Merci de votre invitation à m'exprimer devant cette commission. Je comprends que vous souhaitez aborder le sujet, important et techniquement compliqué, des primes et décotes de trésorerie à l'émission, très étroitement associé aux principes qui gouvernent la politique d'émission de l'État.
Ce phénomène a pris une certaine importance ces dernières années dans le tableau de financement de l'État que le Parlement approuve chaque année, en loi de finances initiale et en loi de règlement. Les primes et décotes à l'émission sont liées à l'évolution des taux, de plus en plus faibles ces dernières années.
Je vais commencer par quelques rappels concernant la politique d'émission de l'Agence France Trésor, importants pour comprendre les mécanismes et le phénomène des primes à l'émission.
L'existence de primes et de décotes est consubstantielle aux principes qui gouvernent la politique d'émission de l'État. Pour mettre en oeuvre le programme de financement arrêté par le Parlement – 200 milliards d'euros de titres à moyen et long terme en 2019 et 205 milliards en 2020 –, nous émettons deux fois par mois des obligations assimilables du Trésor (OAT). Ce sont des titres de référence, créés dans l'année, dont la maturité peut être fixée à une échéance de deux, cinq, dix, quinze ans, voire cinquante ans.
Le terme « assimilable » est ici essentiel. La technique de l'assimilation consiste à créer un titre dont certaines caractéristiques – le coupon d'intérêt et la date de maturité – sont fixées, et de réémettre de nouveaux titres chaque mois à partir de cette souche, afin de répondre à la demande des investisseurs au fur et à mesure que celle-ci se manifeste.
Cette technique de l'assimilation a deux avantages.
En premier lieu, elle permet de lisser dans le temps les conditions de taux auxquelles l'État se finance et d'éviter ainsi de concentrer les émissions à un moment où les taux d'intérêt seraient élevés. En répartissant tout au long de l'année les points d'entrée, le risque de financement pour l'État est réduit.
En second lieu, cette technique permet d'atteindre un important volume d'encours pour chaque souche obligataire. Nous essayons d'atteindre des encours compris entre 20 et 40 milliards d'euros pour chaque OAT nominale – dont le taux d'intérêt est fixe – et entre 10 et 25 milliards d'euros d'encours pour chaque souche de titres d'OAT indexées sur l'inflation. Ces importants volumes favorisent la liquidité de nos titres, composante essentielle d'une bonne valorisation sur les marchés.
Deux éléments entrent en ligne de compte pour valoriser les titres d'État, et donc obtenir le coût d'endettement le plus faible possible : la qualité de crédit de l'État émetteur, liée à l'ensemble des politiques économiques et de finances publiques menées, et la liquidité de sa dette. La liquidité est la caractéristique d'un actif dont le prix varie très peu lorsque des transactions à l'achat ou à la vente sont réalisées.
Cette liquidité est favorisée par la taille du marché – en l'occurrence de la souche obligataire, c'est pourquoi il est important que les souches obligataires atteignent des volumes élevés – et par la multiplicité et la diversité des intervenants à l'achat et à la vente à un instant donné.
Cette politique d'émission n'est pas propre à la France ; les principaux pays de l'OCDE font exactement comme nous.
Cette technique de l'assimilation et l'émission régulière à partir d'une même souche obligataire entraînent inévitablement l'apparition de primes et de décotes à l'émission.
Enfin, dans le but de favoriser la liquidité du marché de la dette française et de garantir une courbe des taux lisse, sans aspérité ou discontinuité, mais également de répondre à la demande spécifique des investisseurs, l'État a pris l'habitude, à partir de 2009, de proposer d'anciens titres de référence, appelés titres off the run, lors des adjudications de titres de référence créés dans l'année.
La réémission de ces anciennes souches a permis de réduire la pression à l'offre sur les titres de référence dans une période de forte croissance des besoins de financement de l'État, alors que l'État avait besoin d'émettre en dehors de ses points de référence pour alléger cette pression. Elle répond également à la demande du marché sur certains titres qui n'étaient plus réabondés, mais très bien valorisés car très recherchés.
Cette politique d'émission sur d'anciennes souches participe à la fluidification du marché de la dette en permettant aux spécialistes en valeurs du Trésor – les grandes banques qui animent le marché secondaire des titres d'État – de retrouver facilement sur le marché les titres qu'ils ont pu céder à un investisseur.
La proportion de ces anciens titres dans l'ensemble des émissions a beaucoup varié ces dernières années, elle a oscillé entre un point haut à 40,5 % en 2001 et un point bas à 17 % en 2017. L'année dernière, elle a été de 24 %.
Cette réémission de titres sur d'anciennes souches de référence, dont le coupon a été fixé selon les conditions de taux qui prévalaient il y a deux, trois, cinq ou dix ans, est un autre élément essentiel pour comprendre la nécessité des primes ou des décotes à l'émission.