Intervention de Anthony Requin

Réunion du mercredi 15 janvier 2020 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Anthony Requin, directeur général de l'Agence France Trésor :

Merci pour cette nouvelle vague de questions, tout aussi pertinentes.

En ce qui concerne le risque de boucle entre le souverain et le bancaire, nous regardons régulièrement quelle est la quantité de dette française détenue par les établissements bancaires de notre pays et nous faisons des comparaisons avec d'autres États européens. Les banques françaises sont celles qui détiennent le moins de dette de leur propre pays – la proportion est plus faible qu'en Allemagne, en Italie ou en Espagne. Je crois que seuls les Pays-Bas font un peu moins que nous. Il n'y a pas de très forte exposition des banques françaises à la dette de notre pays.

Rappelons également que les crises récentes ont surtout été la conséquence d'une politique de crédit mal ciblée et de risques immobiliers mal maîtrisés : qu'il s'agisse de l'Islande, de l'Irlande ou de l'Espagne, ce n'est pas le souverain qui a mis en danger le secteur bancaire. C'est un peu plus tangent en Grèce où l'origine de la crise est plutôt à rechercher dans la dégradation des finances de l'État, mais ce n'est pas ce qu'on a observé en général dans la zone euro.

Je tiens par ailleurs à insister sur le fait que les banques sont des investisseurs capables d'aller à l'encontre du marché à certains moments et de stabiliser la situation. Sans les banques espagnoles en 2012 et, probablement, sans les banques italiennes il y a un an ou deux, la spéculation qui s'est déchaînée à propos de la dette de ces deux pays aurait pu faire beaucoup plus mal.

Il faut appréhender dans sa globalité la question de la boucle « souverain-bancaire », que nous souhaitons naturellement limiter. C'est un sujet très complexe qui fait l'objet de beaucoup de discussions au niveau européen dans le cadre de l'accomplissement de l'Union bancaire et de l'Union des marchés des capitaux.

Je ne m'aventurerai pas davantage sur ce sujet. Ce qui me paraît souhaitable est que l'Europe ne se tire pas dans une balle dans le pied en adoptant des règles que d'autres grandes banques, japonaises, américaines ou britanniques, n'observeraient pas : il n'y a pas de raison d'interdire aux banques de détenir des actifs du pays où elles opèrent, où la totalité de leurs risques est située. Je ne suis pas sûr qu'interdire à la Société Générale d'acheter de la dette française insensibiliserait beaucoup cet établissement à une crise grave qui interviendrait en France, compte tenu de son exposition à travers le crédit aux particuliers et aux entreprises.

La baisse des taux est-elle porteuse de risques pour le système financier ? J'ai envie de vous renvoyer à la conférence que le gouverneur de la Banque de France a récemment donnée à l'université Dauphine, au cours de laquelle ce sujet a été très bien traité. À court terme, il ne faut pas diminuer le soutien que la baisse des taux orchestrée par la BCE a apporté en ce qui concerne la croissance économique, la croissance des volumes de crédit, mais aussi la diminution du chômage, des risques, du coût du crédit et de l'importance des prêts non performants dans l'ensemble des bilans des banques. Une chose est certaine : une situation de taux bas qui se prolongerait pourrait mettre sous tension le secteur financier – pas seulement les banques mais aussi les assureurs et les fonds de pension – et susciter un besoin de changer de modèle d'affaires. Quand les taux à dix ans français sont proches de zéro, peut-être faut-il songer à commercialiser d'autres types de produits d'assurance vie, plus orientés vers les unités de compte que vers les contrats en euros ; sinon, cela devient très difficile. Les banques doivent aussi revoir leur modèle d'affaires, diminuer les coûts de structure et envisager des fusions transfrontalières pour faire face à leur environnement, même si l'on peut espérer revenir dans quelques années à une normalisation monétaire grâce à une courbe des taux à nouveau un peu plus pentue qui permettra au secteur bancaire de faire face à ses charges.

Vous m'avez aussi interrogé sur les scénarios de taux. Nous produisons effectivement des analyses de sensibilité – je vous renvoie au bleu budgétaire du programme 117, Charge de la dette et trésorerie de l'État. Nous faisons des simulations en comptabilité maastrichtienne de l'impact d'une augmentation de cent points de base des taux au 1er janvier. L'impact serait à peu près de 2 milliards d'euros de charges supplémentaires la première année, et il augmenterait ensuite d'environ 2 milliards d'euros par an. Pour cinquante points de base, le « tarif » serait de l'ordre de 1 milliard d'euros.

S'agissant de la fragmentation de la dette française et des OAT thématiques ou sectorielles, je ne suis pas loin de partager votre souci. Cela étant, il ne faut pas abuser des bonnes choses… Nous avons réussi, dans le cadre de l'OAT verte, à traiter les contraintes liées à la complexité de l'émission et à la masse limitée des titres, sans pour autant enfreindre nos principes qui consistent à répondre à la demande à chaque fois qu'elle se manifeste. Nous avons résolu le risque apparent de contradiction en choisissant une maturité pour laquelle nous avons estimé que la demande naturelle pourrait être voisine de la taille des dépenses vertes éligibles. On peut dire que nous n'avons pas visé trop loin de la cible. Vous avez néanmoins raison : si nous devions multiplier ce type de pratique, sous la forme de bonds sectoriels de la défense nationale et de l'éducation, de social bonds ou de bonds du développement, on se retrouverait avec une dette totalement fragmentée, des encours excessivement limités, une courbe beaucoup plus déstructurée, moins lisse et moins liquide. Ce n'est pas une voie dans laquelle nous souhaitons nécessairement nous engager.

