L'Italie est un pays que je connais bien parce que j'ai la chance d'être le député des 100 000 Français qui habitent l'Italie. J'ai aussi une grand-mère née à Venise, un grand-père né à Tripoli et la langue maternelle de mon père était l'italien.
De manière schématique, nous pouvons identifier trois grandes lignes de force dans la politique étrangère italienne. La première est la priorité stratégique donnée à l'Alliance atlantique. Depuis 1949, l'Italie est membre de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), elle s'est imposée comme un des piliers de la base arrière des États-Unis en Méditerranée. Pour exemples, le commandement des forces navales américaines en Méditerranée est installé à Naples, la base américaine de la Sigonella, près de Catane en Sicile, accueille les drones américains actifs au Moyen-Orient et en Afrique et la base de l'OTAN de Vicence, à 70 kilomètres de Venise, héberge la brigade aéroportée de l'armée américaine, qui a notamment été employée au Kosovo, au Kurdistan irakien ou en Afghanistan.
L'importance stratégique de l'Alliance atlantique avec les États-Unis se concrétise par la participation de l'armée italienne au Kosovo à l'époque, au Kurdistan irakien ou en Afghanistan, mais aussi par la participation de l'armée italienne à de très nombreuses opérations militaires extérieures. L'Italie s'est ainsi engagée successivement au Koweït en 1991, en Afghanistan entre 2002 et 2014, et surtout aussi en Irak, entre 2003 et 2006.
Plus récemment, l'Italie a déployé le deuxième contingent en nombre derrière les États-Unis, dans le cadre de la coalition contre Daech, en Irak et en Syrie, avec 1 000 soldats et même jusqu'à 1 500 soldats il y a quelques mois.
Dans le contexte actuel de crise, l'engagement de l'Italie en Irak a été confirmé tout récemment le 7 janvier, malgré le vote au parlement irakien, demandant de mettre fin à la présence des troupes étrangères. Cette annonce a été accueillie très favorablement à Washington et témoigne de la centralité de l'alliance qui existe aujourd'hui avec les États-Unis, également illustrée par l'amitié affichée entre Donald Trump et son homologue italien Sergio Mattarella, en octobre dernier, à Washington.
S'agissant de la crise avec l'Iran dans le Golfe, Rome a condamné avec fermeté les récentes attaques de Téhéran contre les bases américaines en Irak et réaffirmé son engagement à agir en coordination avec ses partenaires européens pour la stabilité et la sécurité de la région.
La deuxième ligne de force de la diplomatie italienne est l'engagement européen, mais il est un petit peu malmené ces dernières années. Historiquement, la République italienne s'est immédiatement engagée en faveur du projet européen dans un contexte de guerre froide, mais aussi grâce à de puissants mouvements favorables au fédéralisme européen dans l'Italie d'après-guerre. Que ce soit pour la communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), l'Union de l'Europe occidentale (UEO), la Communauté économique européenne (CEE), Euratom ou l'euro, l'Italie a toujours fait partie du noyau des pays fondateurs avec la France, l'Allemagne et le Benelux. L'engagement européen repose aussi sur de forts intérêts économiques. L'Italie a beaucoup bénéficié de son intégration européenne.
Le premier levier a été la politique de cohésion qui a eu un impact considérable, en particulier dans le Mezzogiorno, dans le sud de l'Italie et dans les îles de Sicile et Sardaigne. Ensuite, le marché unique a été un facteur puissant de développement économique, qu'il s'agisse d'agriculture, d'industrie, de tourisme ou d'activités portuaires, notamment à Gênes, Trieste ou à Gioia Tauro, en Calabre. Les Italiens ont été longtemps parmi les Européens les plus attachés à l'Union.
Au Moyen-Orient, l'Italie est en ligne avec les positions européennes en ce qui concerne l'objectif de préservation de l'accord nucléaire iranien – qui est la position de la France –, pour moi aujourd'hui en état de mort cérébrale.
Toutefois, la crise migratoire, depuis 2011, dans un contexte de crise économique profonde, a eu pour effet de stimuler des sentiments anti-européens très forts, je le sens à chaque instant avec nos compatriotes qui sont très déboussolés par ces questions. Alors que les premiers signes d'un tournant eurosceptique ont commencé à poindre dans les années 1990, le raz-de-marée électoral du Mouvement 5 étoiles et de la Ligue, aux élections de mars 2018, a marqué un tournant majeur.
