Mon propos liminaire sera assez rapide afin que nous puissions ensuite aborder l'ensemble des sujets que vous avez évoqués, Madame la présidente, car ils sont importants. Certes, je les traiterai en partie, mais le sujet le plus actuel et le plus brûlant ne sera pas abordé dans le propos introductif que je vais maintenant tenir, lequel portera essentiellement sur le projet de loi de finances 2020.
Votre propos sur le huis clos est important. Je suis tenu au respect de la confidentialité des délibérations du Conseil de sécurité et du Conseil de défense restreint ; pour autant, j'essaierai de répondre le plus franchement possible en vous livrant le maximum d'éléments et en étant très attentif à votre besoin de compréhension et d'information. J'ai toute confiance en vous pour que les informations de nature confidentielle que je pourrais vous livrer soient préservées entre ces murs. S'il me semble important que la représentation nationale soit informée, il me semble tout aussi essentiel que ces informations restent entre nous.
Avant de commencer cette audition, je voudrais saluer le nouveau Bureau de cette commission, et en particulier sa nouvelle présidence en votre personne, Madame Dumas. Je sais que vous êtes déjà depuis longtemps très investie et que vous possédez une belle maîtrise des sujets de défense, comme tous les députés ici présents, mais en tant que vice-présidente, vous avez eu à vous impliquer plus particulièrement.
Je voulais également adresser un signe amical et respectueux à M. le député Jean-Jacques Bridey qui a été le président de cette commission jusqu'en septembre et avec lequel j'ai eu énormément de plaisir à collaborer et à échanger au cours de ces deux premières années que nous avons commencées ensemble, dirais-je, lui en qualité de président, moi en tant que chef d'état-major des armées. Soyez assuré, Monsieur le député, que ma mémoire en restera marquée !
Je veux enfin saluer l'ensemble des députés de cette commission. Votre travail, votre investissement nous sont absolument indispensables. Je tiens à vous remercier parce que vous vous attachez à la compréhension des enjeux, à la singularité militaire et à l'institution militaire dans ce qu'elle a de très particulier et d'unique. Je pense que vous mesurez au fur et à mesure des visites de nos bâtiments, de nos bases aériennes, de nos régiments, des différents services des armées ou lors de vos déplacements en opération à quel point ce monde est particulier et à quel point il a besoin d'ambassadeurs. Ces ambassadeurs, c'est vous ! Depuis désormais plus de deux ans que je suis chef d'État-major des armées, j'ai le sentiment que nous sommes compris, que vous assumez, au-delà de votre rôle de parlementaires, ce lien absolument indispensable entre les armées et leurs concitoyens, qui reste pour nous essentiel.
Le PLF 2020 s'inscrit dans une loi de programmation militaire définie à l'issue de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 dont les conclusions ont porté une vision extrêmement réaliste de l'état du monde, des facteurs de transformation des enjeux, des tensions géopolitiques et du contexte de sécurité auxquels nous sommes confrontés.
Pour répondre à cette description très claire des enjeux – je ne pense pas qu'elle était fausse ; ce qu'elle traçait comme perspectives ne me semble pas avoir été démenti depuis –, la nation a décidé un effort financier important en faveur du ministère des armées. Cette loi permet de réparer, puis d'entreprendre la modernisation de nos armées. Les 50 milliards d'euros visés en 2025 permettront de répondre à l'Ambition 2030 de disposer d'un modèle d'armée complet, modernisé, fondé sur une dissuasion nucléaire crédible afin de faire face à l'ensemble des menaces décrites dans la revue stratégique.
J'observe que cet effort national n'est pas produit par la totalité de nos partenaires européens et qu'au moment où nous menons cet effort, l'ensemble des autres grandes ou des moyennes puissances du monde l'engagent de leur côté. Si nous comparons les efforts européens à ceux d'autres grands acteurs de la scène mondiale, nous constatons que l'écart se creuse. L'effort entrepris par la France devrait inspirer nos partenaires européens ; la nécessité d'une prise de conscience est urgente.