Comment favoriser les émissions d'OAT vertes ? Je vous renvoie naturellement aux discussions sur les politiques publiques environnementales, à la question du degré de soutien que l'État souhaite apporter dans ce domaine et à tous les travaux et aux politiques financières visant à bâtir un écosystème qui facilite les émissions par des collectivités locales et des entreprises.

La décision de l'État de s'engager dans l'émission de titres souverains verts avait vraiment pour objet de contribuer à bâtir cet écosystème. Plus vous aurez des titres souverains verts ayant une bonne qualité de crédit et une bonne liquidité, plus vous encouragerez les gestionnaires d'actifs à diversifier les signatures en prenant à la fois des titres souverains et des titres corporate ou de collectivités, même si ces titres sont peut-être un peu plus risqués et un peu moins liquides. Le titre souverain vert offre le confort de pouvoir aller vers d'autres signatures.

L'article 173 de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte est aussi très important pour engager toute la gestion d'actifs en France dans cette voie. Les ONG font pression sur les grands gestionnaires d'actifs et les entreprises. Tout cet ensemble favorise l'écosystème dans lequel nous nous insérons.

Vous avez évoqué la difficulté pour les collectivités locales d'émettre des titres verts. Se lancer dans l'émission de tels titres n'est pas une partie de plaisir : cela demande d'assurer un suivi important, de bâtir un système de reporting efficient auquel les investisseurs peuvent croire et d'être capable d'évaluer des politiques publiques. Ce n'est donc pas donné à tout le monde, et l'idée de pratiquer des émissions groupées est probablement bonne. Il existe d'ailleurs des structures pour les collectivités qui souhaiteraient le faire : l'Agence France Locale pourrait également concevoir ce type de produits.

La question de la détention de la dette française par des non-résidents a été évoquée à plusieurs reprises. Du fait des politiques d'achat de titres publics menées par la BCE, la quotité de titres entre les mains de non-résidents n'est plus de deux tiers mais de 50 %, dont la moitié en zone euro ; autrement dit, seulement 25 % des titres français sont détenus hors zone euro. Par ailleurs, détenir un titre de dette publique, ce n'est pas comme détenir une fraction du capital d'une entreprise. La possession d'actions donne droit à des pouvoirs : on peut voter à l'assemblée générale, orienter la politique de l'entreprise, voire choisir ses dirigeants. Quand on détient une partie de la dette française, on est juste exposé au risque de ne pas être remboursé à la date prévue… Il n'y a pas de dépendance financière, d'autant que notre base d'investisseurs est très variée, sur le plan sociologique comme sur le plan géographique.

Au-delà de la qualité de résident ou de non-résident, je vous invite à raisonner un peu plus « granulairement », par catégorie d'investisseurs. Grâce aux statistiques sur les flux du marché secondaire que nous recevons de nos spécialistes en valeurs du Trésor, nous savons qu'à peu près 50 % des titres que nous vendons, hors PSPP, sont détenus depuis quelques années par des banques centrales de l'ensemble de la planète. Elles décident d'avoir une partie de leurs réserves de change en euros, parce qu'elles ne veulent pas tout concentrer sur le dollar. Qui choisissent-elles au sein de la zone euro ? Des pays qui ont une signature de bonne qualité et une bonne liquidité. Les banques centrales sont à peu près insensibles au niveau des taux : elles sont surtout attirées par la qualité du crédit et la liquidité. La France a une place de choix parmi les pays européens ayant une bonne liquidité et un bon risque de crédit : nous sommes perçus comme moins risqués que l'Italie ou l'Espagne et nous offrons un supplément de rendement d'à peu près vingt-cinq points de base, à dix ans, par rapport à l'Allemagne. Nous sommes donc une zone privilégiée pour les banques centrales du monde entier, qui souhaitent avoir des expositions en euros dans le cadre de l'internationalisation de cette monnaie.

Je ne pense pas que nous nous trouvions particulièrement dans une situation risquée avec ce type d'acteurs. Je ne ferais pas la même réponse si je m'apercevais que 50 % de la dette française était détenue par des hedge funds non-résidents. Ces acteurs n'ont jamais des positions très longues en matière de dette : ils peuvent à tout moment, à la moindre secousse, revendre sur le marché en provoquant potentiellement de fortes variations de taux. Mais cela ne vaut pas pour la dette française à l'heure actuelle : elle est très diversifiée géographiquement et par type de détenteurs. Nous voyons régulièrement ces derniers, même si nous ne sommes pas en mesure de savoir, compte tenu des règles du marché de la dette, qui détient quelle quotité – les États-Unis, l'Allemagne, le Royaume-Uni et le Japon ne le savent pas davantage. Nous savons néanmoins qui achète la dette, et nous rencontrons régulièrement ses détenteurs dans des roadshows afin de vanter les mérites de notre beau pays, ses réformes et ses atouts économiques, et pour conforter le sentiment de sécurité lié à la détention de la dette française.

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