Monsieur le président, je saisis cette occasion pour signaler que j'ai fait parvenir à chaque commissaire et aux secrétariats des groupes le compte rendu de mon contrôle sur pièces et sur place effectué auprès des services de la douane en charge du droit de passeport et du droit annuel de francisation et de navigation. Vous pourrez apprécier la façon dont le droit de passeport n'est pas recouvré en France, notamment dans ce que j'appelle le « trou noir varois »…
Comme je l'avais annoncé en séance publique lors de l'examen du projet de loi de finances en nouvelle lecture, Dominique David, en sa qualité de rapporteure spéciale, et moi-même avons mené un contrôle sur place de l'Association pour le soutien du théâtre privé (ASTP), le mercredi 8 janvier, dans ses locaux.
L'ASTP est une association créée en 1964 pour gérer un fonds de soutien au théâtre privé afin d'aider la création théâtrale, la production et la diffusion de spectacles par le versement d'aides de plusieurs types.
À cette fin, elle a bénéficié en 2018 de subventions de l'État et de la Ville de Paris, pour un total de 6,8 millions d'euros, et du produit d'une taxe sur la billetterie des spectacles privés au taux de 3,5 %, s'élevant à environ 6,5 millions d'euros.
Dominique David et moi avions présenté des amendements au projet de loi de finances pour 2020 visant à supprimer cette taxe affectée à compter de 2022, pour deux raisons principales.
En premier lieu, il nous semble indispensable d'utiliser de façon très parcimonieuse les taxes affectées à des organismes chargés de mission de service public. Je ne reviendrai pas sur l'importance de limiter les contournements des principes budgétaires, afin de renforcer la portée de l'autorisation parlementaire et l'efficacité du contrôle du Parlement. J'ai déjà expliqué les raisons de cette position de principe lors de la présentation du dernier rapport d'information sur l'application des mesures fiscales, et dans le rapport sur le projet de loi de finances pour 2020. Laurent Saint-Martin l'a également fait dans son récent rapport d'information sur l'application de la LOLF.
Non seulement il est rare qu'une association bénéficie d'une taxe affectée, mais la coexistence, pour une même structure, de subventions budgétaires et d'une taxe affectée me paraît de nature à nuire à la cohérence et à la clarté des canaux de financement. Les subventions versées par la ville de Paris et par l'État sont prévues dans le cadre d'une convention triennale tripartite, censée s'achever en 2018 ; elle aurait dû être renégociée en 2019, mais ne l'a pas été. Sa prolongation a été permise par un avenant qui a conféré une base légale aux subventions perçues par l'association, sans que la question des objectifs poursuivis n'ait été de nouveau posée.
En second lieu, nous avons été frappés par le déséquilibre géographique de la distribution des aides de l'ASTP. Comme Dominique David l'a montré dans son dernier rapport spécial, il existe une disproportion entre le nombre de théâtres aidés et le nombre de théâtres redevables de la taxe. En 2018, seuls une cinquantaine de théâtres, quasi exclusivement parisiens, bénéficiaient du mécanisme de garantie de déficit de l'ASTP, alors que 143 théâtres étaient redevables de la taxe. Pour les tournées, 940 tourneurs s'acquittent de la taxe, alors que seulement 21 sont éligibles à l'aide aux tournées.
Lors de la discussion budgétaire, j'ai retiré les amendements visant à supprimer la taxe affectée en m'engageant à effectuer un contrôle sur place de l'association.
Ce contrôle s'est fait dans de très bonnes conditions et je remercie le président et l'administration de l'association pour leur coopération et l'important travail qu'ils ont réalisé, dans un délai très contraint. L'ensemble des documents que nous avons demandés ont été fournis et clairement présentés, ce qui n'est pas toujours le cas, même avec certaines administrations de l'État… J'ajoute que les dossiers d'attribution des aides que nous avons demandé à consulter sur place sur une base aléatoire étaient précis et complets. L'association peut donc se prévaloir sur ce plan d'une bonne administration.
Le contrôle a eu pour vertu de mettre l'association sous tension, ce que ses autorités de tutelle, – le ministère de la culture et la Ville de Paris – ne font vraisemblablement pas assez. C'est difficilement admissible au regard de l'importance des sommes en jeu, qui approchent 14 millions d'euros. Les dirigeants de l'association ont eux-mêmes reconnu que cet exercice était sain, dans la mesure où il contraint à la vigilance quant à la gestion et incite à proposer des pistes d'amélioration du système.
Parmi les effets très bénéfiques de ce contrôle sur pièces et sur place, notons que les comptes de l'association ont été publiés dès son annonce, mettant enfin l'ASTP en conformité avec les obligations du droit en vigueur : ses comptes n'avaient pas été publiés depuis 2010… Curieusement, la tutelle ne s'en est jamais émue alors que la publication des comptes d'une association devient obligatoire à compter d'un seuil de 153 000 euros de subventions publiques : avec 14 millions d'euros de financements publics, nous sommes très au-dessus ! La loi ne sanctionne pas l'absence de publication des comptes ; peut-être faudra-t-il y penser à l'avenir.
Les dirigeants de l'association nous ont présenté le système très complexe des aides au théâtre privé, et nous avons échangé sur plusieurs points qui nous semblaient poser problème.