De mon avis d'officier, cet effort de la Nation de redressement des budgets du ministère est sans précédent. L'officier que je suis, qui donc n'a jamais vécu cette période extraordinaire de redressement au profit des armées et qui doit ainsi être capable de conduire leur reconstruction et leur remontée en puissance, mesure à quel point cet effort de la Nation nous oblige et à quel point l'ensemble des équipes qui m'entourent, des chefs militaires qui sont avec moi aux commandes de nos armées, sont conscients de ces obligations.
Mon propos liminaire se décomposera en quatre parties. J'évoquerai très rapidement l'engagement actuel de nos armées en opérations pour revenir sur la gestion de 2019 et sur ce qui sous-tend concrètement le projet de loi de finances 2020 ; j'aborderai les axes d'effort et, enfin, mes points de vigilance pour la suite de la loi de programmation militaire.
Les opérations sont notre raison d'être. Nous visons l'excellence pour permettre à la France d'être la puissance d'équilibre que le Président Macron veut, dans un contexte géopolitique de plus en plus chaotique.
Les tendances de la revue stratégique se confirment, s'accélèrent, le monde réarme, les relations internationales se militarisent et le multilatéralisme est contesté. Les sujets de tension malheureusement se multiplient.
Nous sommes toujours et même de plus en plus sollicités – malheureusement pour longtemps encoreet de plus en plus. La sollicitation des armées ira en augmentant dans les années qui viennent. Il y va de la protection de la France, de la défense de ses intérêts, sur le territoire national comme à l'étranger. Au moment où je m'exprime, plus de 30 000 militaires sont engagés quotidiennement dans la défense de notre pays, 8 000 sont en opérations extérieures, essentiellement au Levant et dans la bande sahélo-saharienne, ainsi qu'au Liban ; 20 000 sont engagés sur le territoire national dans le cadre des postures permanentes de sauvegarde maritime ou de sécurité aérienne, dans l'opération Sentinelle et au sein des forces de souveraineté dans nos collectivités d'Outre-mer. Enfin, 3 700 militaires sont prépositionnés comme forces de présence à l'étranger.
Rapporté à nos effectifs aujourd'hui, ce niveau d'engagement soutenu depuis de nombreuses années est inédit et il ne devrait pas fléchir dans les années à venir, car les foyers de crise sont nombreux ; je crains qu'ils ne prolifèrent et s'aggravent.
Pour garantir la capacité des armées à remplir leur mission, la LPM entreprend la réparation et la modernisation de notre outil de défense.
La première annuité de la LPM, avec une marche à 1,7 milliard, confirme la volonté politique d'un véritable redressement de nos armées dans le domaine des équipements, de leur entretien et des ressources humaines. En effet, alors qu'ils étaient à bout de souffle, nos parcs de véhicules, d'aéronefs et de bâtiments ont commencé à opérer leur mue par la livraison de matériels de dernière génération qui correspond à un montant total de 19,6 milliards de crédits de paiement au profit des équipements en 2019. Les livraisons attendues cette années parmi les plus emblématiques sont les 92 premiers véhicules blindés multirôles Griffon, en remplacement du véhicule de l'avant blindé (VAB) entré en service en 1976 ; la cinquième frégate multimissions admise au service actif, La Bretagne ; le deuxième MRTT – Airbus A330 Multi Role Tanker Transport – qui a permis à l'armée de l'air de déclarer récemment une première capacité opérationnelle de la mission de dissuasion aéroportée.
L'effort a également porté sur l'entretien programmé des matériels (EPM) à travers un plan de transformation et de maintien en conditions opérationnelles terrestre, naval et aérien. La transformation du maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique en particulier est portée par la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) qui rénove notamment l'architecture contractuelle, à l'image des marchés qui ont été notifiés récemment pour les Fennec de l'armée de Terre, les Rafale de l'armée de l'air et de la marine nationale, et l'A400M.
J'attends de cette réforme des résultats concrets en termes de disponibilité technique et opérationnelle de nos matériels dans les années à venir.
