Intervention de Sandrine Mörch

Réunion du mercredi 22 janvier 2020 à 15h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSandrine Mörch :

Qu'on les considère comme un délice ou comme une nuisance, les bruits et les odeurs de la campagne constituent une source inépuisable de discussions : ils sont non pas anecdotiques, mais révélateurs de nos mutations sociétales.

Ces dernières années, ce partage un peu forcé de la nature a fait fleurir les complaintes et les conflits de voisinage, parfois même au-delà de nos frontières, en Angleterre, en Espagne et en Allemagne. M. le rapporteur l'a rappelé : il a été question d'empêcher les cloches de Bondons de sonner, d'assécher la mare aux grenouilles de Grignols, de faire taire le coq de l'île d'Oléron ou de désinsectiser les champs de cigales dans le sud.

Les actions en justice sont souvent intentées par des touristes, des néoruraux ou des voisins ne supportant plus l'activité d'autrui. Elles sont habituellement envisagées sur le fondement juridique des troubles anormaux de voisinage, notion uniquement jurisprudentielle.

Cette proposition de loi, présentée par Pierre Morel-À-L'Huissier – et cosignée par soixante et onze de nos collègues de tous bords – vise à définir et à protéger le patrimoine « sensoriel » des campagnes françaises, terme qui n'existe pas dans notre droit positif.

Ce texte constitue en quelque sorte à la fois un antidote aux recours en justice excessifs formés contre les bruits et les odeurs de la campagne, c'est-à-dire à l'hyper-judiciarisation de notre société, ainsi qu'un geste de soutien à l'égard des maires, chez qui vont d'abord se plaindre nombre de nos concitoyens.

Le rapporteur vit et travaille dans une de nos ruralités les plus authentiques. Je représente quant à moi le périurbain : je suis en effet une citadine venue chercher un coin de campagne en banlieue toulousaine. C'est conjointement que nous défendons le chant du coq et celui des cigales, le carillon des cloches, le croassement des grenouilles et l'odeur du fumier : autant de bruits et d'effluves qui font partie intégrante de la vie rurale, de notre littérature et de notre créativité contemporaine.

Le patrimoine immatériel des campagnes françaises, ainsi que la biodiversité en général sont menacés : préserver notre nature ne se résume pas à supprimer nos produits Tupperware et nos objets en plastique.

Habitante d'une zone périurbaine, je vois année après année s'aggraver le naufrage immobilier des campagnes proches des grandes agglomérations. La couronne de Toulouse, victime de son succès, a ainsi été défigurée par des ZAC, des ZUP et autres zones commerciales, entraînant la désolation de champs transformés en lotissements à la vitesse de l'afflux des nouveaux arrivants, si bien que lorsque je tombe, au détour d'une petite route passant à travers champs – et non à travers Auchan –, sur un troupeau de vaches qui résiste encore à l'envahisseur-lotisseur, ces odeurs animales me rassurent. Elles m'ancrent à une terre, à un pays et – qui sait ? – à une identité. Et je salue mentalement l'agriculteur résistant. Quand j'entends un coq, il ne me dérange pas : il me rend plus vivante. Quant au clocher, il m'arrime à une communauté d'habitants, à un village, à la France : un tel sentiment n'est ni catholique, ni religieux, mais culturel. Les vaches, les coqs et les cloches sont nos racines. Ils peuvent sembler appartenir au passé et relever d'un combat d'arrière-garde, ils seront pourtant bientôt, à nouveau, à l'avant-garde. On sent en effet poindre ce besoin, cette tendance et ce retour. Ces petits indices de la nature sont aujourd'hui très diversement interprétés : ils sont vus soit comme une pierre d'achoppement, soit comme une occasion d'émerveillement.

Ce travail législatif est le fruit d'un réel consensus visant à préserver notre patrimoine naturel et notre biodiversité, ainsi qu'à améliorer nos liens sociaux. Je salue encore une fois cette collaboration transpartisane qui nous a permis d'aboutir au présent texte en faveur de nos campagnes et de jeter les bases d'un meilleur vivre ensemble, ou du moins d'instaurer un dialogue entre des modes de vie qui n'ont plus rien à voir les uns avec les autres. Il rend également un hommage discret qui dit en quelque sorte : restez, résistez, nous avons besoin de vos bruits et de vos odeurs.

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