S'agissant des critères d'attribution des aides, l'article 77 de la loi de finances rectificative pour 2003 prévoit que la taxe affectée à l'ASTP permet le financement d'aides destinées au soutien à la création, à la production et à la diffusion de spectacles privés. Ces aides prennent plusieurs formes, listées dans un décret du 4 février 2004.
Les deux tiers des aides en montant sont des garanties de déficit et des aides au montage ou à l'emploi, remboursables en cas d'excédent. Dans la limite de trois spectacles par saison, un théâtre peut solliciter une garantie pour que l'association comble 25 % de son déficit éventuel sur un spectacle.
Ces aides et la garantie ne bénéficient qu'aux théâtres adhérents de l'association dits « membres actifs », c'est-à-dire à une cinquantaine de théâtres quasi exclusivement parisiens. Elles soutiennent les productions des théâtres et donc la prise de risques.
Pour être « membre actif », et donc profiter de la garantie et des aides qui accompagnent ce statut, les théâtres doivent remplir des conditions précisées par le règlement intérieur de l'association – par exemple effectuer un nombre minimal de représentations. Ces critères sont aujourd'hui trop restrictifs pour que les théâtres producteurs en province puissent être membres actifs de l'association : c'est le principal problème systémique que nous avons identifié lors de notre contrôle. L'association est consciente de ce déséquilibre : elle estime que dix à quinze théâtres en province seraient privés de ces aides faute de respecter les critères d'adhésion pour devenir membre actif. L'ASTP finance également des aides à l'exploitation de spectacles en tournée pour les adhérents à cette section spécifique relative aux tournées.
Les théâtres qui ne sont pas adhérents peuvent bénéficier d'un reversement d'une fraction de la taxe qu'ils ont acquittée, pour soutenir la production ou la diffusion de nouvelles représentations de spectacles. Dans les faits, de nombreux redevables ne demandent pas le reversement au vu des faibles montants en jeu : le seuil de recouvrement de la taxe est actuellement de 80 euros.
Pour résoudre les problèmes que nous avons identifiés, je recommande la constitution rapide d'un groupe de travail associant les représentants de l'association et le ministère, en lien avec le ou la rapporteure spéciale compétent.
Il pourrait d'abord analyser les alternatives au système de taxe affectée. Il ne faut pas écarter l'hypothèse de l'affectation de la taxe au budget de l'État ou de sa suppression, et de l'augmentation à due concurrence des subventions allouées à l'association, comme nous le proposions dans les amendements au PLF 2020.
La piste de la contribution volontaire obligatoire peut aussi être envisagée. Nous avions écarté cette solution pour les centres techniques industriels (CTI), mais nous sommes ici dans un domaine totalement différent, qui n'a pas de problèmes d'import ou d'export. Nous n'avons pas eu le temps d'expertiser cette piste dans les délais qui étaient les nôtres, mais elle pourrait aussi être analysée pour trouver un système réellement assurantiel et organisé par le secteur.
Si le choix est fait de maintenir cette taxe – bien que cette solution n'ait pas du tout notre préférence –, il faudra envisager d'étendre son assiette, au-delà du prix du billet, aux frais de réservation afin que les plateformes de vente de billets contribuent davantage au modèle. La question se posera alors d'appliquer la même logique pour les spectacles redevables de la taxe affectée au Centre national de la musique (CNM), mais il n'y a pas de consensus sur ce dernier sujet.
S'agissant toujours du financement, à court terme, il est urgent de renégocier la convention tripartite ASTP-État-Ville de Paris. L'implication du ministère de la culture dans son rôle de tutelle de l'association doit pour le moins être renforcée ; une modification des statuts de l'association ou de son règlement intérieur pourrait y contribuer. Des échanges de fond plus fréquents entre l'association et le ministère de la culture sont souhaitables.
Concernant l'attribution des aides, l'association a évoqué elle-même la possibilité d'un assouplissement des critères de la garantie de déficit et des aides à l'emploi. Ces critères devraient être précisés dans le décret de 2004, ce qui diminuerait la marge d'interprétation du règlement intérieur de l'ASTP.
Le taux de reversement de la taxe pour les redevables non adhérents est de seulement 40 % pour le soutien à la production ou à la diffusion en tournée, alors qu'il est de 50 % pour le soutien aux lieux fixes. Il faut mettre fin à cette inégalité, ce dont convient l'ASTP.
Pour que ce reversement soit plus souvent sollicité, il faudrait augmenter le seuil de recouvrement de la taxe qui est actuellement de 80 euros, de façon à ce que les sommes à reverser soient plus importantes. De nombreuses petites collectivités ne demandent jamais le remboursement de cette taxe faute de disposer de l'ingénierie nécessaire, tandis que les grandes collectivités ne se privent pas de le faire. Du coup, ce sont les plus petites structures qui renoncent au bénéfice de cette aide.
Ce contrôle a été fructueux, notamment grâce à la collaboration constructive de l'ASTP. Les questions que nous avons soulevées lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2020 étaient pertinentes et elles doivent être rapidement traitées. En particulier, il est nécessaire de modifier le décret de 2004 qui renvoie trop largement, pour ne pas dire exclusivement, le soin de fixer les critères d'attribution des aides au règlement intérieur de l'association. Dans ce cas comme dans beaucoup d'autres, l'État ne doit pas démissionner de son rôle de tutelle.