En 2019, nous avons aussi poursuivi nos efforts de recrutement. Pour l'heure, les résultats sont conformes aux attendus, voire légèrement supérieurs ; ils ne doivent toutefois pas masquer les difficultés que les gestionnaires militaires rencontrent en matière de recrutement et de fidélisation, dans un contexte de très forte concurrence du secteur civil et en raison de la grande exigence du métier des armes, souvent en contradiction avec les tendances sociétales.
En ce qui concerne la fidélisation, nos préoccupations concernent toutes les catégories de personnels, y compris nos cadres, notamment nos officiers supérieurs. Ce sujet me tient particulièrement à coeur. Je veille, d'une part, à préserver un rapport adapté entre le personnel militaire et le personnel civil dans ce contexte compliqué ; d'autre part, à garantir à tous un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. De ce point de vue, le plan d'accompagnement des familles et de l'amélioration des conditions de vie des militaires, conduit par Mme la ministre de façon très active, très volontaire et avec un investissement personnel profondément sincère, y concourt. De ma vie d'officier, je n'ai jamais vu un ministre à la tête de ce ministère prendre à ce point en compte, au-delà de tous les sujets qui forment la vie quotidienne du ministère, qu'il s'agisse des opérations, des exportations d'armement, des sujets de coopération internationale, de l'équipement et les grandes masses financières que cela représente, de ma vie d'officier, je n'ai jamais vu, disais-je, un ministre s'investir aussi personnellement, aussi concrètement et avec autant de précision dans les efforts au profit de la vie des femmes et des hommes qui servent nos armées.
Après une première année de réparation qui se poursuivra, le PLF 2020 lance résolument la modernisation des armées. Cette deuxième annuité est conforme aux dispositions de la loi de programmation militaire. Elle consacre, à périmètre constant, une nouvelle marche de plus 1,7 milliard, portant le budget total à 37,5 milliards. Il s'agit de la hausse en valeur la plus importante de toutes les missions du budget général de l'État, avec un effort de défense qui, de 1,84 % du PIB en 2019, passera à 1,86 % en 2020.
Sur cette hausse, 1,1 milliard sera consacré à l'équipement des forces armées, ce qui témoigne de la volonté de réparer notre outil de défense en diminuant les réductions temporaires de capacité qui avaient été consenties précédemment et en modernisant les équipements. Les livraisons attendues en 2020 en attestent, en particulier les quatre premiers engins blindés de reconnaissance et de combat Jaguar, les 128 nouveaux Griffon et les moyens de transmission tactique adaptés qui permettront à l'armée de Terre une véritable entrée dans l'air du combat Scorpion – le général Burkhard a dû l'évoquer devant vous. La livraison du premier sous-marin nucléaire d'attaque de la classe Barracuda, le Suffren, marquera un saut capacitaire majeur des forces sous-marines dans le domaine de la lutte sous la mer, mais également en offrant une nouvelle capacité de frappe dans la profondeur. L'intégration d'une capacité armement sur le Reaper – sur Block 1 à la fin de 2019 et sur Block 5 à compter de 2020 – offrira également à nos forces de nouvelles possibilités de frappe immédiate de cibles d'intérêt, sans avoir à attendre l'arrivée des avions de combat ou des hélicoptères, même si cette nouvelle capacité s'accompagne d'un souci très précis que nous entretenons de définir une doctrine d'emploi respectueuse du droit international, du droit des conflits armés et de l'éthique militaire que nous devons à tout prix respecter.
L'effort de modernisation est également tangible dans le domaine de la dissuasion nucléaire après une période principalement consacrée à la consolidation des capacités. En 2020, la France consacrera 4,7 milliards de crédits de paiement, soit une hausse de 6 % par rapport à l'an dernier, essentiellement consacrée au renouvellement des deux composantes aéroportées et océaniques, ainsi qu'à l'ajustement des moyens de transmission qui sont dédiés à la mise en oeuvre des frappes nucléaires. Un chantier emblématique de cette modernisation sera le lancement en réalisation du sous-marin nucléaire lanceurs d'engins (SNLE) de troisième génération.
L'effort de modernisation se concrétise également dans les champs de conflictualité plus récents, ceux du cyber et de l'espace.
