J'avais insisté en commission des lois la semaine passée sur un préalable important à l'examen de ce texte. Avant d'en venir au fond, je voudrais le rappeler, car il est notre fil conducteur chaque fois que nous sommes amenés à évoquer les sujets calédoniens : c'est la recherche du consensus par le dialogue. La recherche du consensus est la base fondamentale d'avancement de l'accord de Nouméa. Toutes les parties prenantes à la construction de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, nous compris bien sûr, ont la responsabilité historique d'accompagner le processus qui s'est engagé depuis 1988.
Chacun a en tête, bien sûr, l'histoire de la Nouvelle-Calédonie. Chacun sait combien celle-ci aime interroger notre droit. Elle le questionne à nouveau dans la perspective du deuxième référendum : faut-il, par analogie avec la consultation du 4 novembre 2018, dupliquer l'inscription d'office sur la liste électorale spéciale, des électeurs nés sur le territoire et qui y demeurent de manière continue depuis au moins trois ans ?
Cette question n'est pas celle, à proprement parler, du corps électoral mais celle des modalités de l'inscription sur la liste spéciale, en l'occurrence l'inscription d'office. La nuance est de taille et il ne faudrait pas procéder par raccourci, comme le font certains, en affirmant que nous serions amenés à revenir sur la liste même des personnes qui bénéficient du droit de vote lors du scrutin : les Calédoniens sont libres, évidemment, de s'inscrire ou de ne pas s'inscrire. La question est de savoir si la procédure d'inscription d'office doit ou non se renouveler.
La réponse de notre groupe est négative : les conditions politiques, juridiques, pratiques, ne sont pas réunies aujourd'hui pour justifier de modifier la loi organique. En effet, le XVIe comité des signataires de 2017 avait bien acté le principe de l'inscription d'office. Le relevé de conclusions indique même que cette formulation constitue un accord politique pour les partenaires et implique de modifier la loi organique.
L'avis rendu à l'unanimité, peu après, par le congrès de Nouvelle-Calédonie, précisait que la procédure d'inscription d'office devait nécessairement revêtir un caractère exceptionnel en 2018 et uniquement en 2018.
Tenant compte de ce consensus, le Gouvernement avait introduit un nouvel article 218-3 au projet de loi organique, pour marquer l'absence d'automaticité de l'inscription d'office.
Dans le même esprit de concorde, à l'occasion de l'examen parlementaire du texte, le projet de loi organique a été voté par les deux chambres à l'unanimité. Nous étions nombreux ici à prendre la parole : le rapporteur, M. Philippe Gomès, et d'autres orateurs de tous les groupes ont salué avec force le consensus trouvé et sa traduction.
Lors du retour d'expérience sur le premier référendum, la question de l'inscription d'office pour les référendums à venir n'a jamais été évoquée ; elle a même été exclue au profit d'améliorations réglementaires et techniques. Enfin, et c'est un épisode important, le dernier comité des signataires, réuni en octobre 2019, ne s'est pas accordé sur la question.
Vous nous proposez aujourd'hui, monsieur le rapporteur, d'aller à contre-courant des événements que je viens d'exposer. Nous estimons au contraire qu'il faut prendre acte de la différence majeure et manifeste qui existe entre les forces calédoniennes. Pour respecter la méthode indispensable à la construction juridique par la loi organique, celle du consensus, il aurait fallu que le comité des signataires défasse ce qu'il avait fait. C'est un élément déterminant de la légitimité du scrutin.
À l'absence d'accord politique s'ajoute l'absence d'argument juridique. J'entends dire que la non-reconduction de l'inscription d'office constituerait une rupture d'égalité entre les électeurs de statut civil coutumier et les électeurs de statut civil de droit commun. Je constate au contraire que les plus hautes juridictions – le Conseil d'État puis le Conseil constitutionnel, tous deux saisis du texte – , ont statué que l'article 2, en se cantonnant au premier référendum, ne contredisait pas le principe d'égalité devant la loi. C'est la liberté du législateur organique de le décider.
En effet, comme je l'ai rappelé, ce n'est pas le corps électoral qui est en cause, ni le droit de vote, mais la procédure par laquelle l'inscription peut être facilitée. Aujourd'hui, je le rappelle, tous ceux qui sont nés en Nouvelle-Calédonie et qui y résident depuis plus de trois ans sont bien présumés électeurs pour les prochaines consultations, comme en dispose la loi organique. En cela, la légitimité du scrutin n'est pas atteinte, d'autant que la volonté de l'État, rappelée par le Premier ministre en clôture du XIXe comité, est que tous les électeurs soient identifiés et contactés personnellement pour être inscrits.
Le haut-commissaire s'est engagé à la fin de l'année 2019 dans un grand plan d'accompagnement et d'encouragement à l'inscription. Ce travail important a été mené sur le terrain et tous les groupes politiques en ont été informés. M. le rapporteur a annoncé que 5 000 personnes étaient potentiellement concernées, ce qui ne correspond pas à la réalité – je ne reviendrai pas sur les chiffres donnés par Mme la ministre.
Une dernière chose n'a pas été dite : le risque est là, si la proposition de loi organique devait être adoptée, que la date du référendum prévu le 6 septembre prochain ne soit pas respectée, compte tenu des aléas du calendrier parlementaire auxquels s'ajoute la saisine du Conseil constitutionnel et la période de révision pour chacune des listes. Ce serait source de tensions et de discorde, ce que personne ne souhaite.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas la proposition de loi organique.