Intervention de Laure de La Raudière

Séance en hémicycle du mardi 21 janvier 2020 à 15h00
Haine sur internet — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaure de La Raudière :

Je vous adresse d'abord un très grand merci, madame la rapporteure, chère Laetitia Avia, d'avoir mis en débat autour de votre proposition de loi un objectif qui nous rassemble tous ici, comme il rassemble tous les républicains : comment lutter contre le nouveau visage de la haine entre les hommes qui se propage sur les réseaux sociaux ? En quelques années, c'est devenu un véritable fléau. Les propos portant atteinte de façon odieuse et illicite à la dignité humaine à cause de la race, de la religion ou de l'orientation sexuelle, qui pouvaient parfois être entendus dans un bar ou dans la rue, sont maintenant des propos écrits qui se propagent sur les réseaux sociaux, qui atteignent rapidement des dizaines de milliers de personnes, d'autant plus vite que les algorithmes de Facebook, de Twitter ou d'autres médias sociaux, poussent justement de façon plus importante les contenus qui ont une forte audience.

Nous sommes tous d'accord pour dire que nous ne pouvons pas rester les bras ballants face à cette situation. Les députés du groupe UDI, Agir et indépendants sont majoritairement en faveur de ce texte. En revanche, même si j'en partage bien évidemment les objectifs, je ne suis pas en accord avec la manière dont le texte propose d'agir face à ce fléau.

Madame la rapporteure, je veux tout d'abord saluer votre travail, votre persévérance, vos convictions, votre attention aux autres, aux associations des victimes, votre souhait d'aboutir. C'est votre combat législatif et vous le menez jusqu'au bout. Cette proposition de loi mérite vraiment de porter votre nom. Même si je ne suis pas d'accord avec les solutions que vous proposez, je tenais à le préciser et à vous remercier sincèrement pour les échanges cordiaux que nous avons toujours eus pendant l'examen de ce texte.

Je suis opposée au coeur de votre proposition, à savoir la responsabilité pénale des plateformes en cas de non-suppression des propos haineux sous vingt-quatre heures, car, même si vous dites le contraire, en passant d'une obligation de moyens déjà en vigueur actuellement à une obligation de résultats sous peine de sanction pénale, nous demandons clairement – et juridiquement – à des plateformes de jouer le rôle du juge en matière de liberté d'expression.

Pourquoi ? Parce qu'on n'assiste pas toujours à des flagrants délits en matière de légalité ou non des propos haineux. Il y a aussi des contenus gris. J'ai l'impression qu'au cours de ce débat nous oublions cette zone d'ombre qui peut exister et que Facebook et Twitter, avec leurs algorithmes, seront tout-puissants pour déterminer ce qui est légal et ce qui ne l'est pas.

Je me souviens d'une affaire qui avait fait du bruit il y a quelques années dans une école où un jeune garçon avait dit, pardonnez-moi par avance de prononcer des propos que je ne fais que rapporter et auxquels je n'adhère évidemment pas : « Je n'aime pas les Arabes ». Le professeur des écoles avait bien sûr puni l'enfant – il était en cela pleinement dans son rôle. Mais il voulait aller plus loin en sanctionnant les parents. Il n'a pas pu le faire car il se trouve que ces propos, si méprisables et odieux soient-ils, ne sont pas illicites. C'est une opinion – eh oui ! – , comme celles qui consistent à dire : « Je n'aime pas les femmes », « Je n'aime pas les catholiques » ou « Je n'aime pas tel ou tel type de groupe constitué. »

Comment un algorithme fera-t-il la différence entre des propos illicites et des propos qui sont des opinions ? Ce n'est pas toujours évident. La règle, c'est que des propos sont illicites lorsqu'ils portent atteinte à la dignité humaine, donc forcément à une ou plusieurs personnes. Comment un algorithme pourra-t-il distinguer un groupe de personnes d'un groupe constitué que l'on vise de façon générale ? Cela ne me semble pas évident.

Vous niez le fait qu'il puisse exister des contenus « gris » qui ne seraient pas évidemment qualifiés. La situation devient d'autant plus compliquée que, plus loin dans le texte, vous créez la sanction de surcensure, façon de dire aux plateformes et aux réseaux sociaux : supprimez, sinon vous serez sanctionnés, mais ne supprimez pas trop, sinon vous serez sanctionnés aussi !

À mon avis, ces dispositions en miroir vont retirer toute efficacité à la proposition de loi. En cas de recours au juge pour faire appliquer la proposition de loi, les plateformes auront beau jeu de dire au juge qu'elles étaient de bonne foi car elles avaient peur de trop censurer ou, à l'inverse, de ne pas assez censurer.

C'est d'ailleurs pour cela que l'article le plus intéressant du texte est certainement celui dont on parle malheureusement le moins : l'article qui dote le CSA de nouveaux pouvoirs d'enquête sur le fonctionnement des algorithmes des plateformes et des réseaux sociaux.

C'est cela qui est important et vraiment innovant dans cette proposition de loi par rapport à la loi pour la LCEN et à ses évolutions. Comment les plateformes s'organisent-elles pour lutter contre les propos haineux ? Combien d'équipes sont assignées à cette tâche ? Quelle surveillance de la jurisprudence en matière de lutte contre les propos haineux a été mise en place ? Comment les algorithmes sont-ils développés ? Comment traitent-ils les contenus « gris » ? Comment les recommandations sont-elles mises en oeuvre ?

La montée en compétence technique de l'autorité administrative indépendante qu'est le CSA et celle de la justice est essentielle, et j'ai l'impression que l'on passe à côté de ce débat majeur. En obligeant la suppression sous vingt-quatre heures de tout contenu haineux, on ne lutte pas contre la haine en ligne ; on la cache, et on n'attaque en responsabilité ni les auteurs de propos haineux, ni le fonctionnement des algorithmes de recommandations. Cela devrait pourtant être aujourd'hui au coeur de nos préoccupations.

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