Dans le domaine cyber, nous poursuivons le développement des capacités de protection de nos systèmes d'information, ainsi que les moyens de lutte informatique défensive et d'action numérique. Ainsi, nous prévoyons une augmentation de 54 personnes sur le périmètre du CEMA et environ 80 millions qui seront consacrés aux opérations cybermilitaires et à la réalisation du programme cyber. Nous décentralisons et densifions ces capacités dans la région de Rennes, où la ministre a inauguré, au début du mois, le commandement du cyber dans un local de 11 000 m2 à la Maltière. Nos soldats du numérique travailleront en symbiose avec les ingénieurs de la délégation générale pour l'armement (DGA) de Bruz, à la pointe de l'innovation dans ce domaine également.
Dans le secteur de l'espace exo-atmosphérique, dont le commandement, créé le 1er septembre dernier, s'est installé à Toulouse dernièrement, l'ambition de la France se concrétise par un budget d'environ un demi-milliard d'euros et un accroissement de 36 postes dans un premier temps.
Le renforcement de nos capacités de détection et de réaction dans l'espace est entrepris. Il s'appuie sur des moyens, des équipements et la recherche de partenaires efficaces, notamment européens, afin de réduire la vulnérabilité de nos capacités. Dans un premier temps, un effort sera entrepris pour acquérir des moyens d'observation de l'espace et l'achat de services nouveaux. Il s'agit d'améliorer nos capacités de surveillance et de caractérisation des menaces et ensuite de défendre nos intérêts nationaux. Les moyens de défense active seront développés.
Les crédits budgétaires au profit des services de renseignement s'élèveront à 421 millions. La direction du renseignement militaire (DRM) a, pour sa part, achevé un premier cycle de réformes afin de permettre des manoeuvres multicapteurs, au plus près des forces, tout en poursuivant sa mission de veille stratégique. Elle se prépare également à acquérir des capacités innovantes, en particulier dans le domaine cyber.
Côté innovation, 926 millions d'euros seront consacrés aux études amont. Cet effort atteindra un milliard en 2022. Face à des adversaires de plus en plus inventifs, évolutifs, de plus en plus rapides, qui savent recourir de façon audacieuse, innovante et imaginative à des techniques et à des technologies très nivelantes, il est important que nous soyons en pointe dans l'innovation de défense et que nous fassions preuve de beaucoup d'audace et de dynamisme, tant dans la recherche amont qui permet de développer de nouvelles technologies que dans l'usage que l'on peut faire des technologies existantes. C'est la raison pour laquelle les armées, aux côtés de la DGA, sont très investies.
Enfin, nous pourrons bénéficier des initiatives européennes en cours, telles que la coopération structurée permanente qui est entrée dans sa troisième vague de sélection de projets et la mise en place d'un fonds européen de défense. Il s'agit bien de disposer de moyens supplémentaires pour les projets de notre pays, de notre ministère et de nos armées. Les crédits qui pourront être dédiés au développement de projets français dans le cadre de la coopération structurée et permanente bénéficiant du Fonds européen de défense ne seront pas déduits des ressources budgétaires accordées aux armées dans le cadre de la loi de programmation militaire.
Quels sont les axes d'effort ? Le premier pilier, celui des ressources humaines, représente aujourd'hui un véritable défi. Vous l'avez évoqué, Madame la présidente, dans votre introduction.
Après les attentats de 2015, la décision avait été prise de rompre avec la logique de déflation des effectifs afin de conserver une certaine masse critique. Désormais, il s'agit de disposer de soldats, de marins, d'aviateurs en nombre suffisant, qualifiés, entraînés, armés dont le matériel est entretenu, dont les familles sont soutenues, qui sont confiants dans leur avenir et fiers de servir, conformément à l'ambition « à hauteur d'homme » de cette loi de programmation militaire.
En 2020, la mission Défense voit son schéma d'emplois fixé à plus de 300 effectifs. C'est l'un des rares en croissance sur le périmètre de l'État puisque le solde global est de moins 47 équivalents temps plein (ETP), même si ce schéma est inférieur au schéma d'emploi qui est alloué aux missions Justice et Sécurité. Pour autant, nous pourrons jouir de personnels supplémentaires au profit de nos priorités que sont le renseignement, le cyber et le numérique.
