Ce soir, nous débattons du financement des retraites. Il s'agit en effet d'un des leitmotivs du projet de loi. Quand ce n'est pas l'universalité, qui a d'ailleurs pris un sérieux coup dans l'aile depuis quelque temps, car le Conseil d'État s'est chargé de battre en brèche cet argument, quand ce n'est pas le slogan « 1 euro cotisé ouvrira les mêmes droits », quand ce n'est pas l'argument qu'il faut travailler plus longtemps parce qu'on vit plus longtemps, quand ce n'est pas non plus le programme d'Emmanuel Macron – car rappelons tout de même que dans ce programme on ne touchait ni à l'âge de départ à la retraite, ni au niveau des pensions, deux points que le projet de loi se charge précisément de réaliser ; quand ce n'est pas tout cela, quand tous ces arguments ne fonctionnent plus, l'argument d'autorité est celui du problème de financement des retraites.
Alors, en parlementaires sérieux que nous sommes, nous avons examiné ce prétendu problème de financement des retraites.
Le COR, évoque un déficit potentiel – j'insiste sur ce terme – de 8 à 17 milliards d'euros d'ici à 2025. Tout d'abord, interrogeons-nous sur la provenance de ce déficit, qui ne tombe pas du ciel. D'où vient le déficit potentiel prévu d'ici à 2025 ? Il est une construction politique provoquée d'abord par le gel des salaires des fonctionnaires et par les multiples exonérations sociales auxquelles vous avez procédé – d'ailleurs inefficaces sur le front de l'économie et de l'emploi. Il faut donc d'abord dire aux Françaises et aux Français qu'ils ne sont pas les responsables de ce déficit mais qu'il s'agit bien d'une construction politique : c'est la fameuse pratique consistant à creuser un trou dans la caisse puis, après un certain temps, à s'étonner de la présence du trou et à demander des économies. L'argument du déficit est donc un argument d'autorité que l'on peut vite faire tomber.
Pour ma part, je veux vous rassurer. Vous considérez qu'un déficit de 8 à 17 milliards d'euros d'ici à 2025 constitue un problème, mais je vous suggère d'apprécier ce déficit en fonction du coût total des retraites en France, en l'occurrence 330 milliards d'euros. Le poids de ces 8 à 17 milliards peut donc être relativisé. Si ce déficit continue à vous effrayer, je peux néanmoins vous rassurer rapidement.
D'abord, les différents régimes comportent des fonds de réserve, pour un total de plus de 127 milliards d'euros. Je pourrais vous en parler, je ne le ferai pas. Il y a 42 milliards d'encours bancaire dans un régime spécial destiné aux très riches, dont vous ne parlez jamais : celui des retraites chapeau. Je pourrais vous en parler, je ne le ferai pas. Je pourrais aussi vous parler des 60 milliards d'euros de dividendes versés aux actionnaires en 2019, puisque la question du financement des retraites est évidemment celle du partage de la richesse produite. Je ne le ferai pas. Vous constatez néanmoins que ces quelques chiffres suffisent à relativiser le problème de financement et de déficit potentiel.
Une fois que l'on a mis de côté vos arguments fumeux et le verbiage qui entoure ce projet de loi, ces histoires à dormir debout sur l'universalité et sur le reste, que reste-t-il en réalité ? Il reste une seule chose : une grande et vaste mesure d'âge qui incitera les Français à travailler toujours plus longtemps, sans tenir compte du fait que l'espérance de vie en bonne santé – ce point vous concerne, madame la ministre – s'établit à 63 ans, du fait que la productivité a augmenté et qu'un actif produit aujourd'hui trois fois plus que dans les années soixante-dix, et du fait que la richesse produite n'a jamais été aussi mal partagée – ce qui est bien le coeur du débat que nous aurons au cours des prochains jours et des prochaines semaines.
Pour financer la retraite à 60 ans, pour qu'aucune pension ne soit inférieure au SMIC pour une carrière complète et pour que personne ne vive sous le seuil de pauvreté, il n'est pas nécessaire de faire la révolution – même si nous la ferons probablement. Il suffit de deux points de PIB de plus d'ici à 2040, ce qui n'est vraiment pas beaucoup. Si vous réalisiez l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, les cotisations supplémentaires qui en résulteraient vous offriraient de quoi financer, pour le court terme, la retraite à 60 ans. À moyen et long terme, l'ensemble des projections économiques montrent qu'il n'existe aucune contradiction entre l'augmentation des salaires et l'augmentation des cotisations dans une proportion permettant de financer une retraite à un âge digne avec une pension décente.
Ce sont autant d'arguments qui permettront d'inciter les Français à continuer à résister contre votre projet de loi, comme ils le font majoritairement. Car non, il n'est pas inéluctable de devoir travailler plus longtemps pour financer les retraites. Travailler plus longtemps n'aura qu'une conséquence : l'aggravation du chômage.