António Guterres nous l'a dit de manière assez abrupte : « Nous sommes en train de perdre la bataille du Sahel sur la sécurité. Le G5 est une bonne initiative, mais cette organisation peine à résoudre la crise qui s'aggrave. » Quelqu'un a parlé de « cauchemar du Sahel ». Tous nos interlocuteurs ont identifié la qualité relative des troupes qui forment le G5 Sahel, c'est-à-dire que des États sont présents, mais en difficulté. Tous n'ont pas la force que peuvent avoir le Tchad ou le Cameroun.
Nous avons mentionné le fonctionnement d'obstruction des États-Unis. Ces derniers ont refusé le déclenchement de l'article 7 de la Charte qui aurait permis que le G5 Sahel soit officiellement soutenu par des mesures et par des forces de l'ONU.
Les 5 000 soldats du G5 ont commencé à obéir à une meilleure organisation entre eux et les opérations sont menées en collaboration avec nos militaires de Barkhane. Du matériel lourd a été réceptionné. Nos interlocuteurs nous ont rappelé que cette difficulté des pays africains qui sont concernés par le G5 Sahel tient aussi au fait que, pour eux, le budget national de la défense et de la sécurité représente 20 %, ce qui est énorme pour des pays qui sont déjà en difficulté. Il est donc logique qu'ils ne puissent pas donner plus.
Nous avons rencontré les Allemands, qui nous ont rappelé qu'ils étaient engagés au Sahel, ce qu'il est bon de répéter assez souvent puisque, dans les discussions franco-allemandes, nous avons parfois l'impression d'être seuls. Les dispositifs liés à la coopération franco-allemande, à l'Alliance Sahel et à l'Union européenne, avec la Banque mondiale, avec les banques africaines de développement, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), sont bien coordonnés de l'avis de nos interlocuteurs et font avancer les choses.
Certains pensent que l'Union européenne pourrait s'engager et apporter davantage, et nous en arrivons là à tous les problèmes de réorganisation de multilatéralisme que propose António Guterres dans sa réforme, qui concerne également l'articulation du PNUD avec les autres agences. Le grand principe de cette réforme est de sortir le PNUD de son rôle de coordinateur des agences des Nations unies, au profit d'un nouveau coordinateur multilatéral qui ne sera plus dépendant de cette grosse agence qu'était le PNUD. Cela « tiraille » un peu. De ce que nous avons entendu, c'est peut-être cela qui permettra une plus grande efficacité et une meilleure coordination après la période de mise en place et de résistance de cette énorme administration, que nous sommes obligés de bousculer un peu pour faire passer cette réforme. C'est cela qui permettra sans doute aux Africains de s'investir davantage, puisqu'il est différent de s'investir avec un coordinateur de l'ensemble des actions en face de soi et avec un coordinateur du plus gros donateur du développement.
Nous avons rencontré Valentine Rugwabiza, la représentante permanente du Rwanda, qui avait une position extrêmement claire. Pour elle, la solution au Sahel n'est pas et ne sera pas militaire. Il faut absolument que l'effort de multilatéralisme, l'effort de résolution des conflits, passe par de l'apport de services. Elle a raconté ce qu'elle a vécu au Rwanda et a exprimé l'importance, quand on veut faire la paix, d'apporter des solutions de services, d'éducation, de santé, dans le même temps où l'on amène, à la rigueur, les Casques bleus ou les négociateurs. C'est quelque chose qu'elle a « vécu sur sa peau », comme on dit en Pologne, et qu'elle transposait au Sahel de manière très intéressante.
Il y a d'autres missions de l'ONU en Afrique qui sont importantes et dont nous avons parfois l'impression qu'elles sont enlisées parce que très anciennes. La critique, qui demande pourquoi laisser des forces de maintien de la paix très longtemps alors qu'il n'y a pas de progression du politique, n'est pas toujours infondée. Beaucoup s'interrogent : comment peut-on maintenir des Casques bleus si les solutions politiques s'enlisent ?
Un autre phénomène très important a été souligné : les groupes armés sont devenus sans inhibition. Aujourd'hui, nous avons des forces armées non nationales ou non officielles qui attaquent ouvertement des Casques bleus. Nous avons également des forces mercenaires, c'est-à-dire des proxys, impliqués dans des enjeux qui ne sont pas les leurs, mais qui sont payés pour se battre, ce qui transforme considérablement la guerre en tant qu'instrument diplomatique. Les nations engagées ne sont plus celles qui payent le prix du sang. Le rapport présenté par Jean François Mbaye et Moetai Brotherson sur le droit international humanitaire nous a éclairés sur ce sujet.
En conclusion, la réforme qui est en cours nous semble aller dans le bon sens. Manifestement, dans cette énorme administration aux enjeux internes extrêmement lourds, cela va prendre du temps. Le Secrétaire général est engagé dans cette réforme et veut la mener à bien. Mais il va falloir être solide et patient pour que ce multilatéralisme arrive à jouer son rôle à l'avenir.