Plusieurs leviers permettent de renforcer l'attractivité du métier des armes et de garder nos militaires les plus expérimentés ou les plus qualifiés, tout en répondant à l'impératif de jeunesse. Parmi ces leviers, un certain nombre de mesures ont été prévues cette année et vous ont déjà été présentées, parmi lesquelles :
De nouvelles mesures catégorielles en 2020, à hauteur de 40 millions d'euros, dont 12 millions seront consacrés à la deuxième étape de mise en oeuvre de la prime de lien en service, essentielle à la conservation des compétences.
La poursuite du « plan d'accompagnement des familles et d'amélioration des conditions de vie des militaires », environ 80 millions d'euros étant dédiés à cette priorité en 2020. Après une consultation territoriale au premier semestre 2019, une orientation de l'effort portera cette année sur l'emploi des conjoints, la petite enfance, une meilleure prise en compte des familles fragilisées et l'Outre-mer.
Une enveloppe de 120 millions sera utilisée pour améliorer l'hébergement de nos militaires, les ensembles de restauration des emprises, ainsi que le logement des familles.
Plusieurs sujets d'actualité auront aussi un impact majeur et direct sur notre ressource humaine : la réforme des retraites, la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) et la sortie de crise Louvois. Nous restons très vigilants sur ces sujets sensibles car ils suscitent beaucoup d'attentes et d'inquiétudes. Avec Mme la ministre, nous sommes attentifs à la mise en oeuvre des promesses et des orientations très claires présentées par le Président de la République et veillons au fait que, au-delà des orientations générales, le système de retraite et une nouvelle politique de rémunération des militaires répondent bien à nos objectifs d'attractivité. La NPRM devrait contribuer à mieux prendre en compte les spécificités du métier des armes et les missions confiées aux militaires.
Les travaux sur la NPRM se poursuivront en 2020. De premières orientations sont attendues cette année, dont la mise en oeuvre est prévue dès 2021. Nous veillerons à répondre aux attentes de nos hommes et de nos femmes.
Le logiciel Source solde a été déployé dans la marine nationale au printemps, au moment, toujours délicat dans les armées, du plan annuel de mutation. À ce stade, grâce à un suivi intense et très précis, le basculement s'est déroulé dans de bonnes conditions. Nous en présenterons un retour d'expérience à Mme la ministre au mois de novembre et préparons activement le basculement de l'armée de Terre vers ce nouveau logiciel de rémunération. Le succès de la manoeuvre est important, il redonnera confiance aux personnels.
Le second pilier est la détention de capacités interopérables et renouvelées qui doit garantir la supériorité opérationnelle en toutes circonstances, aujourd'hui et demain. Ce pilier repose sur deux fondements. D'une part, le comblement des réductions temporaires de capacités, décidées notamment lors de la précédente LPM. En corollaire, nous devons conserver des matériels d'ancienne génération dont la disponibilité constitue un enjeu majeur sur la période de la LPM mais entraîne un surcoût de MCO. D'autre part, l'augmentation technique et numérique des segments capacitaires, notamment le segment médian du programme Scorpion ou les frégates multimissions. Pour autant, rappelons-nous d'où nous venons. Concernant les blindés médians de l'armée de Terre, emblématiques de la notion de masse sur le champ de bataille, nous disposions, en 2008, de 452 véhicules chars de combat médians : les AMX10RC et ERC 90 Sagaie. La cible pour 2030, modèle fixé dans l'ambition qui procède de la revue stratégique établie en 2017, est de 300 Jaguar qui viendront donc remplacer les 452 blindés médians dont nous disposions en 2008. Bien sûr, ils auront une disponibilité technique et des capacités très supérieures. Toutefois, rapportons ce chiffre à ce que risque d'être l'état du monde à l'horizon 2030.
Concernant le segment frégate – dont le Président de la République et nous-mêmes mesurons chaque jour davantage la nécessité – le besoin défini en 2008 était de 17 frégates multimissions (FREMM), 2 frégates de défense aérienne (FDA) et 5 frégates Lafayette (FLF), soit 24 bâtiments en tout ; en 2015, la cible Ambition 2030 a été réduite à 15 bâtiments.
