Intervention de Dominique Libault

Réunion du mardi 14 janvier 2020 à 17h30
Commission des affaires sociales

Dominique Libault, président du Haut Conseil du financement de la protection sociale :

Permettez-moi également, madame la présidente, de joindre mes voeux aux vôtres, en souhaitant notamment que vous fassiez oeuvre utile pour les personnes âgées, enjeu sociétal le plus important à mes yeux. Les recommandations de notre rapport sur les LFSS découlent d'un travail collectif avec des parlementaires, des partenaires sociaux et des experts. Je le précise car il n'est pas aisé d'établir un rapport qui aboutisse à des recommandations presque unanimes, comme c'est le cas présentement. Ce n'est donc pas simplement en mon nom personnel que je m'exprime.

Conformément à la lettre de mission du Premier ministre, notre travail a consisté à réaliser un bilan et à formuler des préconisations sur la LFSS.

Notre bilan fait état de plusieurs éléments tout à fait favorables. Notre première recommandation est d'ailleurs de maintenir cet objet relativement neuf dans l'histoire parlementaire de notre pays que sont les LFSS, introduites par le « plan Juppé » en 1995. Dès lors que le système de sécurité sociale est devenu de plus en plus universel, son pilotage ne pouvait plus être réservé aux seuls partenaires sociaux. D'une part, il venait s'inscrire dans une logique de solidarité nationale qui interpellait les représentants de la Nation. D'autre part, dès lors que les montants financiers dépassent le budget de l'État et entretiennent de fortes interactions avec d'autres politiques publiques – sur l'emploi, par exemple –, ces aspects ne pouvaient pas être ignorés du Parlement. C'est pourquoi il a été décidé de consacrer un moment particulier à la LFSS. Certains en viennent même à envisager sa fusion avec la loi de finances, tandis que le HCFiPS estime que le sujet de la sécurité sociale doit être identifié en tant que tel dans le pilotage des ressources et des dépenses, et qu'il importe d'affirmer sa spécificité. S'agissant par exemple du pilotage financier, les risques de la sécurité sociale demandent à être appréhendés de façon particulière, souvent intergénérationnelle, c'est-à-dire dans un temps long. Le pilotage de ces risques ne saurait être envisagé dans une logique annuelle. Si nous voulons que nos concitoyens aient confiance dans ce système, le principe de transparence et de visibilité des ressources affectées à la sécurité sociale est essentiel.

Notre regard sur le bilan du pilotage financier est globalement positif : la loi de financement a indéniablement permis de conforter des éléments de pilotage, avec non seulement une analyse annuelle mais aussi des objectifs de dépenses et de recettes dont le HCFiPS note qu'ils ont été dans l'ensemble respectés, mais aussi des objectifs de dépenses et de recettes qui ont été dans l'ensemble respectés – ce qui n'a pas toujours été le cas, puisque l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) , à ses débuts, était régulièrement dépassé.

Je précise que ces objectifs ne sont pas des dépenses limitatives, puisqu'ils portent sur les droits objectifs des citoyens, auxquels tout un chacun peut prétendre en cas de maladie – c'est ce que Jaurès appelait le « droit certain ». Un des enjeux de la régulation de la dépense est donc de concilier le respect des droits objectifs de chacun avec le respect d'une enveloppe financière, ce qui n'est pas évident.

En dépit de ces aspects positifs, le bilan des LFSS appelle de notre part trois réserves.

Notre première réserve porte sur l'aspect démocratique. Les parlementaires observent que les délais d'examen entre le dépôt en Conseil des ministres et le vote en première lecture à l'Assemblée nationale sont très courts – ce qui est moins le cas pour le Sénat. Les partenaires sociaux, qui sont amenés à émettre des avis préalables sur les textes, sont également saisis dans des délais très courts – le délai d'urgence est au maximum d'une semaine – qui ne leur laissent pas le temps d'émettre un avis « sérieux ». Ces délais très courts génèrent des frustrations, qui ont été exprimées pendant les auditions.

Notre deuxième réserve porte sur le fait que la discussion est excessivement financière. Ce moment démocratique permet-il réellement de traiter les sujets de fond des politiques sociales, et de s'interroger sur l'adéquation entre les montants et les objectifs retenus en matière de retraite, d'assurance maladie ou de famille ? Notre réponse à cette question est nuancée. Le HCFiPS soulève d'ailleurs la question de l'évaluation des politiques publiques, et celle du rôle que le Parlement doit jouer dans cette évaluation.

Notre troisième réserve porte sur le pilotage financier. Celui-ci a progressé mais nombre de risques persistent, et notamment le risque de revenir à des situations de déficit et de dette ; l'année 2020 le montre. Le pilotage actuel ne permet, dans le contexte d'un cycle économique favorable, que d'atteindre l'équilibre. Cela signifie qu'en cas de dégradation de la conjoncture, nous pourrions rebasculer à la moindre perte de recettes dans des déficits relativement élevés, et qu'il nous faudrait longtemps pour nous en relever. Étant donné les masses financières en jeu – 500 milliards d'euros pour la LFSS –, un déficit de 10 à 15 milliards d'euros peut survenir très vite. Je n'en parle pas seulement d'expérience, mais également parce que nous avons procédé à des simulations. Nous savons qu'il serait difficile de réduire rapidement les dépenses sociales – caractérisées par leur inertie – en cas de détérioration des recettes. Une telle mesure serait du reste peu judicieuse sur le plan économique. Prenons donc garde à ne pas retomber dans un cycle de nouvelles dettes.

