Intervention de Emmanuelle Ménard

Réunion du mardi 14 janvier 2020 à 21h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Je partage évidemment le but ultime de ce texte ; personne n'est favorable à la diffusion de propos haineux sur la toile. Néanmoins, je suis farouchement attachée à la liberté d'expression, comme j'ai eu l'occasion de le rappeler à maintes reprises en première lecture.

Étant non inscrite, je n'ai pas eu le privilège de participer à la CMP, mais il me semble que vous avez voulu aller vite. Je l'ai dit, vous poursuivez un noble but, mais les moyens que vous tentez d'imposer pour combattre la haine en ligne sont problématiques. La Commission européenne elle-même, qui poursuit un objectif similaire au vôtre, vous a signalé l'existence de plusieurs problèmes.

Elle souligne que des textes de loi existent déjà et qu'une nouvelle législation sur les services numériques est en cours d'élaboration. Elle demande à la France – et, par le biais de ce texte, c'est vous qu'elle interroge, madame la rapporteure –, en recourant à des arguments que vous employez fréquemment contre l'opposition, pourquoi nous votons un texte alors qu'il y en a déjà un en cours de rédaction. La Commission insiste aussi sur le fait que la proposition de loi va à l'encontre de la directive sur le commerce électronique. Plus grave, elle craint une mise à mal de la liberté d'expression sur internet – danger que j'avais souligné à maintes reprises en première lecture –, notamment du fait des contraintes que vous imposez aux hébergeurs et que vous allez confier de facto aux algorithmes. Pour résumer, la Commission estime que vous n'avez pas suffisamment veillé à la compatibilité de votre texte avec le droit européen, ce qui peut sembler paradoxal de la part d'une majorité qui fait de l'Europe l'alpha et l'oméga de sa politique.

Ce texte est tellement problématique qu'avant même son adoption, les plateformes l'ont intégré et pratiquent déjà une forme d'autocensure, toujours plus prégnante au quotidien. Une nouvelle fois, je vous mets en garde : notre législation sur la presse est largement suffisante pour répondre à ces problèmes, et je ne crois pas qu'il soit souhaitable de transférer les prérogatives du juge à des opérateurs privés. En tout cas, ce n'est pas la conception que je me fais de la liberté d'expression, au sens qu'on lui reconnaît en France.

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