Enfin, pour l'aviation de combat, l'armée de l'Air disposait en 2007 de 420 avions de combat ; Ambition 2030 fixe une cible de 185 avions polyvalents. Le Rafale est un avion polyvalent. Qu'il puisse assurer à la fois des missions de défense aérienne, d'appui air-sol et de reconnaissance justifie que nous n'ayons pas besoin d'autant d'avions. Néanmoins, mesurez bien que les cibles fixées, si elles permettent à notre armée moderne et aux équipements renouvelés une très bonne disponibilité technique opérationnelle pour faire face, grâce à un modèle absolument complet, à l'ensemble des opérations dans lesquelles nous serons engagés, en réalité, définiront ou traceront le format d'une armée qui ne sera toujours pas en mesure d'être engagée dans une déflagration mondiale majeure. Nul n'est capable de prédire la situation en 2030.
Le niveau de sollicitation de certains équipements au cours de ces dernières années a été supérieur à ce que prévoyaient les contrats opérationnels. Cette surexploitation a accéléré le vieillissement général et requiert aujourd'hui un surcroît de maintenance et l'effort d'entretien programmé des matériels, qui est une des priorités prise en compte par la loi de programmation militaire. Néanmoins, en nous projetant dans l'avenir, à la lumière de l'analyse que nous faisons de la situation internationale et de la rapidité croissante des évolutions, nous devons nous demander si le modèle que nous concevons aujourd'hui, qui, une fois encore, sera moderne, complet et cohérent à l'horizon 2030, sera à même de répondre aux sollicitations futures auxquelles la France devra répondre avec ses Alliés.
Le troisième et dernier pilier vise à développer et à entretenir la coopération internationale. Défense de l'Europe et Europe de la défense sont liées et s'articulent autour de l'Union européenne, de l'OTAN et de notre réseau de relations multilatérales, à l'instar de l'Initiative Européenne d'Intervention (IEI), et bilatérales, comme le traité de Lancaster House, dont c'est le dixième anniversaire.
Nous adoptons, sans nous décourager et sans nous lasser, une attitude particulièrement proactive pour renforcer notre influence auprès de l'ensemble de nos partenaires afin de favoriser le développement d'une culture stratégique commune et la prise de conscience d'une autonomie stratégique européenne ; telle est notre ambition, au travers de IEI notamment. Cette approche devra rester en cohérence avec notre propre autonomie stratégique et la force du lien transatlantique qui menace tous les jours de se distendre et auquel nous tenons.
L'ensemble de ces actions reste non seulement structurant pour les armées mais apparaît plus que jamais indispensable pour renforcer à moindre coût les champs opérationnels, diplomatiques et capacitaires. Sur ce dernier point, nous poursuivons nos études sur les programmes futurs majeurs que sont le Main ground combat systems (MGCS), le futur char de bataille, et le système de combat aérien futur (SCAF), avec nos partenaires choisis, avec lesquels il est parfois difficile de coopérer.
L'enjeu de cette LPM consiste à maintenir l'équilibre nécessaire entre ces trois piliers, interdépendants, pour porter notre institution. À en négliger un, quel qu'il soit, nous mettrions les autres en péril.
Mon attention se porte aussi sur deux points particuliers, que je voudrais à présent développer : la performance et la réactivité.
La performance est essentielle et voulue par les armées. Son ambition est contenue dans le plan stratégique des armées que j'ai rédigé l'an dernier. Par des efforts de subsidiarité, de déconcentration et de décentralisation, nous poursuivrons résolument, en appui de Mme la ministre, tout ce qui permet cette plus grande performance. De ce point de vue, la ministre des armées a décidé une évolution de l'architecture budgétaire, principalement sur le périmètre des dépenses d'infrastructure afin d'améliorer la performance du ministère, dans un contexte de remontée en puissance, et tout en s'inscrivant dans ma vision stratégique qui consacre la subsidiarité comme principe de l'organisation militaire.
