Cette proposition de loi vise à lutter contre la propagation des contenus haineux sur les grandes plateformes numériques, qui ont une capacité à surexposer des contenus et à générer une viralité autour de ces expressions de haine intolérables. Nous l'avons toutes et tous constaté, Facebook, Twitter et d'autres sont des plateformes où se multiplient les injures racistes, sexistes, homophobes, bien souvent en toute impunité, que ce soit pour les auteurs de ces contenus haineux qui sont – rappelons-le – des délinquants, que pour les plateformes qui hébergent ces contenus.
Cette proposition de loi vise donc à mieux réprimer les auteurs de contenus haineux, par le renforcement de la chaîne judiciaire, notamment à travers la création d'un parquet et d'une juridiction spécialisés, et à davantage responsabiliser les plateformes qui, par leur modèle même, contribuent à la propagation des contenus haineux. Or ces plateformes apparaissent à ce jour encore bien trop laxistes dans l'application de l'article 6 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN), qui les oblige pourtant, depuis 2004, à retirer promptement les contenus manifestement illicites.
Je vous rappelle que la proposition de loi initiale a été soumise au Conseil d'État, lequel a émis un avis approuvant et encourageant la dynamique engagée, tout en faisant un certain nombre de recommandations pour rendre le dispositif plus effectif et plus solide juridiquement.
Nous avons ainsi pris l'avis du Conseil d'État telle une feuille de route, et collectivement enrichi le texte autour de quatre axes.
Tout d'abord, un nouveau délit est créé afin de sanctionner les plateformes qui ne procèderaient pas au retrait des contenus manifestement haineux en vingt-quatre heures maximum, sous le contrôle de l'autorité judiciaire.
Ensuite, la modération des contenus est soumise à une nouvelle régulation comportant, d'une part, des obligations de moyens, de transparence et de coopération pour ces plateformes, et, d'autre part, l'organisation d'une mission d'accompagnement, de contrôle et de sanction par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), qui pourra prononcer des amendes jusqu'à 4 % du chiffre d'affaires mondial de ces plateformes.
Par ailleurs, un nouveau dispositif est destiné à lutter plus efficacement contre les sites haineux dits « miroirs », qui sont des copies de sites frappés d'illicéité par une décision de justice.
Enfin, des mesures de prévention et d'éducation sont prévues, car c'est là que se trouve le nerf de la guerre.
Nous avons également voté la création de deux organes essentiels dans ce combat contre la propagation des discours de haine : un observatoire de la haine en ligne, pour mieux appréhender ces phénomènes, et un parquet spécialisé, pour mieux poursuivre les auteurs de ces discours.
Le 21 août dernier, le Gouvernement a notifié le texte à la Commission européenne, laquelle a transmis ses observations en réponse le 22 novembre. Pour ceux qui ne seraient pas familiers de la procédure de notification devant la Commission européenne, je rappelle qu'à l'issue d'une notification, la Commission européenne peut bloquer un texte pour une durée pouvant aller jusqu'à dix-huit mois s'il entre en contradiction avec ses travaux, émettre un avis circonstancié s'il y a des points de non-conformité à corriger ou formuler des observations sur « un projet notifié qui semble conforme à la législation de l'Union européenne, mais qui nécessite des éclaircissements quant à son interprétation ».
Le Gouvernement a donc reçu ces observations, que je vous inviterai à prendre comme une feuille de route dans nos débats – comme l'a d'ailleurs fait le Sénat, à certains égards. C'est ainsi que, sur les vingt articles qui ont été soumis au Sénat, trois ont été votés dans des termes identiques et neuf dans une rédaction proche, sous réserve d'utiles compléments et précisions, notamment au regard des observations de la Commission européenne. Je fais ici référence aux dispositifs de notification et d'information, ou encore à la nécessité de préciser, par souci de conformité avec le droit européen, que les nouvelles obligations de moyens reposant sur les plateformes doivent toujours être proportionnées et nécessaires.
