Nous sommes réunis pour examiner une proposition de loi organique qui touche au coeur les Calédoniens, puisqu'elle les concerne directement et s'inscrit dans un contexte revêtant une certaine acuité : il s'agit de décider si la Nouvelle-Calédonie sort ou non de la République française.
Cette proposition de loi organique est la déclinaison d'un processus engagé il y a plus de trente ans par les accords de Matignon et de Nouméa, qui a conduit notre collectivité à s'inscrire dans un mouvement d'émancipation et de décolonisation au sein de la République. Ce processus a abouti à la tenue d'un premier référendum d'autodétermination le 4 novembre 2018, qui sera suivi par un second référendum le 6 septembre 2020.
Une liste référendaire a dû être constituée en vue de la tenue de ces référendums. Elle a fait l'objet de deux lois qui ont été examinées et adoptées par notre assemblée : la loi organique du 5 août 2015 relative à la consultation sur l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, et la loi organique du 19 avril 2018 relative à l'organisation de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie. La présente proposition de loi organique vise à modifier plus particulièrement cette dernière.
Si une proposition de loi organique a été présentée et adoptée le 19 avril 2018, c'est parce que nous étions confrontés à un problème politique majeur : une partie des indépendantistes, l'Union calédonienne, considérait que 20 000 Kanaks n'étaient pas inscrits sur la liste électorale générale, et qu'ils ne le seraient donc pas sur la liste électorale référendaire. Dès lors, estimaient-ils, la sincérité et la légitimité du résultat de la consultation d'autodétermination étaient susceptibles d'être remises en cause, et le résultat lui-même était susceptible d'être contesté.
Voilà pourquoi le comité des signataires, en deux étapes – le 7 novembre 2016, puis le 2 novembre 2017 – , a imaginé un dispositif dédié non pas uniquement aux Calédoniens d'origine kanak, ce qui aurait été inconstitutionnel, mais à tous les natifs du pays. Quiconque est natif de Nouvelle-Calédonie est ainsi inscrit d'office sur la liste électorale référendaire, les Calédoniens de droit commun devant en sus justifier d'une durée de résidence de trois ans. Ce dispositif a permis l'inscription de 11 000 Calédoniens – dont 7 000 d'origine kanak et 4 000 de droit commun – sur la liste électorale référendaire. Le résultat du référendum a été reconnu aux plans local, national, régional et international, élément appréciable compte tenu de l'histoire douloureuse de notre pays.
Toutefois, lorsque le projet de loi a été soumis au congrès de la Nouvelle-Calédonie, avant son adoption par le Parlement, le congrès a quelque peu corrigé le consensus qui était né du comité des signataires en 2017. Il est malheureusement fréquent que l'Union calédonienne, quand elle trouve des consensus à Paris, se fasse tancer par sa base dès son retour à Nouméa. C'est ainsi que devant le congrès, l'Union calédonienne a affirmé que l'accord politique qu'elle avait formulé ne tenait plus vraiment.
En vue de cette toute première consultation d'autodétermination, l'ensemble des formations non indépendantistes souhaitait trouver les équilibres nécessaires à une reconnaissance unanime du résultat. À l'issue de vingt-six heures de débat, nous avons réussi à trouver un point d'équilibre avec l'Union calédonienne. Nous sommes convenus que l'inscription d'office sur la liste référendaire serait prévue pour tout un chacun lors de la première consultation du 4 novembre 2018, mais que pour la seconde consultation, la possibilité d'une inscription d'office des natifs de droit commun serait étudiée ultérieurement.
À l'occasion du débat qui s'est tenu au congrès – dont je suis membre – , j'ai même affirmé qu'indépendamment du point d'équilibre que nous avions trouvé à ce moment précis quant à l'inscription d'office des natifs de droit commun pour la consultation de 2018, une loi organique ultérieure pourrait donner un caractère glissant à ce dispositif. En effet, la tenue de la seconde consultation n'était pas certaine – certains indépendantistes jugeant même inutile de prévoir un dispositif couvrant plusieurs consultations, puisque le pays basculerait en Kanaky le 4 novembre 2018…
La première consultation s'est bien déroulée, après quoi un deuxième référendum a été demandé par les formations indépendantistes et par certaines formations non indépendantistes – dès lors, son organisation est de droit. Contrairement à ce que j'ai pu lire ou entendre, le comité des signataires qui s'est réuni le 10 octobre 2019 n'est absolument pas parvenu à un consensus. Au contraire, les indépendantistes et les non-indépendantistes sont entrés dans une opposition totale et frontale, les non-indépendantistes demandant unanimement le rétablissement du dispositif d'inscription d'office des natifs de droit commun sur la liste référendaire.