Nous avons, à votre initiative, madame la Présidente, formé une délégation pour rencontrer nos homologues de la commission des affaires étrangères de la Chambre des députés italienne. La visite était tout à fait opportune puisqu'il s'agissait de renouer des liens après l'installation du nouveau gouvernement dit « Conte II ».
Je vous remercie de m'avoir confié cette délégation. Je suis très investi sur l'Italie depuis deux ans et demi, en tant que président du groupe d'amitié France-Italie, dans une situation qui est parfois chaotique.
Nous avons pu rencontrer nos collègues du groupe d'amitié Italie-France, à la Chambre des députés et au Sénat, puisque là-bas, le groupe est commun aux deux assemblées, ainsi que des intellectuels qui nous ont dressé un panorama de la situation politique économique et de la politique extérieure. Nous pouvons par exemple citer Marta Dassù, qui est la directrice de l'Institut Aspen Italia, Ferdinando Nelli-Feroci, ancien commissaire européen, président de l'Istituto Affari Internazionali, et Federico Fubini, économiste et éditorialiste au Corriere de la Serra. Sous l'égide de notre ambassadeur Christian Masset, que je tiens à remercier particulièrement, nous avons également rencontré les différents chefs de service de l'ambassade qui nous ont dressé un panorama complet de la situation italienne.
Nous avons également tenu un déjeuner de travail avec nos homologues de la commission des affaires étrangères et leurs collègues des finances, puisque l'Italie était à ce moment-là en pleine discussion budgétaire. Nous avons surtout pu tenir une réunion avec nos collègues de la commission des affaires étrangères, c'était le but premier de notre visite. Nous avons d'ailleurs, à cette occasion, signé un communiqué conjoint sur le Nord-Est syrien. La situation était tendue entre la Turquie et la Syrie et la présidente Marielle de Sarnez nous a proposé la signature conjointe d'un communiqué qui a été rédigé non sans difficulté.
Je m'attacherai à donner le sentiment général de la délégation, mes collègues interviendront ensuite. Hugues Renson présentera une analyse de la situation politique intérieure, particulièrement riche. Michel Fanget évoquera la question migratoire, qui est le point focal du débat politique de ces dernières années. Je lirai le texte de Didier Quentin sur la question de la relation avec l'Union européenne. Meyer Habib fera ensuite un tour d'horizon de la politique étrangère et Alain David parlera des relations culturelles avec l'Italie, anciennes et profondes, mais prises en otage ces derniers temps, notamment avec l'exposition Léonard de Vinci.
Le déplacement en Italie a été beaucoup moins paisible que nous aurions pu l'imaginer. S'exprime depuis quelque temps un reproche, de plus en plus fort, de la part de la population italienne vis-à-vis de la France. On n'en parle pas beaucoup, car vu de la France, ce sentiment vis-à-vis des Italiens n'existe absolument pas.
Ce sentiment s'est installé depuis quelques années, l'intervention de la France en Libye il y a quelques années a marqué le début de cette forme de ressentiment. La Libye était vraiment le pays voisin, cousin et ami de l'Italie qui a très mal vécu à l'époque l'intervention française, d'autant plus que cette intervention s'est faite sans laisser aucun espoir politique par la suite.
En conséquence de l'ouverture de la Libye, les migrants sont arrivés en grand nombre en Italie. Je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais, pour comprendre ce que ressentent les Italiens, il faut se souvenir que, il y a quelques années, nous avions eu sur nos côtes françaises, à proximité de Saint-Raphaël, à Boulouris, un bateau de migrants qui était arrivé avec, notamment, deux cents enfants. Le sujet avait fait débat pendant six mois, on l'avait appelé « le bateau de la honte ».