S'agissant de la régulation administrative, le Sénat a toutefois modifié le champ des plateformes concernées en excluant les moteurs de recherche, alors qu'ils jouent un rôle décisif dans l'exposition des contenus en ligne. Cela est d'autant plus surprenant qu'en parallèle, le Sénat a ajouté une disposition permettant au CSA d'attraire devant lui d'autres acteurs numériques, dans des conditions juridiquement fragiles, en contradiction avec l'exclusion des moteurs de recherche.
Trois nouveaux articles ont été ajoutés par le Sénat. Le premier est destiné à lutter contre le financement des sites haineux par la limitation de la publicité susceptible d'y être diffusée. Le deuxième est relatif à la mission confiée aux écoles, collèges et lycées en matière d'information sur les violences en ligne. Le dernier consacre dans la LCEN la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la mise en jeu de la responsabilité civile et pénale des hébergeurs.
Enfin, je souligne deux avancées répondant à des questions soulevées lors de nos débats en première lecture : des dispositions permettant au CSA d'accéder aux algorithmes utilisés par les plateformes dans la modération des contenus haineux et des précisions judicieuses quant au rôle du futur Observatoire de la haine en ligne.
Je vous proposerai, chers collègues, de maintenir les apports constructifs du Sénat chaque fois qu'ils viennent renforcer notre texte.
Mais s'il y a eu échec de la CMP, c'est bien en raison d'un désaccord profond entre le Sénat et l'Assemblée nationale quant au niveau d'exigence que nous souhaitons fixer aux plateformes. Les sénateurs ont retiré l'article premier, coeur du dispositif, cantonnant la proposition à des obligations de moyens. Ce faisant, le Sénat a non seulement laissé pleinement la main aux plateformes, mais aussi retiré le juge judiciaire, garant des libertés fondamentales, du dispositif que nous avions construit. Je ne me l'explique pas, car les justifications invoquées ne tiennent pas.
Les sénateurs se sont fondés sur les observations de la Commission européenne, mais elles portent essentiellement sur la régulation administrative, et non sur le nouveau délit que nous avons institué. En effet, à la suite des remarques formulées par le Conseil d'État, nous avions anticipé ces observations et fait adopter des amendements en première lecture permettant à la France de déroger à la directive e-commerce afin de lutter contre les atteintes portées au respect de la dignité humaine. Dans ses observations, la Commission approuve notre raisonnement et une telle dérogation, mais appelle la France à mieux cibler les obligations mises à la charge des opérateurs.
Les sénateurs ont également invoqué la protection de la liberté d'expression. Cependant, non seulement ils ont supprimé le juge du dispositif mais, surtout, le Sénat a voté un amendement donnant des pouvoirs exorbitants aux plateformes pour supprimer des comptes d'utilisateurs sans infraction constituée, sur la seule base de signalements, ouvrant ainsi la voie à la multiplication de raids numériques portant atteinte à la liberté d'expression. In fine, le Sénat nous dit ne pas vouloir confier de trop grands pouvoirs aux plateformes, mais leur confie les clefs de la voiture, le GPS, le choix de l'itinéraire et celui de la destination à atteindre…
Vous aurez donc compris, chers collègues, que je vous proposerai de rétablir cette disposition essentielle au texte, laquelle permet de responsabiliser réellement les plateformes et de réaffirmer notre souveraineté face aux géants du numérique, quand il s'agit de protéger la dignité humaine de nos concitoyens.
N'oublions pas, dans nos débats, que ce qui guide nos travaux, c'est la protection de nos concitoyens avant tout. Au-delà des bons sentiments, des grandes déclarations d'intention, nous nous devons de nous bousculer et d'agir sans nous cacher derrière notre petit doigt. Nous le devons aux victimes et à tous ceux qui sont la cible d'une déferlante de haine, non pas pour ce qu'ils disent ou pensent, mais pour ce qu'ils sont.
Chers collègues, je vous invite à voter un texte à la hauteur des attentes de nos concitoyens.