La nouvelle architecture budgétaire renforce le principe de responsabilité des chefs d'état-major d'armée afin de leur permettre de mieux répondre à leurs missions et de mieux prioriser leurs besoins. Elle promeut une plus grande subsidiarité dans l'utilisation des crédits du budget opérationnel de programme de la politique immobilière. Elle confère ainsi aux armées une capacité d'arbitrage sur une assiette plus large, entre le fonctionnement et les investissements, par l'application de la fongibilité.
C'est ainsi que, dès 2020, 1,8 milliard d'euros sera réparti au sein de la mission Défense, selon une logique de performance, de subsidiarité et de responsabilisation plus globale.
C'est aussi dans une logique de performance que les armées sont engagées dans un processus de transformation. Je n'évoquerai pas davantage les plans qui vous ont été présentés par les trois chefs d'état-major d'armée, qu'il s'agisse des plans Au contact de l'armée de Terre, Mercator de la Marine et Plan de vol de l'armée de l'Air.
Le processus de transformation que nous portons vise à mettre en cohérence et à durcir notre organisation, afin de trouver un mode de fonctionnement respectueux de la singularité militaire et tourné vers le combattant. Je compte ainsi poursuivre les efforts renforçant la proximité entre le soutien et les forces, comme je l'ai entrepris avec les commandants des bases de défense dès ma prise de fonctions en initiant et en encourageant une transformation et une évolution du commissariat des armées.
Je veille aussi à préserver l'un des principes de la singularité militaire : le maintien des conditions de l'autonomie d'intervention et d'engagement des armées. En effet, en cas de menace pour la Nation, les armées doivent pouvoir réagir sans délais. Cela passe par des principes d'organisation qui ne sont pas ceux de l'administration civile, pas plus qu'ils ne sont les principes d'organisation des entreprises privées. Au-delà de l'instrument premier de la défense de la Nation, les armées sont – tel est leur rôle – l'instrument principal de résilience de la Nation en cas de crise grave.
Cela passe aussi par la possession de stocks de munitions importants. En effet, le niveau actuel de consommation de munitions en opération et les efforts de re-complètement des stocks ne laissent pas entrevoir de fragilités à court terme pour les engagements en cours. Toutefois, les prises de risque décidées sur les stocks de munitions dans la précédente LPM ont entraîné des fragilités qui persistent, notamment pour les missiles EXOCET et ASTER.
Pour conclure, je vous livre mes points d'attention.
Je suis vigilant sur la fin de gestion. Dans un premier temps, la mission Défense doit obtenir la levée de la réserve avant la mi-novembre, en particulier celle du programme 178 relatif à la préparation et à l'emploi des forces, qui s'élève à 241 millions. L'enjeu consiste à réaliser l'activité prévue en 2019 et à éviter un effet d'éviction sur les matériels devant être livrés. Dans un second temps, il faudra couvrir par une loi de finances rectificative, début décembre, les surcoûts nets liés aux opérations extérieures (OPEX) et missions intérieures (MISSINT), à hauteur de 411 millions. Je sais la ministre très investie sur ce sujet ; le dialogue interministériel a d'ailleurs déjà débuté. Il en va de la bonne exécution de la première annuité de la LPM 2019-2025 et de la suivante qui, autrement, en subirait les conséquences.
Nous restons également vigilants quant à la tendance haussière des budgets militaires des organisations internationales, qui se poursuit en 2020 et au-delà, en dépit des efforts déployés par la France pour la contenir. Pour 2020, concernant l'OTAN, une hausse de 2,2 % par rapport à 2019 est demandée, elle porte notre contribution à 183 millions d'euros.
Enfin, au regard de ce que je pressens de l'évolution de la conflictualité, que l'actualité récente confirme, je mesure plus que jamais à quel point cette loi de programmation militaire est pertinente et adaptée aux défis actuels. La question que j'ai soulevée dans mon propos liminaire devra être abordée au moment de l'actualisation de 2021 : il s'agit de savoir si elle n'est pas « juste » pertinente et « juste » adaptée.
L'actualisation à venir sera l'occasion d'ajuster les équilibres entre les quatre axes de la LPM à l'aune des différents bilans. Je crains que, d'ici là, la dégradation des grands équilibres géopolitiques perdure.