ils sont par ailleurs complétés par de nombreux autres dispositifs plus ou moins formalisés, avec des situations très différentes d'une collectivité à l'autre – qu'il s'agisse des conseils de quartier, des budgets participatifs ou de toutes les initiatives informelles qui foisonnent, telles que les réunions publiques, les sondages ou les enquêtes.
En France, la démocratie locale dispose déjà d'une grande variété d'outils mais, en même temps, persiste un fort sentiment de frustration exprimé par nombre de nos concitoyens. Beaucoup ont le sentiment de n'être pas suffisamment associés aux décisions publiques locales. Rappelons que l'instauration d'une démocratie citoyenne était, tout récemment, une revendication essentielle du mouvement des gilets jaunes ; elle est également au coeur des débats récents autour du référendum d'initiative partagé au sujet d'Aéroports de Paris, même s'il est vrai qu'en l'espèce, il ne s'agit pas à proprement parler de démocratie locale. Autant de preuves que, dans ce domaine, tout n'est pas réglé, tant s'en faut. Le citoyen ne se sent pas toujours acteur du changement, et il n'a pas encore le sentiment d'être associé aux décisions qui engagent la collectivité.
Aussi, j'estime qu'il est fondamental que nous entendions et comprenions cette revendication de nos compatriotes, et que nous cherchions à y répondre par tous les moyens. Il y va de l'avenir de notre modèle démocratique, d'autant que l'échelon local est celui où peut le mieux se déployer la participation citoyenne du fait de la proximité naturelle.
C'est en ce sens que la ratification de ce protocole est intéressante pour notre pays. Elle nous incite à réexaminer les dispositifs de participation mis en place dans les collectivités locales et donne une force juridique supplémentaire aux dispositifs en vigueur. Dans un premier temps, il conviendra d'effectuer un bon diagnostic, c'est-à-dire d'évaluer le niveau d'appropriation des différents moyens de participation existants dans les différentes collectivités.
En tout état de cause, il est indispensable que nous ratifiions sans tarder le présent protocole car la démocratie locale constitue un progrès des libertés publiques, et nous devons la promouvoir au sein du Conseil de l'Europe. Je vous invite donc vivement à voter le projet de loi, à la suite de la commission des affaires étrangères.