Le gouvernement de coalition, sous l'égide de Giuseppe Conte, mais contrôlé de fait par le duo Matteo Salvini-Luigi Di Maio, avait engagé une politique de défiance à l'égard de l'Union européenne. Dans le même temps, il avait initié un rapprochement avec la Russie, les États-Unis de Trump et plusieurs gouvernements eurosceptiques, dont celui de Viktor Orban en Hongrie. Nous pouvons également noter un fort rapprochement avec la Chine. Ainsi, en mars 2019, l'Italie a signé vingt-neuf accords avec la Chine et s'est engagée sur le projet de « la Route de la Soie ». Par ailleurs, la crise migratoire a suscité une montée des tensions très forte avec la France, dont l'apogée a été le rappel de notre ambassadeur, en février 2019.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire à l'époque, si rien ne pouvait justifier les outrances des officiels italiens, les torts (je vous le dis aussi en tant que député des Français d'Italie), étaient partagés à mon sens.
Dès juin 2018, j'avais fait part de mon trouble au sujet de certains propos. On a parlé de « lèpre nationaliste » qui montait en Italie, alors que venaient d'être élus les députés et que, pendant des années, le pays a dû affronter seul un véritable tsunami migratoire que l'Europe de Schengen s'est montrée totalement incapable d'endiguer. Nous avons parfois mal mesuré le sentiment d'abandon éprouvé par les Italiens face aux défaillances de la solidarité européenne en matière migratoire.
Cette crise est aujourd'hui largement derrière nous, comme nous avons pu le constater à Rome, mais il subsiste évidemment des tensions, parce que « taper » sur la France dans un contexte électoral devient populaire, ce qui est préoccupant. Le gouvernement au pouvoir à Rome a changé depuis la dissolution de la Chambre et les élections européennes de mai 2019, où la Ligue est arrivée en tête, mais n'a pu, comme vous le savez, former une coalition.
Toutefois, la relation bilatérale reste fragile, alors qu'elle reste hautement stratégique. Bien que l'Italie reste un État jeune, car créé en 1861, la relation franco-italienne est millénaire et reste stratégique dans la dynamique européenne, que ce soit au niveau économique, culturel et sécuritaire.
Enfin, le dernier axe de la politique étrangère italienne tourne autour des intérêts nationaux dans l'espace méditerranéen, en particulier sur le théâtre libyen.
Alors qu'elle restait peu présente au Sahel jusqu'en 2016, l'Italie a placé la Libye au coeur de son action. Pour les Italiens, la question libyenne est vitale, car elle touche les flux migratoires, énergétiques et, évidemment, la menace terroriste. Rome s'efforce de retrouver un rôle de médiateur dans son ancienne colonie alors que la situation semble hors de contrôle. Début janvier, des militaires turcs ont été envoyés pour soutenir le gouvernement de Fayez al-Sarraj, tandis que la Russie aurait envoyé des mercenaires, de l'argent et des armes au maréchal Haftar. C'est donc très tendu.
Dans ce contexte, l'Italie ne peut que constater son isolement alors que les événements qui agitent la Libye relèvent de l'intérêt général, comme l'a rappelé son ministre des affaires étrangères, Luigi Di Maio.
Dans la perspective de la conférence de Berlin, le 19 janvier prochain, Luigi Di Maio affiche l'ambition d'initier des discussions tripartites entre Italie, Russie et Turquie. Il s'est en outre déclaré contre toute interférence extérieure et favorable, si les Libyens la réclament, à une mission de maintien de la paix sous l'égide de l'Organisation des Nations unies (ONU), sur le modèle de celle du Liban.
En interne, la diplomatie italienne est critiquée en raison de l'inexpérience du ministre des affaires étrangères qui a multiplié les faux pas et semble accaparé par la crise qui secoue le Mouvement 5 étoiles.
Notons que lundi, le président du Conseil, Giuseppe Conte, s'est rendu à Ankara pour évoquer avec le président Erdogan les moyens de pérenniser le récent cessez-le-feu.
En conclusion, c'est une politique étrangère active, mais peut-être pas autonome. La diplomatie italienne reste largement dépendante d'alliances structurantes et géographiquement concentrées dans le bassin méditerranéen.