Nous retrouvons la question de la lutte contre les contenus haineux sur internet, qui nous a déjà agités au mois de juillet dernier. Nous vous avions alors alertés, comme l'ont fait, jeudi dernier, seize associations et ONG, sur le caractère liberticide de cette proposition de loi. Ces associations et ces ONG ne sont manifestement pour vous, monsieur le secrétaire d'État, que des protestataires quelconques, mais vous devriez prendre la mesure de ce qu'elles représentent. Comme le rappelait ma collègue Danièle Obono, il s'agit de rien de moins que de syndicats d'avocats ou de la Ligue des droits de l'homme. Nous avons affaire à toute une série d'associations qui ont fait entendre dans l'histoire de notre pays un point de vue qui mérite que l'on s'y attarde cinq minutes… Je sais trop bien en quelle estime vous tenez La France insoumise, mais vous pourriez du moins écouter d'autres voix qui ont une certaine force. Peut-être les arguments qu'ils invoquent ne sont-ils pas bons, mais j'ai trouvé, monsieur le secrétaire d'État que vous les traitiez avec une forme de légèreté.
La semaine dernière, vous avez réintroduit en commission des lois l'obligation pour les plateformes de retirer en vingt-quatre heures des contenus « manifestement illicites ». En cas de non-retrait, une sanction est prévue à hauteur de 4 % du chiffre d'affaires mondial de la plateforme concernée. Je considère que ce dispositif risque de se transformer en une prime à la censure, car les plateformes privilégieront la censure facile plutôt que la sanction lourde. De plus, en toile de fond de votre dispositif, vous organisez l'effacement du juge judiciaire, pourtant garant des libertés, au profit du CSA, autorité administrative dont l'indépendance par rapport au pouvoir en place n'est franchement pas garantie.
Que les membres du CSA n'en prennent pas ombrage, mais je rappelle qu'ils sont tous nommés par le président de l'Assemblée nationale ou du Sénat, à l'exception du président, désigné par le Président de la République. Pardonnez-moi, mais, pour une instance indépendante, juge de la liberté d'expression, on pourrait imaginer mieux !
Les propos racistes, antisémites, haineux ne peuvent être rigoureusement sanctionnés que par le juge judiciaire qui doit véritablement juger de leur qualité. Ajoutons que le délai de vingt-quatre heures oblige à traiter tous les contenus en urgence sans prioriser les plus graves.
Plus grave encore, par anticipation de cette proposition, les plateformes censurent d'ores et déjà à tour de bras. J'en prendrai quelques exemples. Hier, le journaliste Denis Robert publiait un édito audiovisuel intitulé « En marche vers l'affrontement total », lequel fut soumis à restriction d'âge par YouTube sous prétexte de « signalements de membres de la communauté ». C'est franchement insupportable !
En pleine bataille des retraites, à la veille de l'acte 63 du mouvement des gilets jaunes, des contenus éditoriaux et politiques d'opposition ont été rendus inaccessibles. Et il ne s'agit pas de cas isolés ! En octobre 2019, le groupe Facebook s'était autorisé à limiter l'information syndicale en censurant des publications de pages SUD Rail-Solidaires et de CGT SNCF. Je vous avais alors alerté, monsieur le secrétaire d'État, car il me semblait particulièrement choquant que des organisations syndicales se retrouvent ainsi sanctionnées. La directrice de Facebook avait alors joint mon cabinet pour essayer d'expliquer que le blocage des pages en question était le fait d'un algorithme, et qu'il s'agissait d'une erreur. Nous l'avons interrogée, mais elle n'était pas en mesure de déterminer le contenu exact à la source du blocage, ni capable de justifier le temps nécessaire pour constater et lever cette restriction inadmissible. Voilà la réalité aujourd'hui !
Dernier exemple : ces derniers jours, de nombreuses personnes se sont émues que dans les rues de Paris des manifestants aient scandé : « Louis XVI, Louis XVI, on l'a décapité ; Macron, Macron, on peut recommencer ! »