Retenons enfin que le périmètre des LFSS, qui est certes important, n'englobe pas toute la protection sociale. Il englobe la vieillesse, les régimes de base, les accidents du travail, la famille et l'assurance maladie, mais il n'englobe ni les régimes complémentaires de retraite, ni le chômage, ni la dépendance. La réflexion sur ce qui doit être le champ pertinent de la LFSS entre en résonance avec le projet de loi organique relatif au système universel de retraite, qui étend ce champ aux régimes de retraite obligatoire.

Un élément très important est intervenu dans le calendrier, à savoir le semestre européen – qui n'existait pas lors de la création des LFSS en 1995. Nous proposons d'introduire une concertation préalable avec les partenaires sociaux sur les objectifs transmis par la France à Bruxelles, ainsi qu'avec les collectivités locales. Nous recommandons de plus que la concertation avec les partenaires sociaux au moment de la loi de financement n'ait plus lieu avant le conseil des ministres mais après. Actuellement, vu les délais, le Gouvernement ne peut pas tenir compte de l'avis des caisses. Nous recommandons de donner davantage de délai aux caisses et de faire en sorte que leur avis soit transmis non plus au Gouvernement, mais au Parlement. Nous proposons également d'augmenter d'une semaine le délai entre le Conseil des ministres et la première lecture.

S'agissant du rôle du Parlement en matière d'évaluation des politiques publiques, nous recommandons le recours aux annexes de la LFSS intitulées « programmes de qualité et d'efficience » (PQE), qui sont peu utilisées malgré leur richesse. En étant disponibles au moment du printemps de l'évaluation, ces PQE auraient un effet d'aiguillon. En effet, le Parlement doit pouvoir être davantage associé à la définition des objectifs des politiques de retraite, d'assurance maladie, de famille, etc.

Il convient de travailler à la bonne compréhension citoyenne de la LFSS, qui comporte une obligation de transparence quant à l'affectation des prélèvements sociaux, et je ne suis pas certain que les outils les plus simples aient été mis à la disposition des citoyens pour leur permettre une bonne compréhension de cet objet, qui reste pour eux assez nébuleux.

Nous proposons d'étendre le périmètre des lois de financement aux trois domaines évoqués plus tôt : les retraites complémentaires, le chômage et la perte d'autonomie. S'agissant de ce dernier domaine, nous reprenons les propositions du rapport « Grand âge et autonomie ». Nous souhaitons que ce risque social soit considéré comme un risque à part entière et qu'il fasse l'objet d'un débat démocratique annuel au Parlement. Le volet sur les retraites est évidemment lié à la réforme en cours, et se retrouve dans le projet de loi organique. Le sujet de l'assurance chômage est certainement le plus délicat. Rappelons que les écrits des auteurs des ordonnances de 1945 – je pense à Ambroise Croizat, Ferdinand Buisson ou Pierre Laroque – placent tous le chômage dans le périmètre de la sécurité sociale, censée à leurs yeux assurer l'ensemble des revenus de remplacement face aux risques de la vie. Il nous semble donc souhaitable d'étendre le périmètre de la LFSS afin de permettre au Parlement d'appréhender le champ de la sécurité sociale dans toute sa cohérence.

Il apparaît que les éléments de pilotage financier dont nous disposons ne permettent pas de nous prémunir totalement d'un retour de la dette. Ce souci, tout à fait d'actualité, se retrouvera dans le projet de loi organique relatif au système universel de retraite. Nous préconisons de renforcer la vision pluriannuelle et de fixer un objectif d'équilibre pluriannuel de la LFSS – qui vaudrait naturellement pour tous les champs et tous les objectifs de la sécurité sociale.

L'une de nos propositions est de créer un fonds de lissage. L'idée de dégager des excédents ne suscite guère d'appétence, par crainte que ceux-ci ne mènent à des dépenses supplémentaires, ce qui serait contraire aux objectifs globaux de la dépense publique en France. Le HCFiPS entend cet argument, mais il en irait autrement si ces excédents étaient mis en réserve – ce que nous préconisons – pour être utilisés dans des périodes plus difficiles. Pour beaucoup de membres du HCFiPS, et notamment les partenaires sociaux, ce choix serait cohérent avec la nécessité de préserver les ressources du système. La contrepartie de cette mise en réserve, pour les partenaires sociaux, si l'on souhaite atteindre l'équilibre et éviter les excédents, serait la non-compensation partielle des exonérations de sécurité sociale – soit un retour à la philosophie de la « loi Veil ».

Le HCFiPS recommande également que l'aspect pluriannuel des lois de financement soit renforcé notamment en ce qui concerne la construction de l'ONDAM, dont la vision est aujourd'hui trop annuelle. Les évolutions récentes engagées dans le secteur des hôpitaux vont d'ailleurs dans le même sens. En outre, le respect de la règle pluriannuelle suppose un assouplissement des dispositions organiques relatives à la pluriannualité. Le cadre de l'annualité budgétaire reste encore très prégnant, alors que la dépense sociale est par nature très différente de la dépense d'État. Pour que le pilotage soit efficace et cohérent avec les objectifs des politiques publiques, il doit s'incarner dans une vision de long terme.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.