La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise à lutter contre la déshérence des contrats de retraite supplémentaire anciens – contrats dont les encours n'ont pas été liquidés par le bénéficiaire.
Treize milliards d'euros : c'est le total des sommes qui n'ont pas été remises en 2018 à leurs bénéficiaires légitimes par les assureurs privés. Ces derniers ne se fatiguent pas pour rendre l'argent aux assurés dont ils perdent la trace. C'est la preuve qu'il faut toujours se méfier et encadrer le recours aux assurances.
Votre proposition de loi, chers collègues, est plutôt juste – raison pour laquelle je ne m'y opposerai pas : les assurés doivent pouvoir récupérer leur argent qui dort dans les caisses des assureurs privés. Elle est surtout, à notre grand malheur, terriblement logique. Vous dites, collègues du groupe UDI-Agir, dans l'exposé des motifs du texte : « D'autre part, de plus en plus de salariés ont recours à ce système de capitalisation afin d'augmenter la rente de leur retraite. » Eh oui ! C'est écrit noir sur blanc dans la réforme scélérate des retraites que nous inflige le Gouvernement. Je cite l'exposé des motifs de l'article 65 du projet de loi : « Le secteur de l'assurance est appelé à se mobiliser, afin que le recours à ces véhicules [permettant désormais d'assurer tout type de plan d'épargne retraite] se généralise ». Le Gouvernement explique même que les nouvelles défiscalisations prévues dans la loi PACTE devraient faciliter cette généralisation.
Or le Premier ministre déclarait le 11 décembre que ce serait toujours un système par répartition. Alors je le dis au Gouvernement droit dans les yeux : vous mentez. Vous mentez, car ce qui est écrit dans votre projet de loi est absolument contraire à toutes vos déclarations en décembre. Vous mentez, parce que vous préparez la privatisation de notre système de retraites en trois étapes simples avant la privatisation totale.
Première étape : les retraites, qui appartenaient hier aux Français, vont passer dans les mains de l'État, dans vos mains. Les Français étaient hier solidaires entre eux, à travers un système de retraites par répartition géré par leurs représentants sociaux ; désormais, vous allez faire voter tous les ans à l'Assemblée la valeur du point acquis, le tout encadré par une nouvelle règle d'or. Nos retraites seront donc une variable d'ajustement budgétaire comme les autres. Vous pourrez vous servir comme au Flunch !
Deuxième étape : vous appauvrissez les Français en baissant leurs pensions de retraite, pour les forcer à aller vers des complémentaires privées. Ce brigandage est d'ailleurs public, reconnu : une publicité de l'assureur AXA affirmait par exemple récemment que les retraites allaient baisser et qu'il faudrait donc souscrire à des plans d'épargne retraite privés pour compenser ! Vous voyez, ils ne se cachent même pas.
Troisième étape : vous ouvrez les premières vannes vers le privé en organisant la fuite vers ce secteur des plus hauts salaires du pays. À partir de 10 000 euros par mois, on ne cotisera plus qu'à hauteur de 2,8 %. Cette mesure, madame la secrétaire d'État, va coûter 72 milliards d'euros à notre système de retraites entre 2025 et 2040, soit plus de cinq fois le montant du soi-disant déficit qui provoquerait la mort de notre système actuel. Ce sont les fameux coûts de transition que vous admettez, mais dont nous, parlementaires, n'aurons même pas le droit de connaître le montant avant de légiférer.
Je sais pourquoi vous voulez précipiter les Français dans le gouffre des retraites par capitalisation : les assureurs privés murmurent à vos oreilles complices qu'il serait plus rentable pour les Français de financiariser leurs retraites. Vous êtes lobotomisés par BlackRock, Natixis et AXA. Mais, désolé de vous l'apprendre, tout montre que le privé est toujours plus cher. Car dans un système de retraites privé, on paie pour des choses inutiles : on paie pour la publicité, car les assureurs se bouffent entre eux ; on paie les salaires indécents des grands patrons ; on paie surtout les dividendes des actionnaires. On paie, on paie, on paie… En échange de quoi ? D'un service nombriliste qui vise à se faire de l'argent sur votre dos, et non à vous protéger. C'est la différence entre un citoyen et un consommateur. Vous rêveriez au fond que les Français soient comme vous : des petits soldats aveugles du capitalisme financiarisé, qui privatisent jusqu'à leur propre avenir, leur propre retraite.
Ce que vous faites est dangereux pour les Français car placer les retraites dans les gants d'acier du secteur financier, c'est prendre le risque que tout s'envole en fumée à la prochaine crise financière. L'histoire nous l'a appris, mais avez-vous appris l'histoire ? Rappelez-vous le krach boursier de 2008 qui écrase les retraites des Américains : plus de 50 millions d'entre eux perdent des années d'économies. Au Chili, ce n'est guère mieux. Est-ce cela qui vous inspire ? Vous marchez à contresens de l'histoire. Car le futur n'est pas dans la financiarisation de toute notre existence, mais dans la solidarité et la sécurité de nos parcours de vie ! D'ailleurs c'est en grande partie le système de la solidarité à la française qui a évité à la consommation populaire de sombrer entre 2009 et 2012, et à la France d'entrer en récession.
Vous n'éprouvez aucun orgueil, aucune fierté pour notre système de retraites : « des Smarties », avez-vous même osé, madame la secrétaire d'État ! C'est pourtant l'un des plus performants au monde, qui crée le moins de retraités pauvres. Moi, je suis fier de notre système de retraites. Je suis fier de ce qu'ont fait les salariés de ce pays. Je suis fier que les grévistes défendent les retraites de nos enfants. Craignez qu'un jour nous n'arrivions au pouvoir car si par malheur votre projet de loi sur les retraites passait – ce dont je doute – , quand le quinquennat Macron finira dans les poubelles de l'histoire, nous nous chargerons personnellement d'y envoyer votre loi.