Pour mémoire, depuis l'ouverture de la Libye, les bateaux arrivaient quasi quotidiennement en Italie, avec des milliers de personnes qui arrivaient d'Afrique. Les Italiens ont donc exprimé un sentiment de peur et surtout une incompréhension par rapport à la non-intervention de l'Europe. Aux Italiens qui demandaient de l'aide à l'Europe pour gérer les flux migratoires, l'Europe répondait qu'elle ne le pouvait pas à cause des accords de Dublin, considérant que les migrants arrivaient sur leur territoire. La même Europe menaçait aussi les Italiens de sanctions en raison de leurs dérapages budgétaires. Cette ambiance a permis de voir arriver, aux élections législatives, la coalition avec la Ligue de Matteo Salvini et le parti Cinque Stelle de Luigi Di Maio.
Une fois la coalition mise en place, le « fonds de commerce » de la Ligue a été de dire que le problème actuel était celui des migrants. Qui dit migrants, dit Europe ; qui dit Europe, dit Macron et qui dit Macron, dit France. Nous avons vécu un sentiment de plus en plus anti-français. En Italie, en ce moment, tous les deux jours, un article sortait dans le journal pour présenter la France comme responsable de la situation. Le sentiment anti-français est quand même installé aujourd'hui de façon assez forte.
Nous nous attendions à des relations paisibles avec nos collègues de la commission des affaires étrangères, or nous avons été relativement chahutés pendant deux heures, sur beaucoup de sujets : la Libye, la politique migratoire, le déficit budgétaire européen – comme si nous étions responsables des règles européennes concernant le déficit budgétaire –, le contrôle aux frontières réinstauré à Vintimille, la partie économique avec Renault-Fiat, mais aussi l'épisode de Fincantieri. Sur tous ces sujets, nos homologues nous interpellaient et nous reprochaient ces décisions.
Ce qui m'a le plus impressionné est que cette attitude ne venait pas seulement des bancs de la Ligue ou de Fratelli d'Italia, mais de tous, de l'extrême droite à la gauche. Même mon homologue Piero Fassino du Parti démocrate, qui a été nommé président du groupe d'amitié Italie-France le lendemain du jour où notre ambassadeur a été rappelé – il n'y avait personne avant – avait quelque chose à nous reprocher.
La somme des reproches exprimés par nos collègues d'Italie totalisait quasiment 85 % de l'assemblée présente. C'était assez dur, je le savais parce que je suis souvent en Italie dans le cadre de mes fonctions et je pense qu'il faut vraiment aujourd'hui que nous menions un réel travail de diplomatie parlementaire sur le sujet italien.
Cela étant, des pistes d'ouverture existent aussi. A été évoquée l'idée de créer un parlement franco-italien, comme avec l'Allemagne. L'Italie et la France entretiennent de longue date des liens forts. Il existe un autre sujet d'espoir : le traité du Quirinal. Il avait été engagé avant les élections législatives par le président Macron et le président Mattarella. Aujourd'hui, la France a un traité économique bilatéral avec l'Allemagne, pourquoi ne pas en faire un autre avec l'Italie, qui aurait, à mon sens, une autre envergure ? Le traité de l'Élysée avec l'Allemagne est celui qui a structuré l'Europe au niveau économique. Nous rêvions tous de la monnaie forte et c'est ce qui nous a amenés à avoir notre Europe aujourd'hui. Nous sommes entre Latins et nous pourrions plus l'orienter vers une Europe sociale, culturelle, universitaire, ce qui permettrait de contrebalancer la vision qu'ont actuellement nos concitoyens de l'Europe.
Je voudrais évoquer brièvement le développement économique. Globalement, l'Italie va bien du point de vue économique. C'est le deuxième partenaire économique de la France, aussi bien en importation qu'en exportation. Par contre, l'Italie connaît deux difficultés, avec sa dette, comme dans beaucoup de pays, mais surtout avec sa démographie, puisque le taux de fécondité est de 1,34 enfant par femme. En outre, la population jeune migre et il y a toujours les deux Italie, celle du Nord, qui est riche, et celle du Sud, qui est pauvre. L'Italie est donc en train de se vider de sa population. C'est vraiment un très gros problème.